Comment gagne le christianisme

Une chapelle en terre dans la savane, pour exprimer ce qui est en train d’arriver dans ce village du Tchad. Comment dans le monde entier la fascination pour le Christ continue à se produire…
Alessandra Stoppa

Une petite chapelle au toit de paille et aux murs en terre, dans la savane. Ils ont voulu la construire pour dire ce qui est arrivé ici, à Milli, un village du sud-ouest du Tchad, à la frontière avec le Cameroun : une communauté chrétienne est née. Les femmes et les enfants recherchent l’ombre en s’appuyant aux murs mais, après la prière, ils dansent tous sous le soleil de la saison sèche, alors qu’il fait plus de quarante degrés : ils ne peuvent pas ne pas danser car danser, c’est remercier.

« LA FOI A CHANGÉ NOTRE VIE »
Le désir de recevoir le baptême est si grand qu’Atchewa Lazare a déjà ajouté son nom chrétien à son nom traditionnel, tout comme sa femme Apyang Émilienne et sa fille de quatorze ans Badane Thérèse. Le chemin de préparation a été long - ils ont débuté en 2011 - mais ils ne se sont jamais découragés. Pourtant, il est difficile de trouver des catéchistes qui parlent leur langue et qui soient prêts à venir jusqu’à leur village où la messe n’est célébrée que deux fois dans l’année, au moment des récoltes ; et, pour y venir, il faut à chaque fois inventer la route !
Cette communauté de dix adultes, plus les enfants, vit au milieu de la brousse, zone inculte, dans une région presque entièrement païenne, aux rites traditionnels et brutaux. L’intérêt pour le christianisme est né du lien avec des amis et des parents qui vivent à Fianga, la ville la plus proche. Milli est situé dans le diocèse de Pala, grand comme la Belgique, avec un million cent mille habitants ; les prêtres sont peu nombreux (une quarantaine dont moins de vingt locaux). La première ordination a eu lieu en 1982. Beaucoup de paroisses n’ont pas de prêtre, et la majorité des villages n’a jamais eu le moindre contact avec la foi. C’est une véritable terre de première Annonce.
Ici, la présence de l’Église est manifestée à la fois par les fidei donum, les laïcs du lieu, et par les missionnaires ad gentes, comme le Père Luca Dal Bo, du PIME (Institut Pontifical pour les Missions Étrangères, ndt) : après six années passées dans les tribus tupuri, kera et massa, il achève maintenant sa mission dans la paroisse de Fianga. Avec Stefano Bressan, fidei donum de Trévise, le Père Luca a veillé sur les villages des « communautés en gestation », accompagnant les catéchumènes dans leur chemin vers le baptême, et allant y célébrer la messe chaque fois que cela lui était possible.

LA MOTO EN PANNE
Celui qui délaisse l'initiation traditionnelle au profit de l’Évangile est considéré comme "un homme à manger", comme un animal. « Je suis ému par le courage de ces personnes, par le courage que demande la conversion, dit le Père Luca. Ils souffrent et ils souffriront à cause du choix qu’ils font : ils n’auront plus droit à la parole sur les problèmes du village, sur les questions de la terre ; ils seront raillés, ignorés, maltraités ». Mais alors, pourquoi vouloir être chrétien ? « Parce que je veux suivre Jésus » est la seule réponse de Lazare qui n’est plus le même qu’avant : « Je n’offre plus de sacrifices aux idoles ni aux esprits de la savane qui aggravaient seulement la peur, je ne bois plus l’arki (boisson alcoolisée très répandue et qui brûle le cerveau, ndr) et, dans notre famille, il y a une bien plus belle entente ». Il attend le baptême car il désire être en communion avec les autres chrétiens, « faire partie de l’Église catholique universelle », dit-il.
Désir qui semble impossible dans un endroit aussi martyrisé, toujours sous tension à cause des influences négatives des pays voisins : le Nigéria (à l’ouest), le Soudan (à l’est) et la Centrafrique complètement déstabilisée (au sud). Le Tchad est en première ligne dans la lutte contre Boko Haram, et c’est pour cela que les djihadistes nigérians l’ont frappé en février dernier. Le peuple est très éprouvé : l’eau manque, les écoles, où il y a deux cents élèves par classe, ne fonctionnent pas ; la corruption sévit car c’est un pays producteur de pétrole avec une grande raffinerie proche de la capitale, mais le prix de l’essence à certaines périodes est incontrôlable. Il y a souvent des manifestations : le gouvernement les ignore ou répond par les fusils.
Le Père Luca s’est toujours senti petit face à ces gens ; non pas à cause des problèmes énormes qu’ils affrontent mais « pour la force de la foi et pour la manière dont Dieu agit à travers eux. La présence de l’Évangile, ici, ne vient pas de notre mérite ». Ce ne sont pas les missionnaires qui font l’évangélisation, ce sont les chrétiens eux-mêmes : « Il n'y a pas une pastorale pour l’évangélisation. Les gens s’intéressent à la foi catholique par amitié pour ceux qui participent à la vie de la paroisse. La naissance d’une nouvelle communauté est donc rare et très lente. Mais Dieu n’est pas pressé ! ».

