L'audience du 4 janvier

« Pourquoi un tel sort ? »

Notes de la rencontre des orphélins de Bucarest avec le Pape. « Nous ne connaissons pas le “pourquoi” dans le sens de la cause mais nous connaissons le but que Dieu veut donner : c’est la guérison, la vie ».

SIMONA CAROBENE. Très chère Sainteté, nous sommes aujourd’hui pleins de stupéfaction et de gratitude pour ces vingt années d’amitié qui ont marqué pour toujours notre vie. Nous sommes ici avec un groupe d’enfants roumains, qui ont vécu les blessures de l’abandon et de la maladie, accompagnés de certains de leurs enfants. Ce sont des enfants merveilleux, heureux, qui nous rappellent à chaque instant que la vie est un don. Nos enfants sont le plus beau cadeau que nous pouvions recevoir. Un don inattendu, surtout parce qu’on nous disait que cela ne pouvait pas être possible ou même que c’était mieux de dire “non” à ces vies. Et au contraire, ces enfants nous aident à nous rappeler que la vie de chacun est un don, magnifique, même en des circonstances que nous n’aurions sans doute pas désirées.
Nous sommes ici aujourd’hui pour fêter la victoire de notre vie. Une vie qui, apparemment, valait peu de chose – du moins, c’est ce que l’on nous faisait croire – et qui s’est révélée en fait génératrice et signe de beauté pour tout le monde car Dieu nous regarde de façon différente. Pour Lui, peu importe si nous sommes petits, si nous sommes handicapés, si nous avons beaucoup souffert. Lui, Il nous regarde et nous aime tels que nous sommes.
Nous avons tous besoin d’une maman. Nous avons tous besoin d’un père. Quand ils sont absents, la vie est difficile et il semble que l’on ne peut faire confiance à personne. Par contre, quand il arrive que quelqu’un nous aime, nous commençons à faire confiance et la vie devient plus belle. Quand nous nous rendons compte que quelqu’un nous regarde avec sympathie, tel que nous sommes vraiment, notre vie devient plus belle.
Comme aujourd’hui, Sainteté ! Être ici, pour nous, c’est un cadeau fantastique ! Nous vous en sommes vraiment reconnaissants ! Nous désirons être regardés toujours ainsi. Pour ce que nous sommes, des personnes qui valent beaucoup, uniques, originales, pleines de désirs et d’espérance. Des personnes qui ont lutté toute la vie avec courage, qui souffrent tant encore de leurs blessures passées et des difficultés présentes, et qui ont aussi beaucoup de demandes.

PAPE FRANÇOIS. Chers enfants, chers frères et soeurs, je vous remercie pour cette rencontre et pour la confiance avec laquelle vous m’avez adressé vos demandes, dans lesquelles on sent la réalité de votre vie.
Avant de vous répondre, je voudrais remercier avec vous le Seigneur pour le fait que vous êtes ici, qu’avec la collaboration de nombreux amis, Il vous a aidé à aller de l’avant et à grandir. Et ensemble, rappelons-nous les nombreux enfants et jeunes qui sont allés au Ciel. Prions pour eux et pour ceux qui vivent des situations de grande difficulté, en Roumanie et dans les autres pays du monde. Confions à Dieu et à la Vierge Marie tous les garçons et les fillettes, les jeunes gens et les jeunes filles qui souffrent des maladies, des guerres ou des formes d’esclavage de notre époque.
Et maintenant, je voudrais répondre à vos demandes. Dans ces demandes, il y a beaucoup de “pourquoi”. À certains de ces “pourquoi”, je peux donner une réponse, mais à d’autres, non : seul Dieu peut la donner.

L'audience privée des jeunes roumains au Vatican

DEMANDE. Pourquoi la vie est-elle tellement difficile et entre nous, amis, nous nous disputons souvent ? Et nous nous jouons de mauvais tours ? Vous, les prêtres, vous nous dites d’aller à l’Église. Mais, immédiatement après, quand nous sortons de l’Église, on retombe et on commet des péchés. Alors, pourquoi est-ce que je suis entré à l’Église ? Si je considère que Dieu est dans mon âme, pourquoi est-ce important d’aller à l’Église ?

