Le cardinal Giuseppe Betori

Monseigneur Betori: « Pour don Giussani, l’essence du christianisme était le concept du "centuple" »

L’homélie de l’archevêque de Florence, à l’occasion de la messe de commémoration de la mort du fondateur de CL, le 17 février dernier. « Ce n’est que dans l’engagement personnel de chacun avec le christianisme que le miracle de l’unité peut se réaliser »

Le rendez-vous annuel pour commémorer la mort de don Luigi Giussani et la reconnaissance de la Fraternité de Communion et Libération, a lieu cette année le jour où nous célébrons les Sept Saints Fondateurs (en 1233) de l’ordre religieux « des Servites de Marie », qui comme chaque année nous accueille fraternellement dans cette basilique. Comment pourrions-nous donc les oublier alors même que nous nous trouvons dans ce lieu qui fut leur première demeure ?
La célébration des saints, dans le rituel de l’église, n’a pas pour but de les exalter - chose dont ils n’auraient aucun besoin - mais plutôt celui d’édifier le peuple chrétien. Les saints sont comme des lanternes capables d’éclairer notre vie chrétienne, et ils en font ressortir les aspects essentiels grâce à leurs caractères, leurs formes et leurs histoires différentes. J’aimerais donc m’arrêter ce soir sur certains aspects de la sainteté des Sept Saints Fondateurs qui peuvent nous aider dans notre chemin de vie chrétienne.

1. Les documents plus anciens qui les concernent font référence à sept hommes riches qui vivaient à Florence et qui étaient tous « amoureux de la Vierge Marie ». Ce n’est donc pas un projet ou un programme de vie qui les a unis, mais le fait qu’il étaient tous, chacun personnellement, amoureux de la Vierge Marie. C’est leur foi personnelle qui les a unis. Celui qui vit une expérience de foi intense, profonde et authentique trouve facilement des amis et des compagnons de route. A tel point qu’ils peuvent même unir leurs vies, ce qui est une des caractéristiques suprêmes et fascinantes de la vie chrétienne.
Ne nous faisons pas d’illusions : ce n'est qu'à travers l’engagement personnel de chacun avec le christianisme, ce que don Giussani appelait « la personnalisation de la foi », que peut se réaliser le miracle de l’unité. Don Giussani écrivait dans le texte que vous êtes en train de méditer dans l’école de communauté : « La plus grande chose que l’on puisse voir dans le monde c’est que certains hommes sont unis entre eux en tant que membres d’un seul Corps. Non pas parce qu’ils seraient engagés dans un projet commun, mais parce qu’ils sont appelés par le Christ Lui-même » (Engendrer des traces dans l’histoire du monde, éd Parole et Silence, p.68).
C’est ainsi que cela s’est passé pour les Sept Saint Fondateurs des « Servites de Marie ». Cela nous permet de mieux comprendre les mots de l’apôtre Paul que nous venons d’écouter : « Nous savons d’ailleurs que Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment, ceux qui sont appelés conformément à son dessein » (Rm 8,28). Et il continue en décrivant la belle parabole à laquelle arrive l’expérience chrétienne : « Ceux qu’il connaissait par avance, il les a aussi destinés à être à l’image de son Fils, pour faire de ce Fils l’aîné d’une multitude de frères. Ceux qu’il destinait à cette ressemblance, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés ».
La réponse à l’appel de Dieu dans l’évangile est un fait personnel, que nous ne pouvons déléguer à personne d’autre. C’est à partir de cette réponse personnelle que nait le miracle de l’unité des croyants, comme un prélude et un signe de la grande unité de la famille humaine.



2. Le deuxième aspect que j’aimerais souligner est que ces sept hommes -certains étaient mariés, d’autres veufs, d‘autres célibataires- ont décidé de tout abandonner et de commencer une vie intense et commune de prière, de pénitence et de service envers le prochain, pour rendre service à la Vierge Marie à laquelle ils voulaient dévouer leurs vies.
C’est un grand classique de la sainteté que de renoncer aux biens matériels pour suivre Jésus. Attention, cependant à ne pas réduire automatiquement ce geste à un geste héroïque et sublime dont sont capables seulement certains hommes. Comme nous le montre l’évangile d’aujourd’hui, il s’agit d’un geste qui est au cœur même de l’expérience chrétienne depuis ses origines. Cela a commencé avec les premiers disciples et a continué ensuite avec chaque disciple, jusqu’à chacun d’entre nous. Pierre prit la parole et dit à Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre : quelle sera donc notre part ? » Jésus leur déclara : « Amen, je vous le dis : lors du renouvellement du monde, lorsque le Fils de l’homme siégera sur son trône de gloire, vous qui m’avez suivi, vous siégerez vous aussi sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël. Et celui qui aura quitté, à cause de mon nom, des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, ou une terre, recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle. » (Mt 19,27-29).

