Le pape François à Pietralcina

Chez Padre Pio

Quelques jours après la visite du Pape, nous sommes allés dans l’hôpital fondé par le saint capucin. Pour voir ce « plus » qui le rend unique et qui touche la vie des médecins, des patients, des parents, des visiteurs... (Tracce 4/2018)
Paola Bergamini

« Laissez-le faire, il me donne sa douleur », murmure pape François en serrant le jeune qui l’embrasse à genoux en mouillant de ses larmes la soutane blanche. Dans cette chambre du service d’oncohématologie pédiatrique de la Maison du Soulagement de la souffrance, à San Giovanni Rotondo, on croirait voir en direct Le fils prodigue de Rembrandt. C’est le 17 mars. Rendant hommage à saint padre Pio dans les lieux où il a vécu, François a voulu rendre visite et rester parler avec ces jeunes malades et leurs parents. Pour chacun il a une caresse, il échange quelques mots. Il embrasse l’enfant congolais qui avait été abandonné dans la jungle parce qu’il était atteint d’une grave malformation au visage : il avait été recueilli par les sœurs et amené à San Giovanni Rotondo pour être opéré. Ce n’est pas le premier : cela fait des années qu’un “pont” relie la Maison du Soulagement à l’Afrique.

Chaque jour, dans les chambres, on vit au contact de la douleur innocente, celle qui est la plus inexplicable. « Un Mystère, comme l’a dit le Pape, qui touche aussi les parents », explique Saverio Ladogana, le chef du service. « François nous a redonné de l’énergie, il a donné de l’espoir, la foi s’est “matérialisée” parce que le premier miracle est d’accepter la situation, la douleur. Ici, nous sommes des privilégiés, et pas seulement parce que nous avons à notre disposition les meilleures technologies, mais parce qu’il y a quelque chose en plus. C’est la présence de Padre Pio que l’on perçoit ».

Ce plus est à l’origine de cette œuvre de miséricorde qui est née dans le désert et du désert. Cela semblait une folie de construire un hôpital sur ce coin de montagne inaccessible éloigné de la ville, où il n’y avait rien si ce n’est le couvent des capucins. C’est là que le capucin franciscain padre Pio se retire pendant l’été 1916 et que le 20 septembre il reçoit les stigmates. La nouvelle se répand rapidement, attirant des foules de personnes qui veulent voir le religieux déjà en odeur de sainteté. Et lui, obéissant à l’Église jusqu’à sa mort, pendant cinquante ans il célèbre la messe, il confesse et il prie. De nombreux malades lui demandent la guérison. Comment les aider ? L’idée lui vient de construire un hôpital, ou plutôt une maison de soulagement de la souffrance.

La rencontre avec les fidèles

La journaliste anglaise
Pour sa construction il s’en remet entièrement à la Providence, impliquant des hommes et des femmes qui, venus d’Italie ou de l’étranger pour le rencontrer, trouvent en ce frère capucin souvent bourru, qui lit dans les cœurs, la possibilité d’une vie nouvelle, inimaginable. Quelque chose qui attire et qui fait rester. En 1947, la pose de la première pierre : il n’y a que 4 millions en caisse. Cela ne fait rien. Les travaux commencent et ne s’arrêtent pas. La Providence s’en charge, et elle a un nom : Barbara Ward, une célèbre journaliste anglaise.

En 1947, elle est en Italie pour son journal, The Economist, et elle doit voir comment le pays se redresse après la guerre avec les aides de l’UNRRA, les fonds américains pour la reconstruction. Amenée par un ami, elle rencontre padre Pio. Elle, qui est catholique, lui demande de prier pour la conversion de son fiancé, un officier australien protestant. Quand elle rentre à Londres, elle apprend la nouvelle : précisément pendant ces jours-là, son fiancé a demandé de faire partie de l’Église catholique. Ensemble, ils se prodiguent pour qu’une partie des fonds soit destinée à la construction de la Maison. On leur accorde 400 millions, mais seulement 250 arrivent à destination : la différence est retenue par le gouvernement italien. En plus de ce don important, des donations et des prières arrivent du monde entier.