La dernière fois que le Père est allé célébrer la messe à Honbi, un autre village de la paroisse de Tikem perdu dans la savane, sa moto est tombée en panne (comme toujours). « Alors, raconte-t-il, je me suis mis à lui parler : "Écoute, chérie, qu'est-ce que tu as ? Il y a là-bas des chrétiens qui attendent la messe. Hier, je t’ai révisée, j’ai remis de l’huile, alors fais ta part : emmène-moi là-bas". Et ça a marché ! ». Le plus beau, c’est qu’il n’y avait personne. « J’ai fait ce que font les missionnaires en pareil cas : j’ai attendu ! » Une heure plus tard, un petit vieux, aveugle d’un œil, a dit au Père que les chrétiens étaient presque tous partis dans un autre village pour un enterrement. « Peu après, sont arrivés deux hommes aveugles, un boiteux, des petites vieilles, deux jeunes non chrétiens et un troupeau d’enfants. C’est ainsi que j’ai célébré l’Eucharistie avec les préférés de Dieu ! Dieu est grand car il est capable de se faire tout petit, bouleversant nos pensées et nos projets ».

La communauté de Gamachi est une autre communauté à peine née, d’ethnie kera, dans un endroit merveilleux de la savane : sur l’horizon se dessine la montagne de Fianga. La fascination pour l’Église est arrivée ici par deux chemins : par une femme qui est devenue amie de gens de la paroisse du Père Luca et a commencé le parcours pour devenir chrétienne, et par quelques hommes qui étaient partis chercher du travail à Douala, au Cameroun. C’est là qu’ils ont rencontré le christianisme et, quand ils sont rentrés, ils ont voulu débuter leur parcours en y impliquant leurs familles : ils en sont à la deuxième année du parcours. Au début de 2015, le Père Luca y a célébré la messe pour la première fois, après un pèlerinage parti du lieu exact où avait été baptisé le premier chrétien de Fianga : « Nous avons voulu remercier parce que la Bonne Nouvelle est annoncée en continu et qu'Elle ne cesse de donner des fruits ». La communauté compte aujourd’hui une quarantaine de personnes, en deux groupes de catéchèse.

LA ROUTE POUR GAMACHI
Moïse Kelba est agriculteur. Avec l’argent gagné au Cameroun, il s’est acheté une moto pour faire le taxi. À Douala, il était gardien dans la maison d’un riche catholique, et c’est ainsi qu’il a rencontré la Bible et la foi. « Une foi qui m’a libéré de la peur de la vie. Je suis heureux de faire partie d’une communauté où l’on peut dialoguer fraternellement ». Martin Bruna raconte : « C’est le règne de Dieu qui me pousse à être chrétien. A Douala, j’ai rencontré la mission catholique ; j’ai désiré devenir chrétien et commencer une communauté dans mon village natal. Quand je suis rentré, j’ai entrepris le parcours avec mes amis ».
« Les motivations d’une conversion sont toujours profondes, dit le Père Luca, et pour eux, ce n’est pas simple à expliquer, ou alors c’est trop simple. Le travail qui compte est celui que fait le Seigneur : l’Esprit souffle où et comme il veut ». Aller à Gamachi, cela signifie se perdre à chaque fois. Mais, quand les gens voient un prêtre sur la route, ils savent où il va : les hommes, sans rien dire, lui indiquent le chemin et les femmes se mettent à danser. « Tout le monde sait qu’une communauté est en train de naître ».