Charles de Foucauld

Cent ans après sa mort, l'héritage caché de Charles de Foucauld

Cette année marque le centenaire de la mort de Charles de Foucauld, assassiné dans le Sahara algérien en 1916.
soeur Catherine-Thérèse, Petite Soeur de Jesus

À sa mort, en 1916, il y a cent ans, Charles de Foucauld n’a pas laissé grand-chose, lui qui avait pourtant ardemment désiré être fondateur. Une « Union » lui survécut, confrérie d’à peine cinquante personnes, prêtres et laïcs qui, de façon très informelle, étaient reliés par l’appel à vivre comme des missionnaires isolés dans le monde. Aujourd’hui, pas moins d’une vingtaine d’instituts et de fraternités de religieux, prêtres mais aussi laïcs, créés, pour la plupart, peu de temps après sa mort et interprétant chacun selon sa sensibilité cet héritage, continuent un siècle plus tard de faire vivre sa spiritualité dans le monde entier. Nous avons demandé à soeur Catherine-Thérèse, Petite Soeur de Jesus, de nous raconter qui est pour elle cette figure mystique dont la spiritualité marqua un tournant dans l’évangélisation ? Vivre parmi les pauvres, dans les contrées les plus reculées.


Récemment le responsable des Petits frères de Jésus a eu l’occasion de parler de Charles de Foucauld, il l’a fait en précisant d’emblée qu’il ne prétendait pas apporter quoi que ce soit de nouveau mais qu’il pouvait s’arrêter sur certains aspects de sa personne et dire pourquoi il l’aimait. Alors à mon tour je me suis demandé : “Et moi que dirais-je ? Qu’est-ce que j’aime chez cet homme ?”
Peut-être n’est-il pas inutile, avant de répondre, de rappeler à grands traits, les principales phases de sa vie.

Né à Strasbourg dans une famille catholique de l’aristocratie française, Charles s’éloigne de l’Eglise dès l’adolescence et mène une vie dissipée de “fils prodigue”. La bonté, les qualités de coeur et la foi de certains de ses proches l’amèneront à vouloir mieux connaître la religion des siens et peu à peu à vivre une véritable et profonde conversion.
Il ne veut plus vivre que pour le Christ et dans ce but entre chez les Trappistes dont la vie bientôt lui paraît trop douce, pas assez proche à ses yeux de celle de Jésus de Nazareth. Pour s’approcher de ce Jésus, il vivra plusieurs années dans une grande pauvreté auprès des clarisses de Nazareth et découvrira son appel à annoncer le Christ par sa propre vie en l’imitant par la bonté, la patience, la générosité, en un mot par l’amour de ceux qui sont les plus pauvres, les plus délaissés, les plus éloignés de le connaître. Dans la France de l’époque, les plus abandonnés, ce sont les nomades du Sahara, c’est auprès d’eux qu’il ira vivre, à eux qu’il donnera sa vie.

Qu’est-ce donc, me suis-je demandé, qui m’attache à ce personnage ?
Ca ne m’est pas si facile de répondre parce que je n’ai pas éprouvé à l’égard de “Frère Charles”, comme nous disons, un enthousiasme immédiat et spontané, le style de ses écrits me rebute souvent, son absolutisme me fait un peu peur et je reste partagée à l’égard d’un être aussi excessif entre l’admiration sincère et l’agacement.
On lui reconnaît d’avoir en quelque manière inauguré un nouveau style de mission. On a souligné le fait qu’il voulait annoncer l’Evangile par sa vie plus que par ses paroles, qu’il voulait être proche de tous, y compris et par priorité de ceux qui sont loin de tout, de ceux que, dans la France d’alors, on laissait dans un dénuement complet à tout point de vue. C’est par là qu’il m’intéresse, par ce désir puissant d’annoncer le Christ à ceux qui sont presque inaccessibles, d’aller à eux, pas de chercher à les attirer à soi.
A propos du pape François et de sa conception de l’Eglise, on a pu utiliser une image très suggestive, celle du flambeau, de la lumière que l’on va porter à ceux qui sont dans la nuit, par opposition au phare qui se dresse immobile et attire à lui ceux qui perçoivent sa lumière. Cette image du flambeau m’évoque le Saint Sacrement que Charles désirait tant faire “rayonner” dans des contrées, des territoires immenses, vides de sa présence.

Il voulait faire connaître le Christ, je crois que l’on peut dire qu’il ne voulait que cela. Le fait qu’il ait voulu commencer par connaître ceux chez qui il venait habiter et se faire connaître d’eux, entrer en amitié sans faire de prosélytisme a pu donner à penser qu’il n’avait pas le projet de convertir (j’ai entendu tel prêtre se réclamant de sa lignée spirituelle déclarer que de convertir les gens ne l’intéressait pas ), or il n’avait pas de plus grand désir que d’amener au Christ ceux qui ne savaient rien de lui. Parce que lui-même à la manière d’un Saint Augustin ou d’un Saint Paul s’était converti, il était retourné vers celui dont il s’était détourné et cette expérience avait été la plus marquante de sa vie.

Comme le fils prodigue de l’Evangile qui s’en va loin du Père et qui, par grâce, se souvient de Lui et revient, “il était mort et il est revenu à la vie” (Lc 15, 32). Nombre de fois Charles revient sur cette expérience de salut qui a été la sienne. Il a une conscience très vive d’avoir été l’objet de la quête du Bon Pasteur, d’avoir bénéficié de l’immense miséricorde de Dieu. Que cette année de la miséricorde soit celle du centième anniversaire de sa mort est une belle coïncidence, parce qu’il se voyait comme une illustration parfaite de la miséricorde de Dieu. Pêcheur et pardonné. Saisi par une double évidence, celle de son erreur, de son péché, et celle du pardon si libéralement accordé, il est comme inondé par un nouveau baptême et ne se lasse pas d’en rendre grâce : ce sont les kyrielles de “Mon Dieu que vous êtes bon, que vous êtes bon !” qui ponctuent telle de ses méditations.

Alors cette expérience-là, il voudrait que tous puissent la faire, et s’il part au Sahara, ce n’est pas pour méditer dans la solitude du désert, ni même pour soulager de leurs misères ceux que l’on a oubliés c’est d’abord et avant tout pour leur faire connaître et aimer le Christ.

Frère Charles n’a baptisé personne à l’exception d’un petit esclave qu’il avait acheté pour le libérer, il n’a pas connu de disciples en dépit de ses projets ou tentatives de fondation, il n’est pas mort martyr malgré son désir de témoigner ainsi de son amour pour le Christ, mais stupidement, parce que l’un de ceux qui voulaient sans doute le prendre en otage et qui le tenait en joue a été pris de panique et le coup est parti.
Il n’a pas baptisé mais qui peut dire qu’il n’a pas converti et qu’aujourd’hui encore sa vie ne parle pas à nos contemporains ? Il est resté seul jusqu’à la fin mais des disciples lui sont nés après sa mort qui s’efforcent de vivre à son exemple. Quant au martyre, on porte aujourd’hui sur lui un autre regard qu’au temps de Charles de Foucauld, et l’on considère que le témoignage de toute une vie est lui aussi d’une grande fécondité. La vie de Frère Charles témoigne de la patience infinie de Dieu , de sa miséricorde et de combien l’humanité peut être belle quand elle se laisse modeler par Lui.