Les réponses des premiers martyrs face à la condamnation

Dans les procès verbaux judiciaires, les mots d’Esperato, Cittino, Felice, Vestia… et le « mystère de la simplicité » c'est-à-dire le christianisme.
Francesco Braschi

La persécution des premiers chrétiens - accusés d’athéisme parce qu’ils refusaient les cultes approuvés par le sénat pour garantir la paix entre les dieux et les hommes ainsi que la prospérité de la res publica - est témoignée non seulement par les historiens (comme Tacite) mais également par d’authentiques documents judiciaires, les Actes des martyrs. Dans leur forme la plus ancienne, ces actes, constitués du procès verbal de l’interrogatoire, de la proclamation de la sentence et d’une note concernant son exécution, sont enregistrés par la chancellerie du tribunal ; les chrétiens y ajoutaient un début et une fin liés à la lecture liturgique.

Approchons un des plus anciens textes : les Actes des martyres de Scilli (près de Carthage), jugés le 17 juillet 180. À l’injonction de Saturnino : « Changez d’opinion et vous obtiendrez le pardon de notre seigneur l’empereur », Esperato répondit : « Nous n’avons jamais rien fait de mal, jamais commis d’iniquité, jamais parlé mal de notre prochain, au contraire, nous avons toujours remercié pour le mal que nous avons reçu : car nous obéissons à notre empereur ». Saturnino répondit : « Nous sommes aussi religieux et notre religion est simple. Nous jurons par le génie de notre seigneur l’empereur, nous prions pour sa santé, ce que vous devez faire vous aussi ». Mais quand Esperato essaya d’expliquer le « mystère de la simplicité » (c'est-à-dire le christianisme), le proconsul l'en empêcha : « Je ne t'écouterai pas quand tu insultes notre religion ; jure plutôt par le génie de notre seigneur l’empereur ». Esperato répondit encore : « Je n'ai jamais volé ; si je fais du commerce, je paie les impôts, car je connais mon Seigneur, Roi des rois et empereur de tous les peuples ». Et après une nouvelle invitation à renier sa foi il ajouta : « Tuer et faire de faux témoignages est une mauvaise conviction ». Les autres accusés répondirent aussi au juge. Cittino : « Nous ne craignons que notre Seigneur qui est aux cieux ». Donata : « Honneur à César comme empereur, mais crainte seulement devant Dieu ». Vestia : « Je suis chrétienne ». Seconda : « Je veux être ce que je suis ». Le proconsul fit une dernière tentative en offrant un délai de réflexion, mais la réponse fut : « Pas besoin de réfléchir pour une chose aussi juste ». Le texte conclut ainsi : « Le proconsul Saturnino fit lecture de la sentence sur la tablette : « Esperato, Nartzalo, Cittino, Donata, Vestia, Seconda et les autres qui ont confessé qu’ils vivent en chrétiens, vu qu’ils ont obstinément refusé la possibilité qui leur était offerte de revenir aux usages romains sont condamnés à mort ». Esperato dit : « Remercions Dieu ». Nartzalo dit : « Aujourd'hui nous sommes martyrs au ciel ; grâce à Dieu ». Le héraut proclama la condamnation à mort pour Esperato, Nartzalo, Cittino, Veturio, Felice, Aquilino, Letanzio, Gennara, Generosa, Vestia, Donata, Seconda. Ils dirent tous : "Grâce à Dieu" et ils furent tous ensembles couronnés par le martyre ».

On mourrait donc pour le seul fait d’être chrétien, sans qu’on puisse associer des actes délictueux à ce nom. Même la loyauté au pouvoir civil, toujours proclamée (et vécue) ne suffisait pas ; et le pouvoir n’était pas intéressé à savoir en quoi consistait le fait d’être chrétien. Observons les réponses des martyrs : sachant que pour être condamnés il suffisait d’admettre un nom, ils le disaient sereinement et dignement, comme l’affirmation de la réalité : « Je veux être ce que je suis », comme quelque chose de tellement juste qu’il n’y a pas besoin d’autres pensées, comme la manifestation d’une conscience très sûre de la personne.

(À suivre)