Protagonistes de la périphérie

Irak, Syrie, Terre Sainte et Ukraine. La guerre vue par ceux qui désirent la paix et voient la souffrance des victimes. Rencontre à Rimini de quatre témoins des fronts chauds de la planète.
Luca Fiore

IRAK. « Depuis trois mois, aucune prière chrétienne ne s’élève de Mossoul. Pourquoi ?
Enlèvements, exécutions, décapitations. L’Irak a vécu un été de l’horreur. L’été du « N » pour « nazaréens » sur les maisons des chrétiens de Mossoul, le signe de la honte. Mais les autres minorités ont aussi souffert beaucoup, surtout les Yazidis et les musulmans qui n’acceptent pas la loi folle du Califat. Évêque auxiliaire de Bagdad, Monseigneur Shlemon Warduni en sait quelque chose, lui qui assiste à la violence contre son peuple et à l’indifférence de la communauté internationale. Au Meeting, il a lancé son appel à ne pas oublier l’Irak.

Quelle est la situation aujourd’hui ?
Elle se dégrade de jour en jour. Les chrétiens, nous sommes chassés de nos maisons, mais les Yazidis sont tués, enterrés vivants, leurs enfants meurent de faim et de soif. Mais le plus terrible, c’est la vente des femmes. Deux d’entre elles ont préféré se suicider plutôt que d’être vendues comme des animaux.

Il y a une volonté de déraciner les chrétiens de la région.
Oui, ils ont dit que ceux qui ne se convertissent pas à l’islam seront exécutés. Voilà trois mois que plus aucune prière chrétienne ne s’élève de Mossoul. Pourquoi ? Il y a deux mille ans que les chrétiens vivent sur cette terre. Le Coran aussi parle du Christ. Où est le Coran qui parle d’« Allah le miséricordieux » ? Où est cette miséricorde ?

Que demandez-vous à la communauté internationale ?
Qu’elle prenne notre situation au sérieux. Qu’elle arrête ceux qui fournissent des armes à ces terroristes et qu’elle punisse ceux qui continuent à le faire. Nous demandons la protection des forces internationales et qu’on nous garantisse le respect de nos droits humains. Nous demandons la protection des autres minorités comme les Yazidis.

Personnellement, qu’est-ce qui vous soutient en ce moment ?
Ma mission, ma vocation. Je suis appelé à suivre mon Seigneur Jésus Christ. Je dois être ferme comme lui, jusqu’à ma dernière goutte de sang, pour Lui. Parce que le Christ est mort pour nous et nous devons donc nous aussi être disposés, si nécessaire, à mourir pour Lui. Nous devons tourner notre regard vers Lui ; Il est notre consolation. Espérons qu’il donnera la force d’aller de l’avant, jusqu’au bout, à ces pauvres, mes frères.


SYRIE. « À Alep j’ai vu des fidèles qui pardonnaient aux terroristes »
Les terroristes de l’ISIS sont à vingt kilomètres d’Alep. Monseigneur Georges Abou Khazen, vicaire apostolique de cette ville syrienne, ne cache pas sa crainte qu’ils reviennent en semant la panique parmi les chrétiens et les musulmans. Des mois de siège sans eau ni électricité. Depuis quelques semaines l’armée de Damas a ouvert une brèche pour faire passer un couloir humanitaire. Nous avons rencontré Mgr Abou Khazen durant sa visite de quelques jours au Meeting.

Comment vit-on aujourd’hui à Alep ?
Aujourd’hui, vivres, combustibles et médicaments arrivent à Alep. Mais les gens n’ont pas de travail et la seule manière de se soutenir est l’aide que nous offrons. Nourriture, vêtements et tout le reste.

Comment réagit la communauté chrétienne locale?
Cela semble impossible, mais les chrétiens sont en train d’approfondir leur foi. Et cela m’émeut vraiment. Ils disent : « Nous sommes enfants de martyrs, nos pères ont donné leur vie pour la foi et nous aussi sommes prêts à le faire ». Ce n’est pas tout : dans leur pauvreté, des centaines de jeunes accueillent les réfugiés qui arrivent en ville. Il y avait aussi des musulmans qui arrivaient de localités où il n’y avait pas de chrétiens. Pour eux c’était la première fois qu’ils entraient en contact avec nous, les chrétiens. Après avoir vu ce que nous faisions pour eux, ils ont commencé à dire : « Nous ne pensions pas que vous êtes comme cela ». C’est le visage de la charité chrétienne, de l’accueil chrétien qui pourra constituer la base de la cohabitation quand tout cela sera fini.

Y a-t-il quelque chose qui vous rassure ?
Avant tout la foi et l’amour de ces gens. Il est émouvant de les entendre parler de pardon.

De pardon ? Pour les extrémistes de l’ISIS ?
Oui, aujourd’hui pour l’ISIS, mais aussi pour les autres groupes fondamentalistes qui l’ont précédé. Ils prient pour que le Seigneur les convertisse… C’est incroyable ! Si le Seigneur sauve l’Église et le pays, il nous sauvera grâce à la foi de ces gens.

