La rencontre avec des professeurs de l'université (Photo : Catholic Press Photo/Vatican Media)

La Belgique, une espérance ancienne à redécouvrir

Jan De Volder, professeur à l'Université catholique de Louvain, commente le voyage du Pape en Belgique et sa visite pour le six centième anniversaire de l'université : « Il nous a demandé de ne pas perdre de vue la recherche de la vérité 
Luca Fiore

« J'ai vu un pape combatif. Âgé de corps, mais plein d'énergie capable d'ébranler une communauté chrétienne qui lui semblait un peu endormie, craintive et perplexe. Nous nous attendions à voir un vieil homme engagé dans des discours institutionnels, mais cela n’a pas du tout été le cas : nous l'avons vu affectueux, intelligent, toujours prêt à la répartie. Espiègle. Cela m'a surpris. Cela nous a surpris ». Jan De Volder est professeur à l'Université catholique de Louvain, où il enseigne à la faculté de Théologie et d'Etudes religieuses, et titulaire de la chaire « Religion, conflit et paix ». Au lendemain de ce qui fut peut-être le voyage le plus difficile de tout le pontificat, pour la première fois au cœur de l'Europe sécularisée, le professeur belge tente d'identifier les points saillants du message apporté par le pape François à son pays. « Le climat de la veille n'était pas très favorable : l'opinion publique apparaissait tantôt sceptique, tantôt très critique, voire cynique. Certains pensaient même que, après le long et exigeant voyage en Orient, la visite du Pape dans notre pays aurait pu être annulée. Puis il est arrivé et, comme cela arrive souvent avec François, les choses ont bougé ».

Qu'est-ce qui vous a le plus frappé ?

L’étape belge de ce voyage s'est ouverte par une visite au roi Philippe, au palais royal, où le Premier ministre Alexander De Croo a prononcé un discours très dur sur les abus sexuels dans l'Église et sur la façon dont la hiérarchie ecclésiale a traité les cas qui ont émergé ces dernières années. À cela, le Pape a réagi en sortant du texte préparé et en disant, sans équivoque, qu'il s'agissait d'épisodes intolérables et que l'Église devait veiller à ce qu'ils ne se reproduisent plus. Il a demandé pardon et a défini ce qui s'est passé comme étant « notre honte et notre humiliation ». Par la suite, il a rencontré les victimes d'abus. Là aussi, il y a eu des critiques parce qu’on disait qu'une heure de conversation avec 15 personnes, compte tenu de la tradition, aurait été trop peu. En fait, François s'est entretenu avec eux pendant près de deux heures de rencontre ouverte. Après quoi, les victimes, presque toutes critiques à la veille de cette rencontre, ont déclaré qu'elles étaient heureuses parce qu'elles se sont senties écoutées par un pape ému et empathique. Il me semble que l'opinion publique l'a également apprécié.

À l'université également, cela n’a pas été facile.

Au cœur de la visite se trouvait l'invitation faite au Pape pour le six centième anniversaire de la fondation de l'Université catholique de Louvain qui, en 1972, s'est scindée en deux : Louvain, du côté flamand (Katholieke Universiteit Leuven ou KU Leuven, ndlr) et Louvain-la-Neuve, du côté francophone (Université catholique de Louvain ou UCLouvain, ndlr). Le vendredi, le Pape a rencontré des professeurs à Louvain sur le thème des réfugiés, tandis que le samedi, il a rencontré des étudiants à Louvain-la-Neuve sur le thème de l'encyclique Laudato si'. Les recteurs des deux universités ont remercié le Souverain Pontife pour ses stimuli sur chacun de ces deux thèmes, mais dans leurs discours, ils ont voulu réitérer certains thèmes typiques de la culture libérale qui domine dans ces deux universités : celle de l'ouverture au monde LGBTQIA+ et celle de l'ouverture envers les femmes, demandant également l'introduction du sacerdoce féminin. Le Pape a décidé de ne pas répondre directement à ces sollicitations, mais à Louvain-la-Neuve, il a abordé le thème du rôle des femmes, reproposant le discours classique de la doctrine chrétienne catholique. Il a insisté sur la complémentarité entre l'homme et la femme dans la vie de l'Église, réaffirmant que ce ne sont pas des réalités interchangeables. Certains n'ont pas apprécié cela, à tel point que la rectrice de l’UCLouvain a publié un communiqué de désaccord avec les paroles du pape à la fin de son discours. François, dans l'avion de retour, a fait remarquer qu'il n'est pas « moral » de publier une prise de position sans tenir compte de ce qui a été réellement dit.

