La surprise pour une guerre

Le pape se rendra, en compagnie du primat anglican Justin Welby, dans le pays le plus jeune du monde C’est la surprise œcuménique pour une ‘guerre oubliée’. Après la République centrafricaine, une autre « mission impossible »…
Maria Acqua Simi et Giacomo Bertoia

Il y a six ans, le 9 juillet 2011, naissait le Sud-Soudan, pays le plus jeune du monde. Après un long processus de paix, l’indépendance avait été obtenue, mettant fin à une guerre civile qui avait entraîné deux millions et demi de morts et cinq millions de réfugiés. La population, en majorité animiste, mais avec un nombre important de chrétiens (catholiques et anglicans), connut alors une période de paix durant laquelle l’économie, fondée sur l’agriculture et l’élevage, garantit un niveau de vie acceptable, même sans infrastructures - que l’on n’avait pu construire pendant les années de guerre. En 2013, cependant, le rêve du jeune Etat se brise : un conflit armé éclate entre les soldats fidèles au président Salva Kiir et la faction qui soutient l’ex-vice-président Riek Machar. Ravivant de vieilles haines, elle se transforme en une nouvelle guerre civile, Le conflit a des origines ethniques : Kiir et Machar sont les représentants des deux principales ethnies du pays, les Dinka et les Nuer. La guerre fait du Sud-Soudan un pays sans maître, où règne le chaos politique et où l’on recommence à mourir. Les combats ont déjà fait plus de 55.000 victimes et 4 millions de personnes déplacées.

Fuyant la guerre, évidemment, mais aussi la faim, un million et demi de Sud-Soudanais (cent mille depuis le début de cette année) décident de se réfugier en Ouganda, aggravant ainsi une situation locale fragile. Les dernières informations de l’ONU, qui datent du mois de mars, sont dramatiques : plus de 40% des civils n’ont pas d’accès garanti à l’eau potable et à la nourriture. Dans deux vastes régions du pays, l’état de famine a été déclaré alors que les combats continuent : guerre peu médiatisée, cachée, oubliée.
Et pourtant, c’est dans cette conjoncture qu’un événement se produit : oubliant leurs rivalités et leurs intérêts personnels, des chrétiens de diverses confessions travaillent ensemble pour demander la paix. C’est leur engagement, difficile mais sincère, qui a permis de planifier la visite au Sud-Soudan, prévue pour l’été prochain, du pape François et de l’archevêque de Canterbury, Justin Welby, primat de l’Eglise anglicane.

LES TROIS ÉVÊQUES
« La guerre civile continue en dépit de l’appel que nous avons lancé à toutes les factions, pour y mettre fin. Des meurtres sont perpétrés, des viols, des pillages et des attaques contre des églises et des monuments publics, écrivent les évêques catholiques dans un message diffusé il y a quelques semaines. Des millions de Sud-Soudanais sont victimes de la faim, contraints de fuir et de se réfugier dans des camps. La guerre civile continue, guerre que nous avons toujours considérée comme privée de toute justification morale. La majeure partie des combats ont lieu entre le gouvernement ou les rebelles, et la population civile. »
Mais les évêques ne se contentent pas de dénoncer. Comme par le passé, l’action diplomatique de l’Eglise catholique, silencieuse mais efficace, est en cours. « Au-delà de ce message, nous souhaitons nous engager davantage. Avec d’autres Eglises, nous demandons l’autorisation de rencontrer, face-à-face, non seulement le président, mais les vice-présidents, les ministres, les membres du Parlement, les leaders de l’opposition, les militaires et quiconque a le pouvoir de changer les choses. Et nous voulons les rencontrer, non pas une fois, mais toutes les fois que ce sera nécessaire pour que le dialogue fasse émerger des solutions et ne se réduise pas à des bavardages ».
C’est donc le début d’un processus qui implique dans un travail commun les différentes confessions chrétiennes
. Les acteurs de cette initiative inédite sont trois prélats : Paulino Lukudo Loro, archevêque catholique de Juba, Daniel Deng Bul Yak, archevêque de la province épiscopalienne locale (les anglicans) et Peter Gai Lual Marrow, modérateur de l’Eglise presbytérienne.

Ensemble, ils se sont rendus au Vatican auprès du pape François, puis à Lambeth Palace auprès de Justin Welby. Leur demande est ambitieuse : une visite conjointe du pape et de Justin Welby au Sud-Soudan.
Comme l’ont souhaité les trois évêques, l’annonce du voyage a été faite par le pape lui-même : « Le dialogue œcuménique se réalise sur le terrain, a expliqué François lors de sa visite à l’église anglicane All Saints de Rome. Nous sommes en train d’étudier un voyage au Sud-Soudan avec Mgr.Welby. Pourquoi ? Parce que les évêques, anglican, presbytérien et catholique, m’ont dit : ‘Nous vous en prions, venez au Sud-Soudan, ne fût-ce qu’un jour, mais ne venez pas seul, venez avec l’archevêque de Canterbury’. C’est d’eux, de cette jeune Eglise, qu’a surgi cet événement. C’est pourquoi nous sommes en train d’étudier comment cela peut se faire, si la situation n’est pas trop mauvaise là-bas… Et nous devons le faire parce que ce sont eux qui, tous les trois, veulent la paix et travaillent ensemble pour la paix ».

