Le pardon de Hong Kong

Une société détruite. Les mythes de la modernité en crise. La morale confucéenne mise à mal face à la réalité des enfants ou d’une vie difficile. Chaque année, on compte un millier de nouveaux chrétiens.
Alessandra Stoppa

C'est le seul missionnaire de la Miséricorde à Hong Kong. Pourtant, sa première réflexion sur la miséricorde ne renvoie pas au mandat spécial que le pape François lui a donné, mais bien à ses 27 années en tant que missionnaire en Chine : « Un grand geste de miséricorde des personnes à mon égard ». Le père Luigi Bonalumi est arrivé à Hong Kong en 1989, deux mois après les événements de la place Tian'anmen. C’est ainsi que ce missionnaire de l’Institut pontifical pour les missions étrangères (PIME), originaire de Mapello (Province de Bergame) et aujourd’hui âgé de presque soixante-dix ans, a atterri dans un monde choqué et connu les dernières années de colonialisme, soit « des années de tension, avec ce drame vécu par tout le monde : s’en aller ou rester ». Il a assisté au grand flux migratoire, connu le retour à la souveraineté chinoise et les promesses (toujours pas tenues aujourd’hui) de la Basic Law, processus de démocratisation. Cependant, il a toujours choisi de rester. « L’évangélisation se poursuit, même si les gouvernements changent ». Et il ajoute : « L’Église est aussi un motif de stabilité pour ceux qui sont restés, et un motif d’encouragement pour ceux qui gouvernent ».

VIE MODERNE
Aujourd’hui, depuis sa paroisse située à la périphérie proche de la frontière avec la Chine occidentale, il voit la crise économique s’approcher et le fossé se creuser au sein de la société : entre pro-establishment et pro-democrats, entre pro-gouvernement et anti-gouvernement de Pékin. « C’est une polarisation qui incarne aussi un conflit générationnel ». D’une part, ceux qui désormais ont réussi et ont une bonne position ; d’autre part, les jeunes malheureux, qui peinent à faire entendre leur voix, ceux-là même d’Occupy Central, ce mouvement qui avait occupé deux ans auparavant les rues de Hong Kong, en réclamant à Pékin la liberté et la démocratie. « Ils ont peur, ils sentent tout le poids du futur ». Et ils bouillonnent. Dans une Hong Kong hyper technologique et cosmopolite, la « vie moderne » est en crise. « C’est aussi pourquoi plusieurs personnes sont encouragées à chercher la foi, à découvrir de nouveau l’envie d’une vie authentique. Elles cherchent la vérité ».

Il est le curé de l’église dédiée au cœur immaculé de Marie, dans le district de Tai Po, dans les nouveaux territoires. Environ dix mille fidèles, « divisés » en deux communautés : la communauté anglaise et la communauté chinoise. Il y a une grande mobilité dans cette ville, et pendant le temps ordinaire, l’église est toujours bondée lors des huit messes réparties entre le samedi et le dimanche. Lors des liturgies les plus importantes, les gens n’arrivent même pas à entrer dans l’église.

Le Diocèse de Hong Kong est le plus grand de Chine : il compte 52 paroisses et 500 000 catholiques sur 7,5 millions de personnes. Le père Bonalumi n’a pas de doute : « C’est un don pour l’Église universelle ». Cette année, dans la nuit de Pâques, 3 300 nouveaux catéchumènes ont reçu les sacrements de l’initiation chrétienne. « C’est un signe de la grâce de Dieu », souligne-t-il. Ils étaient presque tous adultes. « D’habitude, ces personnes prennent cette décision après des années de réflexion et de changements d’avis. Elles sont déjà bien encadrées, ont une vie et un travail. Mais elles sentent que cela ne suffit pas ».

UNE GRANDE OEUVRE
Le père Bonalumi parle d’un peuple pour qui l’athéisme – « au sens où l’entendent les Occidentaux » – n’existe pas. « Ici, tout le monde croit en la présence d’une divinité ». Il voit surtout des couples avec des enfants qui se rendent à la paroisse, à la recherche d’un lieu auquel s’accrocher, pour les éduquer : « Ils se rendent compte qu’ils ne savent pas quoi leur transmettre et que la morale confucéenne ne suffit pas. Ce qui est impressionnant, c’est qu’ici, le fait d’avoir la foi est vraiment considéré comme une aide, une bonne chose. Un "plus" dans la vie ».
De plus, l’année sainte de la Miséricorde ouvre les portes à un grand besoin : « Celui de la confession. Je le vois chez beaucoup de personnes. Un ami protestant, arrivé ici il y a 20 ans en tant que missionnaire, a demandé à devenir catholique. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu : "À cause de ce besoin de faire expérience du pardon dans le Sacrement". La miséricorde vécue aussi dans le Sacrement ». Il rit : « Peut-être que ce n’est pas un bon exemple d’œcuménisme… Mais le Père Éternel connaît le chemin de chacun ! »

Le père Bonalumi n’est pas seulement curé, mais aussi directeur de deux écoles, bien que désormais, son rôle en tant que missionnaire de la Miséricorde le pousse à passer beaucoup plus de temps dans le confessionnal. Les gens s’y rendent en pensant qu’il peut résoudre tous les problèmes : « Bien sûr, ce n’est pas le cas. Mais cela leur donne davantage de courage pour venir : ce qu’ils cherchent, c’est la miséricorde de Dieu après une vie de remue-ménage. Et cela appelle à une plus grande radicalité dans ma façon de vivre ma vocation. C’est un fort rappel personnel. » À quoi ? « À reconnaître l’expérience de la miséricorde sur ma propre personne. D’ailleurs, ce n’est qu’ainsi qu’on peut être libre aux yeux de tout le monde ». Ces 27 années de mission sont pour lui « une grande œuvre de miséricorde des gens à mon égard. Ils m’ont accueilli et m’accueillent ; ils pardonnent mes limites, même culturelles, même de compréhension, car dans les rapports, on peut faire de très grosses erreurs, surtout au début ».

LA VIE D'ANTONY
Du rapport avec ces personnes, il a appris que la chose la plus importante « ce ne sont pas les projets à réaliser, mais l’amitié avec elles. C’est là le lieu de la foi ». Et puis, il a appris que « l’Esprit souffle, c’est pourquoi on croit. C’est à Dieu que revient le travail d’évangélisation ; c’est l’Église qui évangélise ». Le PIME est présent à Hong Kong depuis 160 ans et compte aujourd’hui une trentaine de missionnaires. « Il y en a eu avant nous, et j’espère qu’il y en aura après… C’est le chemin du peuple de Dieu à travers les siècles ». Il ne porte plus son espoir sur les « grands systèmes », mais l’a retrouvé entièrement « dans ses rencontres avec les personnes ». Il ajoute, convaincu : « C’est là que la graine est plantée ».

Il a connu Antony « par hasard ». « C’était un homme de 50 ans, avec un parcours très mouvementé ». Il avait vécu toute la révolution culturelle en Chine, puis était arrivé ici seul, laissant derrière lui un mariage arrangé. « Nous sommes devenus amis, et il s’est rappelé qu’il avait été baptisé par des sœurs, quand il était enfant, lors d’un séjour à l’hôpital. Depuis, il n’avait plus eu de contact avec l’Église. Aujourd’hui, il est moine trappiste, à Hong Kong. C’est de là qu’il prie pour nous… »