PAPE FRANÇOIS. Tes “pourquoi” ont une réponse. C’est le péché, l’égoïsme humain. C’est pour cela – comme tu le dis toi-même – “on se dispute souvent”, “on fait le mal”, “on se joue de mauvais tours”. Tu l’as toi-même reconnu que, même si nous allons à l’Église, après, on se trompe encore, on reste toujours pécheurs. Et alors, justement, tu demandes : à quoi cela sert-il d’aller à l’Église ? Cela sert à se mettre devant Dieu, tel que l’on est. À dire : « me voici, Seigneur, je suis pécheur et je te demande pardon. Prends pitié de moi ». Et Jésus nous dit que si nous faisons ainsi, nous rentrons chez nous pardonnés. Ainsi, petit à petit, Dieu transforme notre cœur par Sa miséricorde, et il transforme aussi notre vie. Nous ne restons pas toujours les mêmes, mais nous sommes “travaillés”, comme l’argile dans les mains du potier, et l’amour de Dieu prend la place de notre égoïsme. Voilà pourquoi, cher ami, c’est important d’aller à l’Église.

DEMANDE. Pourquoi y a-t-il des parents qui aiment les enfants sains mais pas ceux qui sont malades ou qui ont des problèmes ?

PAPE FRANÇOIS. Je te répondrais ainsi : face aux fragilités des autres, comme la maladie, il y a certains adultes qui sont plus faibles, qui n’ont pas la force suffisante pour supporter la fragilité. Et cela parce qu’eux-mêmes sont fragiles. Si j’ai une grosse pierre, je ne peux pas l’appuyer sur une boîte en carton. Il y a des parents qui sont fragiles. Parce que ce sont des hommes et des femmes avec leurs limites, leurs péchés, leurs fragilités qu’ils portent en eux. Et peut être n’ont-ils pas eu la chance d’être aidés quand eux-mêmes étaient petits. Tu es d’accord ?

« Dans ces demandes, il y a beaucoup de “pourquoi”. À certains de ces “pourquoi”, je peux donner une réponse, mais à d’autres, non : seul Dieu peut la donner »

DEMANDE. L’an passé, un de nos amis qui était resté à l’orphelinat est mort. Il est mort lors de la semaine sainte, le jeudi saint. Un prêtre nous a dit qu’il est mort pécheur et pour cela, il n’ira pas au Paradis. Moi, je ne crois pas que ce soit comme ça.

PAPE FRANÇOIS. Cela me semble fort étrange ce que tu as entendu dire de ce prêtre, il faudrait mieux comprendre. Peut-être il n’a pas été bien compris. En tous cas, moi je te dis que Dieu veut nous amener tous au Paradis et que durant la semaine sainte, nous célébrons justement cela : la Passion de Jésus qui, en Bon Pasteur, a donné sa vie pour nous qui sommes ses brebis. Et si une brebis se perd, Lui, Il va à sa recherche jusqu’à ce qu’Il la retrouve. Et quand Il la trouve, Il la prend sur ses épaules et, plein de joie, Il la ramène à la maison. Voilà ce que fait le Seigneur durant la semaine sainte, aussi avec votre ami.

DEMANDE. Pourquoi avons-nous ce sort-là ? Pourquoi ? Quel sens cela a-t-il ?

PAPE FRANÇOIS. Ton “pourquoi” est l’un de ceux qui n’ont pas de réponse humaine, mais seulement une réponse divine. Je ne peux pas te dire pourquoi tu as eu “ce sort-là”. Nous ne connaissons pas le “pourquoi” dans le sens de la cause mais nous connaissons le “pourquoi” dans le sens du but que Dieu veut donner à ton sort. Et le but est la guérison, la vie. Jésus le dit dans l’Évangile quand il rencontre un homme aveugle de naissance. Les disciples lui demandent : « Pourquoi est-il ainsi ? Par sa faute à lui ou celle de ses parents ? Et Jésus répond : « Non, ce n’est pas sa faute, ni celle de ses parents, mais il est ainsi pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui » (cfr Jn 9 : 1-3). Cela veut dire que Dieu, face à tant de situations mauvaises dans lesquelles nous pouvons nous trouver, même depuis l’enfance, veut les guérir, les purifier, Il veut porter la vie là où règne la mort. C’est cela que fait Jésus, et c’est cela que font les chrétiens qui sont vraiment unis à Jésus. Vous l’avez expérimenté.