D’où naît cette prière ?
Nous vivons dans le berceau du christianisme. C’est l’histoire de ce peuple. C’est l’éducation chrétienne. Et puis il y a la grâce de Dieu. Parfois j’entends des jeunes, des enfants, des personnes âgées qui me racontent certaines choses… et chaque fois j’en reste bouche bée.

Quel épisode vous a le plus frappé ces dernières semaines ?
Quelques uns ont réussi à me dire que ce qui arrive sert à notre purification.


TERRE SAINTE. « Le mal ne peut pas avoir le dernier mot »
Au Meeting, le père Pierbattista Pizzaballa, custode de Terre Sainte, a apporté ce qu’il définit comme « un regard racheté » sur les tragédies du Moyen Orient. Un point de vue qui nous aide à lire et à interpréter les événements « sans que ceux-ci nous renversent ». Toute la région est en flammes et pourtant, même ici, le mal n’a pas le dernier mot sur la vie des hommes. Et, plus que les négociations dans les chancelleries, la vie des chrétiens est le point d’espérance qu’il faut regarder.

À Gaza et en Irak, on a l’impression de revoir un film bien connu. Est-ce que l’histoire se répète vraiment ? Ou se passe-t-il quelque chose de nouveau ?
C’est une spirale : il y a des phénomènes qui reviennent et des réalités nouvelles. Nous connaissons bien la violence de Gaza et le fondamentalisme au Moyen Orient, mais nous assistons à une cruauté et une violence que nous ne voyions plus sous cette forme depuis longtemps.

Dans ce contexte, qu’est-ce qui vous préoccupe le plus ?
Les vieux modèles de cohabitation entre les différentes communautés religieuses mais aussi sociales et ethniques, typiques du Moyen Orient, ont explosé. Aujourd’hui, les fondamentalistes veulent nettoyer le territoire de tous ceux qui ne sont pas exactement comme eux, voilà l’horrible nouveauté. L’avenir du Moyen Orient ne peut pas résider dans ce type de changement.

Que signifient ces circonstances pour votre vocation personnelle ?
Quand je suis confronté au mal, la solution ne consiste pas à fuir mais à approfondir encore plus les raisons de la foi, de ma vie avec Dieu. Parce que le mal ne peut pas avoir le dernier mot.

Qu’est-ce qui vous aide le plus à retourner à l’essentiel ?
La prière est fondamentale. Puis les rapports avec les petits, les personnes simples qui, de manière très sobre, vivent vraiment l’Évangile. Comment ? En aidant, en se dépensant gratuitement et, si c’est nécessaire, en se laissant aussi transpercer.


UKRAINE. « Que ce serait beau que le pape vienne à Kiev »
La kermesse de Rimini a ouvert ses portes le jour de l’indépendance de l’Ukraine et, le même jour, lors de l’Angélus, le pape François a lancé un appel à la prière pour la paix dans ce pays. Les jours suivants, la tension aux frontières de la Russie a augmenté. Pendant ce temps, sur la scène du Meeting, Constantin Sigov, philosophe et éditeur à Kiev, orthodoxe, intellectuel à la pointe de la révolution de l’hiver dernier, raconte comment les volontaires de la place Maidan sont engagés aujourd’hui dans les secours aux réfugiés de l’est du pays. Et comment l’expérience de ces mois a modifié sa manière d’être chrétien.

Les événements de cette année ont-ils changé votre vie ?
Avant, j’avais de la peine à concevoir le commandement « Aimez vos ennemis ». À Kiev, j’ai vu mourir des hommes. On risque de réagir à la violence en imitant les actes de déshumanité. Mais dans cette situation nous devons fixer le regard sur le critère que nous donne le Christ. Nous avons besoin de puiser à la source même de l’humanité pour ne pas exulter quand meurt un ennemi. Nous sommes appelés à pleurer avec celui qui pleure, qui que ce soit. Par mon expérience personnelle, j’ai compris combien cette bataille intérieure est dure. Ce qui nous aide le plus c’est de participer à la vie eucharistique. Seule la communion qui naît de l’Eucharistie produit l’audace de nous ouvrir aux autres dans la charité.

Qu’a signifié pour vous de participer au Meeting ?
J’ai compris qu’un endroit comme celui-ci, et les personnes qui le font, jouent un rôle important pour nous autres Ukrainiens. Une réalité comme la vôtre dément l’idée que nous nous faisons de l’Occident, parce qu’à travers vous nous comprenons que la vraie voix des chrétiens c’est celle du pape François. Il est important que les accusations de faiblesse et de lenteur de l’Occident ne soient pas assimilées à la position des catholiques. Je désir que les rapports nés durant ces derniers mois, faits de compréhension réciproque, laissent une trace. Notre exigence d’unité et celle que nous voyons chez vous sont l’alpha et l’oméga de notre rencontre. Voilà pourquoi il serait beau de préparer ensemble un voyage du pape François à Kiev.