Vous savez mieux que moi combien de fois don Giussani est revenu sur cette page de l’évangile et combien l’idée du centuple était centrale dans sa perception du christianisme. La foi qui nait de la rencontre avec Jésus a une capacité sans équivalents de catalyser la personne tout entière (c’est de là que vient le renoncement aux biens matériels !). Mais la motivation, la raison qui vaut le sacrifice de sa propre personne, c’est qu’il y a un avantage pour l’homme. Jésus l’a exprimé d’une façon simple et efficace en parlant du centuple. Don Giussani l’expliquait de cette façon : « Je disais aux élèves du lycée Berchet : le centuple ici-bas, est-ce que vous comprenez ce que cela sous-entend ? Le centuple signifie que j’aimerai ma mère, mon père, mon copain ou ma copine, mes amis, cent fois plus…j’étudierai avec cent fois plus de goût, je serai cent fois plus capable de supporter les difficultés de la vie ! » (Réaltà e Giovinezza. La sfida, Milan : Rizzoli, 2018). La forme à travers laquelle s’exprime la décision de suivre (le Christ, ndt) d'une façon si radicale , nous ne la décidons pas, nous. Pour les Sept Saints Fondateurs cela a voulu dire poser les racines, les fondements d’un nouvel ordre religieux. Mais les mots de Jésus sont valables pour tous : Le suivre est tellement rentable pour l’expérience humaine que cela vaut plus que tout le reste. Cela a été et reste l’expérience à l’origine de chaque véritable disciple. Quelle lumière peuvent irradier les chrétiens qui vivent de cette façon !

3. Ceci nous introduit à un troisième aspect de l’expérience des Sept Saints. Les gens de la ville où ils demeuraient, étaient éblouis par la façon dont ils vivaient, et beaucoup de personnes les fréquentaient, leur demandaient des prières, des conseils, et ont commencé à les suivre et à les admirer. Les historiens l’affirment : « Ils furent vénérés à cause de leur charité orientée vers Dieu, envers eux-mêmes et leurs prochains : chaque jour ils recevaient des visites d’hommes et de femmes qui désiraient leur protection et aspiraient à être formés selon leur paroles et leur mode de vie. Leurs prières et leurs conseils étaient très recherchés » (Legenda de Origine Ordinis, § 40). Leur impact sur la ville eut une telle ampleur qu’ils furent obligés de se réfugier sur le Mont Senario (près de Florence - ndt) afin de pouvoir vivre leur vie de prière. Encore une fois, la forme n’a pas d’importance, mais ce qui est important est ce que ce fait nous révèle. Le christianisme se propage à travers la dynamique de l’attraction comme nous le répète souvent, en suivant l’exemple de son prédécesseur, le pape François. Si la vie chrétienne a un futur à Florence ce sera grâce à ces témoignages simples et essentiels de vie évangélique, d’hommes et de femmes, conquis par Jésus et qui commencent à Le suivre. Ils seront pour le monde la démonstration de la différence en humanité qu’engendre le fait de suivre Jésus. Comme nous l’avons entendu il y a deux dimanches dans l’évangile : « Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. » (Mt 5,16).

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Je souhaite donc qu’en suivant votre charisme, vous puissiez faire resplendir dans notre ville quelque chose de ce qu’a été le témoignage des Sept Saints Fondateurs au XIIIème siècle. Le défi que l’évangile nous lance n’est pas moins important aujourd’hui qu’à leur époque, il s’agit du défi d’être des gens pour lesquels le christianisme est tout dans la vie, et de le montrer au monde, qui en a énormément besoin, à travers un témoignage vivant et efficace.