La Colline des Croix à Vilnius

Lituanie. « Voilà comment et pourquoi nous attendons le Pape »

En 1993, c’était la première visite de Jean Paul II à un pays ex-communiste. Samedi, François sera aussi parmi les lituaniens. À Vilnius, « nous sommes impatients de rencontrer le premier visage que Jésus nous met sous les yeux pour Le suivre »
Paolo Perego

L’annonce nous est parvenue avant l’été : du 22 au 25 septembre le Pape visitera la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie. « Il vient chez nous pour commémorer le centenaire de la première indépendance de notre pays », ont commenté certains membres des institutions lituaniennes, associant la visite du pontife aux festivités programmées. « Ce n‘est pas vrai », a immédiatement précisé l’archevêque de Vilnius, monseigneur Gintaras Grušas : « Il s’agit de la visite de celui qui guide l’Église et qui vient rencontrer un peuple. Il vient en raison de la foi, il ne vient pas pour l’État ». Et, surtout, sa visite aura lieu exactement vingt-cinq ans après la visite historique de Jean Paul II, en septembre 1993 – la première à un pays ex-communiste, seulement deux ans après la proclamation de son indépendance de la Russie.

« L’annonce de cette visite a été aussi une provocation pour nous de la communauté de CL », explique Inga Žukovaitė, née en 1986, fonctionnaire au tribunal de Vilnius : « C’est pourquoi, aux vacances de mi-juillet, nous avons organisé une rencontre sur le pape François, sur son magistère. Pour aider à mieux le connaître, pour faire comprendre la nouveauté qu’il apporte ».

La Lituanie est un pays catholique. La tradition chrétienne, asphyxiée et harcelée par le communisme soviétique, a repris vigueur durant les années 90, après la chute du régime de Moscou et suite à l’indépendance. En 1993, lors de la visite de Jean Paul II, la parole “miséricorde”, si chère au pape Bergoglio, résonnait déjà dans la cathédrale de Vilnius comme sur la Colline des croix, un lieu sacré pour la population, plein de symboles créés par les lituaniens pour mémoriser et offrir leur souffrance : « Terre des martyrs », l’a définie Wojtyla, en lançant aux “vaincus” comme aux “vainqueurs” un appel à la conversion et au pardon.

« Ici, l’histoire a modelé un peuple très différent des autres peuples européens », fait remarquer Inga : « Trente années ont passé depuis la chute du régime. Mes parents sont nés sous le communisme, et quand la liberté est venue, ils ont dû apprendre à s’en servir ». Au fil des années, le contenu de la tradition chrétienne s’est vidé toujours davantage : « Il n’a pas complètement disparu aujourd’hui, mais il lui manque la vie. Les jeunes ne vont plus à l’église, au maximum ils font baptiser leurs enfants et se marient devant l’autel, mais il s’agit plutôt d’un rituel ». Même l’usage de la liberté retrouvée reste encore “compliqué” : « Certes, les moins de trente ans ne portent pas le poids des décennies de régime communiste. Par contre, même les plus jeunes ont une idée de l’Europe, de la démocratie, de la liberté sans jamais avoir été éduqués à la compréhension de leur fondement. Comme si, depuis l’indépendance, on avait accueilli tout ce qui arrivait de l’Occident sans le moindre jugement ». Inga parle d’une “culture du non-penser” : « Sous l’URSS il était dangereux de penser. Mais cette mentalité a survécu même à la désagrégation de l’idéologie ». Une conception qui continue à imprégner le système éducatif, par exemple, et dont les conséquences sont toujours visibles dans la corruption, si difficile à déraciner.

Jean Paul II en prière à Vilnius en 1993

Certains, observant la Lituanie, ont souligné le pourcentage élevé des suicides ou le grand nombre de jeunes émigrants, et l’ont défini comme un pays “sans espoir” : « Ce n’est pas vrai ! Certes, il y a des difficultés. On gagne plus à l’étranger, mais le travail ne manque pas et le pays est en pleine croissance », réplique Inga : « La vérité est que nous sommes un peuple fort, capable de nous battre. Il y a ici tant de jeunes, d’adultes, de familles qui ont envie de construire. Qui vivent. Et les conditions ne manquent pas… Il faudra du temps, bien sûr, Mais, justement, le temps nous est donné pour le vivre ».

Voilà l’esprit avec lequel elle et ses amis attendent la visite de François, poursuit Inga : « C’est quelqu’un qui parle d’un espoir dans la vie, qui témoigne d’une certitude et ne cesse d’attirer l’attention sur le salut dans n’importe quelle circonstance de la vie. Comme pour dire : “Rien ne vous manque”. Le Pape vient nous donner Jésus, qui que nous soyons ».

La cathédrale des saints Stanislas et Ladislas

C’est précisément ce qui a émergé aux vacances de la communauté, durant la soirée consacrée à François : « Ici aussi, comme partout, les gens connaissent bien le Pape, mais plutôt comme “caricature” ». Le Pape des pauvres, le Pape simple… « Mais quasi personne ne lit les quelques rares traductions de son magistère », ajoute Inga. Aux vacances, par contre, on a justement pris ses paroles et ses gestes comme point de départ pour “raconter” François. « Chez beaucoup la réaction a été la stupeur, la curiosité. C’est beau, car c’est le premier pas de la connaissance ».

Un pas personnel, en fait. Le même qui portera la communauté de CL sur la place à Vilnius, le weekend prochain : « Nous serons une quarantaine à participer à la rencontre avec les jeunes dans la capitale, devant la cathédrale, samedi après-midi. D’autres amis, même de la Russie, nous rejoindront pour la messe à Kaunas, dimanche matin ». Mais le Pape François rencontrera aussi les familles lituaniennes de l’ONG Sotas, partenaire local de l’Avsi, qui accueillent des mineurs. En outre, la présidente de la Lituanie, Dalia Grybauskaite, a demandé au responsable de Sotas de participer à la rencontre entre François et les autorités.

« C’est une opportunité pour nous et pour tous », conclut Inga : « Comme tant de participants l’ont perçu aux vacances, le fait de suivre le Pape nous rapproche de Jésus, parce qu’il est le premier visage qu’Il nous met sous les yeux pour Le suivre. Et nous sommes impatients de voir ce visage ».