Miracles
En 1956, la Maison du Soulagement est inaugurée ; à partir du centre et du sud de l’Italie se répand la nouvelle de cet hôpital qui dès le début est un modèle. Non seulement pour les soins mais, comme le dit padre Pio l’année suivante : « Si c’était pour le soulagement des corps, ce serait seulement la mise en place d’une clinique modèle, construite grâce aux ressources de votre charité, extraordinairement généreuse. Mais celle-ci est stimulée et incitée à être un rappel opérant de l’amour de Dieu, à travers le rappel de la charité. Le souffrant doit y vivre l’amour de Dieu, une sereine méditation de son destin qui le conduit vers Lui ».

Voilà le plus que padre Pio demande, et qui pousse certains médecins à quitter leur propre ville pour déménager à San Giovanni Rotondo afin de pouvoir collaborer à cette œuvre.

Au fil des ans, même après la mort du saint capucin, la structure a continué à s’élargir jusqu’à pouvoir offrir des soins pour toutes les pathologies, avec un degré de développement qui la met aux premiers rangs dans le classement du ministère de la Santé. Mais, comme au début, ce n’est pas cela qui pousse encore les médecins à déménager à la Maison du Soulagement. Cela fait 27 ans qu’Alfredo Del Gaudio fait les allers-retours de Naples, où il a sa famille. « Je pensais rester seulement quelques temps. Je n’en suis plus reparti ». Et il avoue : « On travaille différemment, quand on a à l’esprit que l’on apporte l’amour de Dieu au malade dans son lit d’hôpital ». Et il l’a expérimenté directement. En l’an 2000, il masse pendant plus d’une heure le cœur du petit Matteo Colella, sept ans, hospitalisé pour une méningite fulgurante. Ses parents prient padre Pio dans la chapelle de l’hôpital. Désormais, il n’y a plus aucun espoir, d’un point de vue humain. Mais l’enfant se réveille et demande une glace. Après avoir fait tous les examens voulus, on arrive à la conclusion qu’il est complètement guéri. C’est le miracle qui conduira à la canonisation du frère capucin.

Il y a sept ans, Roberto Cocchi quitte Bologne parce que « j’avais envie d’innover et j’avais l’idée d’un service unique pour la tête et le cou. Voilà, ici j’ai pu la réaliser. C’est quelque chose d’unique ». Puis, presque en passant, il dit : « J’ai dédié ma vie au malade, depuis toujours. Il m’arrive que certains patients m’embrassent lorsqu’ils me croisent ». Parfois, ce ne sont que des signes, que l’on perçoit dans la façon de se traiter entre collègues, de s’occuper du malade. « L’hôpital est quelque chose qui t’appartient », ajoute Karim Tewfik, jeune chirurgien milanais. On comprend que les tableaux, les statues de padre Pio et de la Vierge Marie disséminés dans tout l’hôpital ne sont pas là par hasard, mais qu’ils rappellent toujours Celui pour qui on travaille et on vit. Et ce n’est pas un hasard si on en voit certains qui s’arrêtent pour un signe de croix, ou si chaque jour on récite le chapelet dans la chapelle. C’est ce plus, ou simplement ce « padre Pio que l’on perçoit ».

C’est la prière qui soutient la Maison, comme le dit padre Pio : « Cette force unie de toutes les bonnes âmes, qui fait bouger le monde, qui renouvelle les consciences. Priez beaucoup, mes enfants ; priez toujours, sans jamais vous lasser, parce que c’est précisément à la prière que je confie cette œuvre, que Dieu a voulue et qui continuera à se maintenir et à prospérer grâce à l’aide de la Divine Providence et à la contribution spirituelle et caritative de toutes les âmes qui prient ».