« Jésus est venu former une nouvelle famille, sa famille, où personne n’est seul et nous sommes tous frères et soeurs, fils de notre Père du ciel et de la Mère que Jésus nous a donnée, la Vierge Marie »

DEMANDE. Il arrive que je me sente seule et je ne sais pas quel sens a ma vie. Ma petite fille est en famille d’accueil et certaines personnes jugent que je ne suis pas une bonne maman. Moi, au contraire, je crois que ma fille va bien et que j’ai décidé de façon juste, aussi parce que nous nous voyons souvent.

PAPE FRANÇOIS. Je suis d’accord avec toi que le placement en famille d’accueil peut être une aide dans certaines situations difficiles. L’important est que tout soit fait avec amour, avec attention envers les personnes, avec grand respect… Je comprends que souvent tu te sentes seule. Je te conseille de ne pas te renfermer, de chercher la compagnie de la communauté chrétienne : Jésus est venu former une nouvelle famille, sa famille, où personne n’est seul et nous sommes tous frères et soeurs, fils de notre Père du ciel et de la Mère que Jésus nous a donnée, la Vierge Marie. Et dans la famille de l’Église, nous pouvons tous nous retrouver en guérissant nos blessures et en surmontant les vides d’amour qui, souvent, existent dans nos familles humaines.

DEMANDE. Quand j’avais deux mois, ma maman m’a abandonné dans un orphelinat. À 21 ans, j’ai cherché ma mère et je suis resté avec elle deux semaines, mais elle ne se comportait pas bien avec moi et donc je suis parti. Mon père est mort. Quelle est ma faute si elle ne m’aime pas ? Pourquoi ne m’accepte-t-elle pas ?

PAPE FRANÇOIS. Ce n’est pas une question de faute, c’est une question de grande fragilité des adultes, qui est due, dans vos cas, à tant de misère, à tant d’injustice sociale qui écrase les petits et les pauvres, et aussi à tant de pauvreté spirituelle. Oui, la pauvreté spirituelle endurcit les cœurs et provoque ce qui semble impossible, qu’une mère abandonne son propre enfant : c’est le fruit de la misère matérielle et spirituelle, fruit d’un système social erroné, inhumain.

Les enfants de Bucarest

SIMONA. Moi, ce qui m’a beaucoup frappée, c’est votre message à l’occasion de la Journée Mondiale des pauvres. Il m’a fait tressaillir parce que je me suis demandé : moi, comment est-ce que je regarde mes jeunes ? Parfois, je me rends compte que je suis prise par le “faire” et j’oublie pourquoi Jésus nous a mis ensemble. Il faut que je fasse encore un chemin de conversion, et ce chemin est continu et ne peut jamais être donné pour acquis. C’est pour cela que je continue à suivre mes jeunes, parce qu’ils sont “mes saints”. Et je reste collée à la Sainte Mère l’Église à travers le charisme de don Giussani qui est la modalité concrète qui m’a fait aimer Jésus. En même temps, le rappel de votre message était très concret. Il parlait de véritable partage. J’ai commencé à me demander si peut-être ce n’était pas le moment de faire encore un pas de plus dans ma vie, d’accueil et de partage. C’est un désir du cœur qui est né en moi et que je voudrais vérifier prochainement. Quels sont les signes à regarder pour comprendre quel est le dessein pour moi ? Que veut dire vivre la vocation de la pauvreté jusqu’au bout ?

PAPE FRANÇOIS. Simona, merci pour ton témoignage. Oui, notre vie est toujours un chemin, un chemin à la suite du Seigneur Jésus qui, avec un amour patient et fidèle, ne cesse pas de nous éduquer, de nous faire grandir selon Son dessein. Et parfois, Il nous fait des surprises, pour rompre nos schémas. Ton désir de grandir dans le partage et la pauvreté évangélique vient de l’Esprit Saint ; Il t’aidera à avancer sur ce chemin, sur lequel toi et tes amis, avez fait tant de bien. Vous avez aidé le Seigneur à accomplir Son œuvre pour ces jeunes. Merci encore à vous tous. Vous rencontrer m’a fait beaucoup de bien. Je vous porte dans mes prières, et je vous le demande, vous aussi, priez pour moi !