Les détails sont à mettre au point, mais le voyage devrait avoir lieu en juin. « J’ai grande confiance dans la visite du pape, explique Michael, jeune et brillant Sud-Soudanais qui a dû quitter son pays et qui vit aujourd’hui dans un camp de réfugiés en Ouganda. Nous ne pouvons pas combattre Satan avec des fusils ; nous ne pouvons combattre Satan qu’avec la Parole de Dieu. J’espère vraiment, vraiment, que la visite du pape apportera la paix, et d’abord entre les leaders du pays. C’est ce que la population demande et espère. Depuis que la radio a annoncé que le Saint-Père allait venir, tous les Sud-Soudanais sont très heureux : ils espèrent qu’il pourra contribuer à une réconciliation. »

FUITE DANS LES BOIS
L’histoire de Michael est celle de nombreux Soudanais dont la vie a été bouleversée par la guerre : « Je me trouvais dans la région de l’Equateur oriental, à l’école professionnelle de Kajo Keji pour devenir assistant médical. A l’improviste, un groupe d’hommes armés, jamais vus auparavant par ici, a commencé à attaquer notre école.
Nous étions en train de passer un examen quand nous avons entendu des tirs et des cris. Nous avons fui vers la forêt. Certains d’entre nous ont été rejoints et tués. Nous avons compris que nous ne pouvions pas revenir en arrière. Nous avons laissé derrière nous nos livres, nos sacs et toute notre vie. Sans nous retourner, nous sommes partis vers l’Ouganda. Nous y avons été accueillis par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) qui nous a placés dans des camps ».
La mère de Michael et le reste de sa famille ont connu le même sort. « Ils se trouvaient dans la zone de Yei : là aussi, il y a eu des attaques, des viols et des meurtres. Ma mère, qui habitait en ville, est allée se réfugier dans notre village d’origine. Mais elle a dû partir de là aussi. Elle a été placée d’abord dans un camp de réfugiés au Congo, puis, comme moi, en Ouganda ».

ESPÉRANCE
Michael est retourné à l’école. Et il n’a pas perdu espoir : « La paix peut revenir au Sud-Soudan ; les deux leaders pourraient se réconcilier et la situation se normaliser. Mais il faudra du temps, beaucoup de temps. Nous devons beaucoup prier Dieu. Nous devons aussi dénoncer les violences perpétrées par les deux camps ».
Maria Gaudenzi, qui travaille pour la Fondation AVSI, raconte la difficulté qu’il y a à travailler au Sud-Soudan : « Les routes ne sont pas sûres et on ne peut pas se déplacer sans risques. Parmi les itinéraires possibles, l’ONU en a recommandé un que nous empruntons chaque jour entre Torit et Ikotos, mais nous devons nous déplacer en convoi militaire. Les groupes armés, actifs dans la zone, n’ont pas d’affiliation claire, on ne comprend pas de quel côté ils sont, ce qui permet des actes criminels autonomes ».
A cela s’ajoute la crise économique. La livre sud-soudanaise a perdu 300% de sa valeur depuis juillet. « Les commerçants kenyans et ougandais n’entrent plus dans le pays, et les denrées de première nécessité manquent partout, explique Maria. Cela fait que la fréquentation des écoles a baissé de 34%. Les enfants restent à la maison, soit pour raison de sécurité soit pour aider les familles à trouver leur subsistance. Certains hommes (dont beaucoup de nos collaborateurs) ont décidé de continuer à travailler sur place pour aider le pays, mais ils ont mis leur famille en sécurité en Ouganda ».

C’est justement la gravité de la situation qui fait que « la visite du pape et de Welby est d’une telle importance et ne peut laisser personne indifférent. C’est un signal fort de l’urgence actuelle. Ce voyage pourra faire connaître au monde ce qui se passe sur place. Mais il est important aussi à cause de l’espérance qu’il donnera aux gens. Les Sud-Soudanais sont épuisés. Cette visite leur redonnera courage, et fera comprendre à la population qu’elle n’est pas seule ». Mais va-t-elle ramener la paix ?
« Pour mettre fin au conflit, beaucoup de choses doivent changer, conclut Maria, surtout dans la tête des gens. Nous espérons que cette visite sera l’occasion d’une conversion pour le peuple, et que le message du pape arrivera jusqu’à ceux qui combattent et jusqu’à ceux qui prennent les décisions impliquant l’avenir de ce pays ».