Indissoluble ouverture

Amour, sacrement, annonce. Le théologien Nicola Reali explique pourquoi le parcours que l’Eglise a commencé est une ligne de partage des eaux.
Paolo Rodari, vaticaniste pour La Repubblica

Nicola Reali s’est formé à la Faculté de Théologie d’Italie du Nord, à Milan, puis à l’Université Pontificale du Latran où il a obtenu, en 2000, le titre de docteur en Théologie avec une thèse sur « L’Eucharistie dans la pensée du philosophe Jean-Luc Marion », dont il a préparé l’édition italienne de l’œuvre principale, Etant donné. Professeur de Théologie pastorale des sacrements à l’Institut Pontifical Redemptor Hominis de l’Université du Latran, il a récemment publié Quelle foi pour se marier à l’Eglise ?

Professeur, au Synode, l’Eglise a essayé de repenser la pastorale de la famille. Quel est le fait le plus significatif qui émerge ?
Il faut souligner que le parcours synodal n’est pas encore achevé. Il faudra attendre l’exhortation post-synodale, dans laquelle le Pape pourra prendre des décisions en totale autonomie. C’est pourquoi nous ne raisonnons que sur ce qui s’est passé jusqu’au 25 octobre. Au-delà du vacarme médiatique sur la recherche d’une solution (en commençant par la Communion pour les divorcés), je pense que la donnée la plus significative est la nécessité de repréciser l’action de l’Eglise dans le monde. Ce Synode a mis en évidence que l’Eglise, en prenant des décisions dans le domaine du mariage et de la famille est presque obligée de dire comment elle pense sa propre relation avec le monde d’aujourd’hui et surtout comment elle pense se garantir un avenir différent de la marginalisation progressive vers laquelle elle se dirige.

Dans quel sens ?
Si nous parlons de la Trinité, nous parlons d’un argument qui divise immédiatement le monde : ceux qui y croient et ceux qui n’y croient pas. Au contraire, quand nous parlons du mariage, de la famille, de l’amour nous parlons de quelque chose qui concerne tout le monde car ce sont des réalités qui appartiennent à l’homme en tant que tel, croyant ou non croyant. Par conséquent, il est clair que ce que l’Eglise veut être par rapport au monde émerge plus quand elle parle de la famille et de même on ne s’étonne pas que l’Eglise, au moins en Occident, ait plus de peine à annoncer l’indissolubilité du mariage que le Dieu Un et Trin.

Si les choses en sont là, quelle précision de l’action ecclésiale le Synode a-t-il provoquée ?
Pendant des siècles, l’Eglise a pensé faire valoir sa propre position et son propre rôle dans la société en faisant levier sur ce qui est l’identité naturelle de la famille. Pratiquement elle a dit : tout va bien quand un mariage est hétérosexuel, unique, indissoluble et ouvert à la vie. Si un chrétien le célèbre ainsi c’est un sacrement ; s’il n’est pas chrétien, ça va bien aussi parce que de cette manière on respecte l’ordre de la nature. En même temps elle a dépensé de l’énergie pour favoriser toutes les législations qui vont dans ce sens et, au contraire, elle a blâmé toutes les autres. Le problème est que tant que les valeurs naturelles ont fait partie du patrimoine commun de la majorité, cette position pouvait avoir ses raisons, mais dès lors que ce patrimoine commun fait défaut, l’Eglise a couru le risque de jouer le rôle de celle qui se limite à condamner les tendances qui minent le mariage naturel. À mon avis, le pontificat de François et ce Synode ont mis en évidence la nécessité de changer de paradigme. Le catholicisme peut et doit aspirer à un autre rôle : savoir lire la vie des hommes et des femmes d’aujourd’hui (avec toutes les contradictions mais aussi toutes les bonnes choses qui existent) et leur proposer la seule chose intéressante et nouvelle qui rend l’Eglise attirante : Jésus Christ et son Evangile.

Est-ce que cela ne contredit pas ce que vous venez de dire en parlant de la différence entre Trinité et Evangile ?
Non, il n’y a aucune contradiction car le problème est celui-ci : il ne doit pas y avoir de différence entre proposer le Dieu Trinité et le mariage chrétien. Tous deux sont une forme de l’annonce de l’Evangile du Christ. Et même si l’Evangile divise les hommes, ceux qui l’acceptent contribuent au bien de tous : la communauté chrétienne n’est pas l’avant-garde prophétique de l’humanité mais le lieu où ce que Dieu a mis à disposition des hommes s’offre à tous. Par conséquent, parler de l’amour chrétien entre un homme et une femme équivaut à parler du christianisme en tant que victoire sur la mort, sur le mal, sur le malheur, sur le néant qui menace dans chaque murmure humain.

On se souviendra de ce Synode comme d’une ligne de démarcation des eaux dans la manière qu’a l’Eglise de se positionner face au monde ?
Sans doute. Même si ce n’est que le point de départ. Par exemple le groupe restreint de langue allemande avait souligné le besoin de revoir l’actuelle discipline ecclésiastique qui, en fait, ne considère pas la foi comme un élément essentiel à la validité de la célébration du mariage. J’ai moi-même écrit un livre sur ce sujet. Cela n’apparaît pas dans le compte-rendu final. Mais ce n’est pas un problème. Le Synode a initié un changement de perspective dans l’annonce de l’Evangile de la famille qui entraînera d’autres pas à l’avenir. De plus, tout le compte rendu souligne clairement que la vision chrétienne du mariage résiste ou tombe sur le présupposé d’une adhésion de foi des époux au projet de Dieu révélé dans le Christ. Aujourd’hui, l’action ecclésiale, en plus de corriger ou de changer certaines normes disciplinaires, a comme tâche principale de soutenir le témoignage de foi de tous ces couples qui vivent leur expérience conjugale dans l’offrande quotidienne de leur vie au Christ, sachant que c’est la modalité la plus concrète et la plus convaincante par laquelle l’Eglise manifeste son visage au monde.

Vous voulez dire que le rôle de la famille chrétienne sera toujours plus décisif ?
Oui. J’en suis convaincu, pourvu que le quotidien dont je parlais ne se vide pas de son caractère « public » et ne se privatise pas comme un simple « bon exemple ».

Quel sera le signe que l’on va dans cette direction ?
J’ai envie de vous répondre avec les paroles que Don Giussani utilisait pour expliquer que le rapport avec Dieu ne peut pas être réduit à la seule abstraction des paroles : « Il est s’il agit ».