Laurent Lafforgue

Lafforgue: la vérité est que, sans le Christ, nous sommes perdus

Décoré en 2002 de la Fields Medal, le Prix Nobel de Mathématique, Laurent Lafforgue regarde avec une grande perplexité ce qui est en train de se passer en Europe et dans les pays membres de l'Union européenne.
Luca Fiore

Décoré en 2002 de la Fields Medal, le Prix Nobel de Mathématique, Laurent Laforge, n'est pas un intellectuel qui ne connait que les auditoires et les formules. Né en 1966, il a été, durant ces dernières années, protagoniste du débat sur l'école publique dans son pays, et aujourd'hui, il regarde avec une grande perplexité ce qui est en train de se passer en Europe et dans les pays membres de l'Union européenne.

Quel effet vous a fait de lire ce document ? (le tract du Mouvement : "Un nouveau commencement est-il possible ?", ndt)
Cela me fait penser, en général, qu'il n'existe aucune institution qui aille dans la bonne direction de façon automatique, même si, à leur origine, elles ont été créées avec de bonnes intentions. Il n'est pas possible de créer des institutions qui puissent se substituer à la liberté humaine et se diriger dans la direction du bien. Même si nous le pensions, nous finirions par créer des machines perverses. Nous pouvons le voir dans le projet européen qui est en train de réaliser des aberrations toujours plus grandes, contraires à l'esprit des pères fondateurs.

Le tract reprend l'expression de Habermas citée par Benoît XVI concernant la nécessité d'une forme raisonnable pour résoudre les contrastes politiques et le respect d’un "processus d'argumentation sensible à la vérité". Qu'est-ce que cela signifie pour vous ?
Dans le monde moderne, nous avons en grande partie perdu le "sens de la vérité" parce que nous la cherchons avec le critère de l'objectivité parfaite. Nous voudrions une machine qui trouve la vérité de façon automatique, à notre place. Mais il n'existe aucun mécanisme qui puisse le faire, aucune institution, aucun régime politique, aucune constitution... Aujourd'hui, nous voyons les conséquences de la perte de la sensibilité à la vérité et en même temps nous n'avons pas de recette pour retrouver cette sensibilité. Nous, en tant que chrétiens, nous essayons d'être humbles sur ce thème.

Dans quel sens?
Le christianisme dit que, face à la vérité, nous sommes très fragiles. Non seulement notre sens moral est blessé, nous sommes pécheurs, mais notre intelligence, elle aussi, est blessée. Nous sommes donc exposés à tout instant à l'erreur. Pour nous préserver de l'erreur et pour espérer avancer sur le chemin de la vérité, nous n'avons pas de meilleure ressource que celle de la prière. Notre intelligence est faible, tout autant que notre volonté. Nous avons besoin de nous tourner vers Dieu et de Le prier de nous illuminer. Mais cela ne nous dispense pas d'utiliser la rigueur de la raison, cela ne nous dispense pas d'être intelligent.

Quel est l'apport du christianisme à l'Europe?
Je ne parlerai pas de la contribution du christianisme, mais de celle du Christ. Au fond, nous les chrétiens, ne sommes pas intéressés par le christianisme. Il y a des personnes qui s'y intéressent, peut-être même ne sont-elles pas chrétiennes ? Mais elles veulent voir les effets de la foi chrétienne dans l'histoire, ce que les chrétiens ont fait de bien et de mal, les fruits de l'Église. Pour nous, être chrétien ne consiste pas à faire quelque chose du christianisme, mais à s'adresser à Dieu. Cela ne signifie pas que nous sommes désintéressés de l'histoire, parce qu’en partie, nous avons connu le Christ à travers la tradition. Nous sommes liés au Christ historique à travers une chaîne historique. Aujourd'hui, le sentiment qui domine en moi est que, sans le Christ, nous sommes perdus. Vous avez en mémoire ce passage de l'Évangile où Jésus voit la foule et s'émeut parce qu'ils étaient comme des "brebis sans berger"?

Est-ce cela être chrétien face au monde ? Que le Christ est la réponse au besoin de l'homme ?
Je suis bouleversé par une phrase de saint Pierre: "Seigneur, nous ne comprenons pas tout ce que tu dis, mais où irions-nous? Toi seul as les paroles de la vie éternelle". Cela me surprend, je tente de faire cette phrase mienne et je vois que je ne suis pas le seul à le désirer. Mais je vois que la plus grande partie des gens est désespérée et ils pensent que cela est irrémédiable.

Vous avez participé au débat sur l'école en France. Qu'est-ce qui vous a poussé à le faire et, en cela, dans quelle mesure avez-vous compté sur le fait que vous êtes chrétien?
La foi chrétienne rend attentif aux personnes et donne les raisons pour transmettre la vie. Cela signifie mettre au monde des enfants, certes, mais aussi transmettre la vie intellectuelle. Aujourd'hui, au fond, le problème de l'école est qu'on ne sait plus bien pourquoi on doit transmettre le savoir. Pour nous chrétiens, c'est le Christ qui nous le fait voir. C'est le lien avec Lui qui rend raison de la valeur de la vie, mais non un travail intellectuel, et une théorie qui justifient la vie. Si nous sommes tournés vers le Christ, la valeur de la vie est une évidence sensible, visible dans toute sa plénitude. Le Christ est le modèle de l'homme, mais aussi le modèle du maître.

Si vous deviez dire en quelques mots si un nouveau commencement est possible, que diriez-vous?
Seul l'Esprit Saint peut générer un nouveau commencement, avec les seules forces humaines, cela est impossible. L'année dernière, en France, nous avons vu le gouvernement proposer une loi dénaturant le mariage, mais dans la surprise générale, une très forte opposition s'est manifestée. Des millions de personnes sont descendues dans la rue pour manifester contre cette loi. De cette manifestation est né le mouvement des Veilleurs. C'est quelque chose d'imprévu et personne ne sait quels fruits cela produira.

Qu'est-ce qui vous frappe chez ces Veilleurs ?
Ce sont des jeunes qui s’assoient, par terre, en silence et qui écoutent la lecture de textes littéraires ou philosophiques. Leur but est de retrouver les fondements philosophiques de la société, c'est impressionnant, ils sont une véritable surprise.

Ils sont une espérance pour l'Europe?
C'est impensable que les politiciens se convertissent d'un seul coup. Pas même les institutions ne pourront les convertir. C'est au niveau des personnes que quelque chose peut arriver.