Monseigneur Michele Castoro, archevêque de Manfredonia-Vieste- San Giovanni Rotondo et directeur général de l’Association Groupes de prière, rappelle ce qu’a dit Francesco à la fin de l’audience en s’adressant au 80 000 participants des groupes de prière Place Saint-Pierre : « Que tous ceux qui viennent dans votre belle région – et moi j’ai envie d’y aller ! – puissent trouver en vous aussi un reflet de la lumière du Ciel ! ». Et il ajoute : « Et il est venu ! Pour moi, en ce moment particulier marqué par la maladie, son affection et son attention m’ont encore plus fait percevoir l’Église comme une famille ».

Préjugés
Il y a dix ans, Domenico Crupi, originaire de Gênes, a été nommé directeur général par le Saint-Siège (la Maison du Soulagement de la souffrance est une propriété du Vatican, ndr). La première fois qu’il a suivi les six tournants pour arriver en haut, à San Giovanni, il ne pensait pas du tout que cet endroit pouvait être un “reflet de la lumière du Ciel”, à cause aussi de certains préjugés. Dans un premier temps, il observe, pour se faire une idée. Il commence à lire les discours, les lettres du saint de Pietrelcina. « J’ai compris que la qualité requise nécessaire pour la survie de cette œuvre consistait seulement dans l’amour au malade tel que lui il en parlait. J’ai revu tous mes schémas de pensée. Cela ne pouvait pas être ma bravoure qui pourrait la maintenir ni même le professionnalisme des médecins, qui subsiste pourtant. Le miracle de padre Pio, à l’époque comme aujourd’hui, est de “conditionner” le travail, la vie des hommes et des femmes. C’est pour cela que le charisme doit être maintenu en vie ». Cela semble paradoxal pour un responsable qui s’occupe de budgets, de gestion, et d’équilibre des comptes. « C’est un travail d’équipe, ou plutôt d’une communauté chrétienne. Tout est pour la sacralité du malade, pour la centralité de la personne. Toutes les ressources, y compris économiques, vont dans ce sens. Il y a des idées, des possibilités, des recherches qui se font jour pour ce plus, en impliquant aussi d’autres unités hospitalières en Italie. On travaille ensemble ». Avec ses collaborateurs, il a puisé dans les enseignements de l’Église : Paul VI, Benoît XVI et maintenant François. Une communauté chrétienne qui vit la dimension de l’accueil, souvent de façon silencieuse. Comme pour cette enfant abandonnée à la naissance par sa mère parce qu’elle était atteinte par plusieurs pathologies, avec une espérance de vie réduite à huit mois tout au plus. Elle a vécu dans le service pendant sept ans, adoptée en quelque sorte par tout le personnel. Ou les enfants que sœur Laura, missionnaire salésienne en Éthiopie, envoie à San Giovanni Rotondo pour être soignés. « C’est cela le charisme comme témoignage vivant », dit Crupi.

Le robot Mario
« Un centre d’études intercontinental devra collaborer avec le personnel sanitaire pour parfaire leur culture professionnelle et leur formation chrétienne ». Les paroles de padre Pio en 1957 ont été prophétiques dans l’avancée de la recherche au niveau mondial qui a accompagné le soin des malades ces dernières années. Elle date de ces derniers jours la nouvelle de la première greffe avec des cellules souches humaines sur un patient atteint de sclérose en plaques évolutive. Dans le domaine technologique “Mario” est le robot, en cours d’achèvement, qui aidera les patients âgés atteints de démence sénile et Alzheimer. Prendre soin du malade implique aussi une entreprise agri-zootechnique qui, avec plus 800 vaches, fournit des produits laitiers et de la viande pour tout l’hôpital. Et des mini-appartements mis à disposition des parents dont les enfants sont dans le service d’oncologie et qui devront rester longtemps à San Giovanni Rotondo.

C’est la charité chrétienne qui investit tous les aspects de la vie. Ce sont les paroles du Pape en ce 17 mars : « La vie chrétienne n’est pas un “ça me plaît” mais un “je me donne”. La vie a du parfum quand elle est offerte en don ; elle devient insipide quand on la garde pour soi ».