Garder la Samaritaine vivante !

Impressions sur un voyage en Terre Sainte
David Victoroff

Si Dieu s’est fait petit enfant pour venir en Palestine, les églises chrétiennes, elles, ont vu grand pour Le célébrer. Quel contraste entre l’humilité de la Vierge accueillant la parole de l’Ange et l’imposante basilique de l’Annonciation à Nazareth ! Quel écart entre le sort immonde du Christ sur le Golgotha et l’or des encensoirs de la basilique du Saint-Sépulcre ! C’est ainsi. Des bords du lac de Tibériade à Jérusalem, le pays choisi par Dieu pour nous révéler la Bonne Nouvelle est parsemé d’édifices impressionnants qui honorent les lieux saints. Il est bien naturel de rendre grâce au Christ roi par ce qu’il y a de plus beau, ou du moins par ce que l’on espère tel. Même si les paysages arides sont souvent plus évocateurs du chemin parcouru par le Sauveur que les monuments élevés à Sa gloire.
À côté de cela, il existe une présence plus discrète de nombreux religieux, comme cette sœur clarisse que nous avons rencontrée dans son monastère à Nazareth. Fondé à la fin du XIX° siècle par des sœurs venues de France, ce monastère a hébergé Charles de Foucauld pendant trois ans. Lieu d’accueil et de prière, il maintient vivante la parole du Christ sur cette terre. Mais les sœurs sont âgées. Celle qui nous reçoit évoque avec des sanglots dans la voix la mort récente de l’une d’entre elles. Signe des temps, plus personne ne viendra de France et les sœurs seront bientôt remplacées par d’autres venues d’Amérique Latine. Peu importe, dira-t-on, pourvu que l’œuvre continue. Mais tout de même, on aurait aimé que la fille aînée de l’Église continue sa mission.
On croise de nombreux chrétiens venus d’ailleurs en Terre Sainte. Toutes les nations s’y côtoient pour prier dans toutes les langues: Français, Polonais, Russes, Biélorusses, Ukrainiens, Bulgares, Allemands, Coréens, Malais, Nigérians, Angolais, Brésiliens… On rencontre des groupes venus de tous les continents que l’on retrouve d’étapes en étapes de notre pèlerinage. Il y a quelque chose d’émouvant à toucher du doigt l’universalité de la foi, à voir concrètement que le nouveau peuple élu, c’est l’humanité tout entière.
Mais qu’en est-il des Chrétiens qui vivent en terre sainte ? Si les chiffres varient selon les sources, l’accord est général sur l’effondrement de la population chrétienne en Palestine. Les Chrétiens étaient majoritaires à Jérusalem, à Nazareth et à Jéricho en 1948. Ils seraient encore 5 000 à Jérusalem, constitueraient à peu près 30% de la population de Nazareth et encore moins à Bethléem. Au total, ils représenteraient moins de 1% de la population palestinienne, soit un peu plus de 40 000 personnes, principalement sur la rive occidentale du Jourdain. Leur nombre aurait diminué de moitié en Palestine depuis 2000, année de la première Intifada. En Israël ils seraient 125 000. Ces chiffres sont à prendre avec précaution parce qu’ils sont politiquement sensibles. Le père Johny Abu Khalil, qui nous reçoit dans sa paroisse de Saint Justin à Naplouse, recense 600 Chrétiens dans sa ville qui compte 350 000 habitants. Encore ces chrétiens sont-ils dispersés en quatre églises (orthodoxes, melchites, catholiques et anglicans) !
Comment expliquer cet affaissement de la population chrétienne ? Il est vrai que le taux de natalité chez les chrétiens est très inférieur à celui des musulmans, mais la démographie n’explique pas tout. Le pessimisme sur la situation politique pousse bon nombre d’entre eux à s’exiler. C’est vrai à Gaza où les extrémistes du Hamas ne laissent guère de place aux chrétiens, c’est vrai en Cisjordanie où le mur aggrave la situation économique et divise les familles, et c’est vrai aussi en Israël où, en dépit des efforts du gouvernement pour les intégrer à l’État juif (on mesure dans les termes la contradiction), les chrétiens restent malgré tout des citoyens de seconde zone, comme nous l’explique notre chauffeur, lui-même chrétien arabe de Nazareth.
Comme souvent en Orient, certains attribuent la responsabilité de la situation à Israël, bouc émissaire commode pour expliquer les catastrophes. On ne peut s’empêcher de constater que les chrétiens sont tout de même plus nombreux en Israël, même s’ils sont tiraillés entre leur identité arabe, leur nationalité israélienne et leur confession chrétienne.
Le père Johny Abu Khalil, extrêmement sévère vis-à-vis de l’État juif, ne peut cependant passer sous silence ce qu’il appelle « le sionisme musulman », la prétention de l’Islam à l’exclusivité – tout du moins en ce qui concerne le proche orient –, représentée par l’État Islamique et ses séides. À Nazareth, pourtant située en Israël, le visiteur est accueilli par un panneau de propagande de l’islam, en langue anglaise, invitant les chrétiens à ne pas dépasser les limites, à ne dire que la vérité sur Allah, le seul vrai Dieu, et à renoncer à la divinité du Christ et à la Trinité. Le message se termine par ce que l’on peut interpréter comme une menace : « Arrêtez, cela vaut mieux pour vous ! » suivi d’un panneau danger. On ne peut-être plus clair. Pour beaucoup de musulmans, il n’y a pas d’avenir pour les chrétiens en terre sainte et ceux-ci finissent par s’en convaincre.
Comment garder la Samaritaine vivante, comme le souhaite le père Johny Abu Khalil ? En faisant tomber le mur de la haine qui n’est pas le mur érigé par Israël pour sa sécurité, mais celui qui résulte de la méconnaissance des uns et des autres. À Naplouse, l’école du patriarcat latin accueille 600 élèves dont 70 seulement sont chrétiens. On a peine à imaginer que leurs camarades musulmans (l’école est mixte) puissent en ressortir en haïssant ceux qui les ont enseignés. Quand tu connais ton ennemi, tu ne peux plus le haïr entend-on dire ici. Peut-être même peut-on s’apercevoir que l’on s’est trompé d’ennemi.