La reconquête du Mexique

Un peuple blessé par les conflits sociaux, les narcotrafiquants, une violence omniprésente. Le pape François sera au Mexique du 12 au 18 février. Un voyage difficile. Heureusement, il y a les apparitions de Guadalupe.
Stefano Filippi

Hugo León, qui vit à Mexico, a compris ce que signifie la visite du pape François en regardant sa fille aînée. Jusque-là, il avait la tête encombrée par les analyses et les pronostics des médias : « Ce sera un choc politique, il va tirer les oreilles des évêques, il vient dénoncer la corruption et les violences ». Mais, un après-midi, sa fille Rachel a commencé à récolter des objets à vendre pour aider une crèche du quartier : les catéchistes, qui avaient expliqué ce qu’étaient les « œuvres de miséricorde », avaient demandé aux enfants de s’impliquer personnellement. Alors le papa a bricolé des chariots de bois, la tante a cuisiné les biscuits, les petits frères ont récupéré des jouets. Et Rachel n’a pas voulu déposer ces cadeaux dans le container de la paroisse, mais les apporter elle-même aux enfants de la crèche. « Ce fut un spectacle touchant », raconte Hugo. Et quel rapport avec la visite du pape ? « C’est la miséricorde de Dieu qui te rejoint, qui vient chez toi, et tu découvres qu’elle est plus puissante que tout le reste ».

Le pape sera au Mexique, un pays de cent millions de catholiques, du 12 au 18 février. Après avoir été au Chiapas, il finira son voyage à Ciudad Juárez, la ville la plus dangereuse du monde, qui est aux mains des cartels de la drogue et des marchands de clandestins. Quels germes de changement peut-il apporter dans le pays ? « Les journalistes, les universitaires, les intellectuels espèrent que le pape dénonce les horreurs du Mexique et cite les noms des responsables. Tout le monde le voit comme un leader politique en espérant qu’il puisse régler d’un coup de baguette magique tous les problèmes que les Mexicains n’ont pas osé affronter », dit Maria Luisa Aspe Armella, du département d’histoire de l’université hispano-américaine de Mexico. « Mais les gens ne veulent pas des châtiments. Ils veulent un espoir, une consolation, une proximité. J’espère que le pape renforcera l’espérance chrétienne et l’engagement qui en découle ».

Le catholicisme mexicain a une particularité que Jorge Traslosheros, lui aussi historien à l’université nationale autonome du Mexique, qualifie de « vergonzante » : « On a honte. C’est une foi qui a honte d’elle-même, qui génère des catholiques timides, pas prêts à participer au débat public, ou bien des catholiques anticléricaux qui passent leur temps à critiquer la hiérarchie. Nous n’avons pas encore des chrétiens qui seraient les promoteurs d’une société juste et pacifique. Qui seraient, comme disait don Bosco et, d’une certaine manière aussi don Giussani, de bons chrétiens et des citoyens vertueux ».

« Le premier changement à faire est en moi », ajoute l’architecte Oliviero Gonzalez, responsable de CL au Mexique. « Le pape ira dans les lieux les plus périphériques de notre pays, là où la souffrance et le désespoir qui sont à l’origine de la violence et des inégalités sociales semblent gagner toujours plus du terrain. Mais le pape ne vient pas “sauver” le Mexique, il vient parce qu’il m’aime. Si moi je change, tout le pays peut changer. En cette année de la miséricorde, sa visite est une grâce immense pour approfondir ce que veut dire faire l’expérience de la miséricorde ».

Une rencontre personnelle : c’est aussi la conviction de Mgr Christophe Pierre, nonce apostolique au Mexique, un Français. « Le pape vient pour être témoin du Christ dans une rencontre humaine. Il veut connaître les personnes, les groupes, les problèmes. Si je repense aux mois de préparation que nous avons vécus, le désir du pape est que ce soit un voyage plein de surprises, qui sorte du “déjà connu” pour permettre aux gens de découvrir quelque chose de nouveau. Le Mexicain est un être profondément religieux : même celui qui s’est éloigné de l’Église pense que le pape peut offrir un espoir pour sortir de la pauvreté, de la violence et de l’insécurité. Tous regardent vers lui parce qu’il peut redonner un sens ».

Le nonce souligne à quel point les apparitions de Guadalupe sont au cœur de la culture mexicaine. « Le pape en est convaincu et c’est pourquoi la visite commencera là. L’histoire du pays est marquée par la rencontre avec Marie et donc avec le Christ. Les apparitions ont réconcilié les peuples conquis avec les conquérants, la Vierge a racheté le peuple qu’on voulait détruire. Dans le drame d’une conquête violente, elle a permis de redécouvrir une valeur, un chemin de réconciliation. C’est le rôle de l’Église, et c’est ce rôle que devons vivre encore aujourd’hui ».