La rencontre avec des professeurs de l'université (Photo : Catholic Press Photo/Vatican Media)

Au-delà des tensions, le Pape a donné son point de vue sur la mission de l'université.
Sa lecture était intéressante : il a fait l’éloge du monde des études académiques, tout en demandant d'ouvrir les frontières de la connaissance. Il a invité à ne pas perdre de vue la recherche de la vérité, critiquant ainsi les idéologies qui conditionnent la recherche et ceux qui renoncent au désir de connaître la vérité. Ce sont des sujets utiles que l'on entend rarement au sein des universités. Il y aurait bien des choses encore à explorer, à relire et à débattre. Je ne peux pas dire si cela aura lieu ou si tout continuera comme si de rien n'était. Il est encore trop tôt pour le dire.

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La visite au tombeau du roi Baudouin a été un geste très important.
L'estime que les Papes ont eue pour le roi est bien connue. Il a démissionné pendant deux jours pour ne pas signer la loi légalisant l'avortement. Il est décédé un an plus tard et s’en est suivi un deuil national qui a été très ressenti également au niveau populaire. Il était considéré, aux yeux de la plupart des gens, comme un homme très croyant, peut-être même trop croyant pour le belge moyen. Il était considéré comme un homme droit, qui avait suivi sa conscience. Sa mémoire aujourd'hui est peut-être un peu effacée. Cependant, justement ces dernières semaines, on discute au Parlement belge de la possibilité d'une plus grande libéralisation de l'avortement. Le Pape n'en a pas parlé dans ses discours, mais il est allé prier sur la tombe du roi et, à la fin de la messe, le dimanche, il a annoncé qu'il demanderait le lancement du procès pour sa béatification. Cela a surpris un peu tout le monde.

Quel était son message, en revanche, à la communauté chrétienne ?

Il a insisté sur la joie et sur l'évangélisation. Il doit avoir l'impression que notre Église est fatiguée dans un pays qui s'est sécularisé très rapidement. Il nous a donc invités à sortir de la défensive et à nous mettre au service de l'Évangile et de la mission. En ne pensant plus que nous sommes en position majoritaire, mais sachant que nous sommes minoritaires. Il nous demande d'avoir le courage d'apporter le message du Christ à tous.

Le Pape a dit lors de son premier discours en Belgique : « L'Eglise catholique veut être une présence qui, en témoignant de sa foi dans le Christ ressuscité, offre aux personnes, aux familles, aux sociétés et aux Nations une espérance ancienne et toujours nouvelle ; une présence qui aide chacun à affronter les défis et les épreuves, sans enthousiasme facile ni pessimisme morose, mais avec la certitude que l'être humain est aimé de Dieu et a une vocation éternelle de paix et de bonté et n'est pas destiné à la dissolution et au néant »
Oui, l’espérance était précisément le thème de cette visite : « En route avec Espérance ». Le Pape perçoit la Belgique comme un lieu un peu déprimé, surtout pour l'Église et pour les chrétiens, et il a donc voulu proposer l'espérance ancienne, parce qu'elle a des racines dans l'Évangile, dans le message du Christ qui a vaincu le mal et la mort sur la croix, mais il a également réaffirmé que cet élan peut être vécu à notre époque avec une vigueur nouvelle. C’est un message d’espérance pleine de jeunesse qui vient d'un homme de quatre-vingt-huit ans. La fragilité de son corps renforçait la force de ses paroles. Cela a été un voyage vital conçu comme une invitation à la vie. Je pense que cela a touché beaucoup de gens, certainement les jeunes. Et il y en a eu des milliers lors de la veillée avec les jeunes. Ce n’était pas programmé que le Pape y aille, mais il a voulu y être. C'était un moment festif, où nous avons vu un peuple de jeunes qui désirent être chrétiens. La messe du dimanche a été un moment de fête, mais aussi de prière. Le silence était vraiment le silence.

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Il y a donc aussi un aspect vital en Belgique...
L'Église en Belgique n'est pas morte et n'est pas sur le point de mourir. Il y a des gens qui désirent vivre le christianisme d'une manière fraîche et nouvelle, joyeuse, sans débats trop idéologiques qui appartiennent surtout à l'ancienne génération. C'est vrai, les jeunes sont immergés dans un contexte de culture woke, même à l'université. Mais il y a beaucoup de jeunes, peut-être moins d'intellectuels (même s'il y en a parmi eux qui deviendront des intellectuels), qui désirent vivre de toute façon le christianisme d'une manière nouvelle. C'était une découverte pour les médias, car c'est un monde dont les journaux ne parlent jamais ou rarement. Mais la venue du Pape a aussi stimulé cette visibilité, car cette veillée des jeunes n'aurait pas eu lieu sans lui. C'était une explosion de joie. Pour moi, c'était peut-être le plus beau moment de la visite.