Le "Père" de la Mongolie

Ce sera le premier prêtre de l’Église la plus jeune du monde. Enkh Baatar raconte comment « il a rencontré le bonheur ».
Andrea Avveduto

« Quand j’ai dit à ma mère que j’entrais au séminaire, elle a pleuré pendant trois mois ». Pour la maman d’Enkh Baatar, sa décision de se faire prêtre a d’abord été un choc. Elle n’arrivait pas à s’imaginer que son fils serait le premier prêtre catholique de la Mongolie. Son mari était mort quelques années auparavant dans un accident de la route, et l’idée de "perdre" aussi son fils ne passait pas. En plus, c’était le seul fils de la famille. « D’accord, lui dit-elle quelque peu résignée, mais d’abord, tu fais l’université ! » Le jeune Enkh-Joseph Baatar (Joseph est le prénom qu’il a choisi après son ordination diaconale) sera le premier prêtre catholique de la patrie de Gengis Khan.

Classe 1987. Après quatre années d’étude de biotechnologie, il entre au Séminaire, en Corée du Sud, à des milliers de kilomètres de chez lui. En décembre dernier, il est ordonné diacre par monseigneur Lazzaro Heung-sik You, évêque de Daejeon. Ceux qui le connaissent bien définissent Enkh Baatar comme « une jeune promesse pour l’Église » et, surtout, pour la communauté la plus jeune du monde.

« Le christianisme est un facteur totalement étranger dans mon pays d’aujourd’hui, il y a une profonde ignorance sur tout », par la faute du communisme et d’une tradition religieuse principalement animiste. Même ses amis à l’université (où Enkh était l’unique catholique) n’arrivaient pas à y croire. « Tu veux devenir le Pape de la Mongolie ? », plaisantaient-ils. Mais lui était serein. Après avoir connu la foi chrétienne à l’âge de sept ans, il était déterminé à embrasser la vie religieuse et à aller dans le seul pays d’Asie du sud-est où il pouvait étudier la théologie.

Commençons par la période où tu avais sept ans. Comment as-tu connu le christianisme dans un pays comme la Mongolie qui compte à peine plus de deux mille catholiques ?

La Mongolie a été communiste pendant plus de soixante-dix ans. Le processus démocratique a débuté il y a vingt-cinq ans à peine. Pourtant, l’athéisme est resté dans la tête et le cœur de beaucoup. Ma famille n’était pas catholique. Seule, ma sœur qui étudiait avec un missionnaire français a connu le christianisme et commencé à participer à la messe. Un jour, elle m’a demandé si je voulais l’accompagner. J’y suis allé et, depuis ce jour, je n’ai plus arrêté. C’était en 1995. J’allais à la messe tous les dimanches et il m’a semblé naturel de devenir chrétien. Quatre ans après, en 1999, j’ai reçu le baptême. Je n’ai pas de souvenir précis de ces années-là, mais je me rappelle très bien la bonté de ces chrétiens à mon égard. Je me suis senti aimé dans ce milieu comme dans nul autre.

Comment es-tu arrivé à la décision d’entrer au séminaire ?

Pendant mon adolescence, j’assistais régulièrement aux 'rencontres' de catéchisme, le vendredi à la paroisse. Nous lisions des passages de la Bible et nous partagions nos expériences de la semaine. Aujourd’hui, je ne me rappelle pas précisément ce dont nous parlions mais, après ces rencontres, j’étais très heureux. Vraiment. En sortant du catéchisme, je courais à la maison comme un forcené et les gens qui me voyaient en chemin m’arrêtaient et me demandaient : « Eh ! Mais pourquoi cours-tu si vite ? ».

Et que répondais-tu ?

Je ne savais pas quoi répondre. Je sentais mon cœur brûlant, littéralement, de l’amour que Dieu avait pour moi, et je ne pouvais rien faire d’autre que de courir, car le bonheur explosait. Souvent, je me disais : je ne suis pas le meilleur du monde, je ne suis pas le plus riche ni le plus éveillé, mais je suis le plus heureux car Dieu m’aime. Il m’aime tellement, comme ça, comme je suis. Cette intuition – qui avec le temps est devenue une certitude – m’a accompagné jusqu’à la fin du lycée, et c’est là que j’ai pris ma décision : je voulais vivre le plus près possible de Dieu pour toujours. Je sais qu’il y a plusieurs façons de le faire mais, à ce moment-là, j’ai compris que devenir prêtre était pour moi l’unique possibilité concrète de Lui offrir toute ma vie. Et puis je voulais partager avec les autres la joie que j’avais reçue. Elle était trop importante pour que je la garde pour moi seul. Plus particulièrement, je voulais la partager avec les pauvres. Surtout avec ceux qui étaient pauvres en espérance. Si j’offre ma vie au Christ, comme le Christ a offert la sienne pour le salut du monde, me suis-je dit, alors peut-être que mon sacrifice peut contribuer au salut du monde.

Dans quelques mois, tu vas être le premier prêtre catholique de Mongolie…

C’est une Église qui n’a que 23 ans, c’est la plus jeune du monde. Les catholiques sont environ un millier, soit 0,02% de la population, et le seul évêque qu’il y ait vient des Philippines. Sinon, la population est pour 50% bouddhiste, et les 40% restants se définissent comme "sans religion". Jusqu’au XVIIe siècle, le chamanisme était le credo majoritaire puis vinrent trois siècles de bouddhisme, et pour finir, le communisme du XXe siècle a forgé les consciences suivant un matérialisme désespéré. Aujourd’hui, nous avons la liberté religieuse, mais les gens croient que le christianisme est une religion étrangère, et c’est pour ça qu’ils la sentent loin de leur cœur. La tradition de ce pays ne joue pas en notre faveur. C’est un défi à relever. Nous sommes au début, nous partons de zéro… ou plutôt de Un ! Mais, au lieu de regarder les difficultés, je préfère regarder tout le travail qu’il y a à faire. La route est celle qu’a indiquée le Pape émérite Benoît XVI : il ne s’agit pas de convaincre que l’Évangile est vrai, mais de vivre dans la vérité de l’Évangile, chaque jour. Et ainsi, tout devient enthousiasmant.

Qu’espères-tu pour l’avenir de la Mongolie ?

Mon plus grand désir est que tous puissent rencontrer Dieu dans leur vie. Car c’est ainsi seulement que l’on peut devenir vraiment heureux. Et qu’ils arrivent à ‘contaminer’ les autres par leur joie. C’est comme ça que ça marche ! Certains déjà se rendent compte que les chrétiens sont différents, que leur joie de vivre, contagieuse, vient seulement du fait d’être aimés de Dieu.

Finalement, ta mère a-t-elle accepté la vie que tu as choisie ?

Elle a compris, elle voit que je suis heureux et elle l’est aussi. Ce fut difficile. Je lui ai beaucoup manqué pendant toutes ces années d’études en Corée. Mais, bientôt, je rentrerai à la maison, dans un certain sens. La mission commence, le beau commence.