« Il me rappelle mes désirs »

« Ce n’est pas de la diplomatie, ses gestes sont vraiment pleins d’amour ». Wael Farouq, musulman, professeur d’arabe.
Luca Fiore

Il l’avait déjà rencontré personnellement le 7 mars 2015, lors de l’audience avec Communion et Libération. À cette occasion, ce qui l’avait étonné, c’est la spontanéité avec laquelle le pape François avait « liquidé » les VIP sur le parvis de la basilique Saint-Pierre pour aller cajoler « ses » prisonniers de Padoue. Égyptien, musulman, et milanais d’adoption, Wael Farouk est professeur de Langue arabe à l’Université Catholique de Milan et, le 25 mars dernier, il a pris la route pour aller saluer le pape François. Mais cette fois, il n’a pas réussi. Il est arrivé trop tard et les accès à la Piazza del Duomo étaient déjà fermés. « Il régnait une atmosphère joyeuse même parmi ceux qui n’avaient pas réussi à le voir » explique Farouk : « personne n’était en colère à cause de la déception. La présence de François suscite vraiment sympathie et affection chez tout le monde ».

De retour chez lui, il allume la télévision et suit les images du million de fidèles au parc de Monza. « Même dans ce contexte, François ne parle pas à la foule, mais au cœur de chacun. Il est capable de montrer le bien qu’il y a dans ton cœur ». Ce qui distingue le Pape des autres leaders religieux et politiques, explique le professeur musulman, « c’est qu’il ne lance pas des alarmes pour mettre en garde contre les maux du monde. Il montre la voie positive et demande à chacun d’être facteur de changement pour le monde. Aujourd’hui, tout le monde ne voit que les démons de notre société ; mais lui, en revanche, est le seul qui soit capable de voir les anges. Il croit à la bonté des gens et les personnes le perçoivent très nettement ». Et qu’a-t-il dit à Wael Farouk ? « Chaque fois que je l’écoute, je me rends compte que je comprends mieux ce que je désire et où je veux aller. Je suis plus sûr de moi pour repartir sur mon chemin d’homme ».



Gestes et raison. Dans le discours de François, qu’est-ce qui « remet en piste » un intellectuel musulman ? « Il dit que la sainteté ce n’est pas faire des choses extraordinaires, mais accomplir des actions ordinaires avec un amour extraordinaire. Et cet amour, dit-il, est une chose à la portée de tous. Surtout, il ne nous demande pas de faire quelque chose ; il suffit d’être qui et comme nous sommes ».

À Monza, dans son homélie, le Pape parle de la société milanaise comme d’un « peuple formé de mille visages, histoires et origines, d’un peuple multiculturel et multiethnique ». Dans l’usage de ces catégories, il se distingue aussi des sociologues et des politiciens : « D’habitude, le multiculturalisme est un slogan de la société contemporaine. Tout le monde en parle, tout le monde en fait la promotion. C’est une catégorie qui est utilisée dans un sens organisationnel, administratif, qui, in fine, est utile pour la gestion du pouvoir. Pour François, il n’en n’est pas ainsi : son attention se porte toujours vers la personne, l’individu. La différence doit être vue et vécue dans la réalité de tous les jours, en relation avec des hommes réels ».

Aux prêtres et aux personnes consacrées qui l’écoutent dans cette cathédrale de Milan, il demande de ne pas avoir peur des défis, car ils permettent à la foi de ne pas devenir idéologie. « C’est une invitation à regarder les limites que nous mettons nous-mêmes à notre manière de croire et qui sont des frontières qui nous emprisonnent et nous font justement devenir idéologiques ».

Montrer « les anges », libérer la foi du risque de l’idéologie, au fond, ce sont les défis à la raison de l’homme. « Oui, c’est vrai. J’ai lu et relu le magistère de Benoît XVI, surtout quand il demande d’« élargir la raison ». D’une manière différente, François dit la même chose et nous la fait voir par ses gestes. Je pense au témoignage de son affection pour les musulmans. Elle est extraordinaire, car elle ne naît pas de son rôle, mais de sa personne ».

Un locataire musulman des « Case bianche » [Les « Maisons blanches », des logements délabrés à la périphérie est de Milan, NdT] qui a reçu François chez lui a déclaré dans une interview : « Cette rencontre a changé ma vie ». N’a-t-il pas exagéré ? « Je suis convaincu qu’il était sincère. Ce n’est pas la réaction d’une personne à qui l’on fait l’aumône. C’est le contrecoup d’une vraie rencontre » explique Farouk : « Le long des rues de Milan il y avait aussi les jeunes filles musulmanes et copte-orthodoxes de Swap (l’association estudiantine Share with all people). Elles aussi étaient enthousiastes au point de partager la vidéo du Pape qui passe devant elles sur les réseaux sociaux. Pourquoi tant d’enthousiasme ? Pourquoi sont-elles fières de montrer leur affection pour cet homme sur les réseaux sociaux ? Parce qu’elles sentent sa sincérité. Pour un musulman, il est difficile d’aimer le chef de l’Église Catholique, mais il est très facile d’aimer une personne comme François. Il n’y a pas de diplomatie dans ses gestes. Il croit vraiment à l’amour. C’est pourquoi je pense que, quand il ira en Égypte les 28 et 29 avril prochain, le peuple l’attendra plus que les autorités politiques et religieuses. François secouera mon pays. Il pointera les projecteurs sur la minorité des minorités : les catholiques. Il valorisera les différences de la société égyptienne ; ce sera une occasion pour tout le Moyen-Orient.

Quelle trace laissera cette visite à Milan ? « Nous ne le savons pas, ce qui arrivera sera une surprise. Cette visite n’avait pas d’objectif stratégique à réaliser. Le but de la visite était l’événement même de la rencontre. Et ce qui naît d’un événement, on ne peut pas le dire à l’avance. Nous verrons ».