Réflexion sur une tragédie

La tuerie perpétrée au cœur d’une rédaction parisienne nous amène à réfléchir sur la haine, la liberté, la tolérance et le pardon. Le terrorisme suscite horreur, compassion et solidarité avec les victimes. Il doit aussi conduire à un effort de lucidité.
David Victoroff

Comme journaliste, on ne peut qu’être saisi d’effroi face au drame qui s’est joué rue Appert, dans le XI° arrondissement de Paris. Personnellement, je pense à mon journal Valeurs Actuelles, qui comme dans tous les hebdomadaires ou presque, tient sa première conférence de rédaction après parution du numéro, le mercredi matin. La pièce est étroite et les journalistes sont assis de part et d’autre de la table. Face à des terroristes qui bloqueraient la porte, une seule issue : se jeter par la fenêtre. Encore faudrait-il en avoir le temps. C’est dans cette situation que se sont trouvés les rédacteurs de Charlie Hebdo, froidement exécutés à l’appel de leur nom par de prétendus justiciers de Mahomet.

Mais l’indignation ne doit pas être corporatiste. L’horreur est à son comble à la vue des images des terroristes en train d’achever un policier à terre dont le seul crime était de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, et sans doute, pour ses meurtriers, d’être musulman et donc traître à leur cause. Cette victime, sans l’aura médiatique des dessinateurs assassinés, n’en mérite pas moins notre compassion et nos prières. Dans un tel holocauste, il n’y a pas de victimes secondaires.

Des Français se sont mobilisés par milliers dans toutes les villes du pays pour clamer leur indignation et leur chagrin tandis que les gestes de solidarité se multiplient à l’échelle planétaire. La France a connu un beau moment d’unité nationale que les partis politiques sont en train de récupérer. Une grande manifestation se prépare dont cette fois nul ne contestera l’ampleur puisque la gauche au pouvoir y appelle. Le président de la république, en mal de popularité, aura eu sa manif pour tous.

Une fois ce grand moment d’émotion passé, que pourra-t-on retenir de ces événements ? Côté positif un attachement inattendu des Français pour la liberté d’expression : que des caricaturistes puissent être tués pour avoir exprimé leur opinion par leur plume et leur crayon et pour faire rire a proprement scandalisé la plupart des citoyens sains d’esprit.

Cet attachement est assez inattendu car depuis quelques années on assiste en France à une multiplication des entraves à la liberté d’expression au nom du politiquement correct. Les lois dites mémorielles, le pullulement des associations autoproclamées représentatives qui multiplient les recours au nom de la lutte contre le racisme, la discrimination, la laïcité, à l’encontre des journalistes, des hommes politiques ou des écrivains, l’ostracisme dont sont victimes ceux qui s’écartent de la doxa, comme Eric Zemmour, ne laissaient pas présager cette levée en masse pour défendre la mémoire de ceux qui avaient fait du blasphème, pas seulement contre Mahomet, mais aussi contre toutes les formes de religion, et contre toutes les églises, un mode privilégié d’expression. Il est assez symbolique de voir que la dernière couverture de Charlie Hebdo était une caricature de Michel Houellebecq, à son tour en but à une campagne de dénigrement pour son dernier roman Soumission parce qu’il ose imaginer l’élection d’un président musulman en France en 2022 !

Puisse ce sursaut pour la liberté d’expression avoir des suites et que chacun se montre plus tolérant à l’égard des idées qui vont à l’encontre des siennes. Qu’on ne s’y méprenne pas ! Il ne s’agit pas d’encourager les appels à la haine ou la diffusion d’informations erronées ou de fausses nouvelles. Le droit d’expression, comme tous les droits peut mener à l’abus de droit qui relève des tribunaux. Mais dans la plupart des cas, on doit pouvoir répondre à des idées par des idées, à des dessins par d’autres dessins, à des thèses par d’autres thèses.

Le côté éminemment négatif de ces événements est le degré de haine qu’il révèle dans notre société. Que des Français, quelle que soit leur origine, puissent se sentir exclus de la société au point de faire cause commune avec des mouvements terroristes étrangers pour mener la guerre à d’autres Français et les tuer, qui plus est, au nom de Dieu, a de quoi faire frémir. Pourra-t-on résoudre cette question de l’intégration de la minorité musulmane dans notre pays, accueillir comme il convient les milliers de réfugiés des guerres d’Afrique et du Moyen Orient et construire une société multiraciale apaisée ? Sûrement pas en niant les problèmes. Et, en tant que chrétiens, comment doit-on envisager le pardon et la réintégration de ceux qui se seront égarés sur les chemins périlleux de la haine et du meurtre ? L’Italie a connu dans ses années de plomb une vague de folie meurtrière : des terroristes mutilaient et assassinaient leur compatriotes au nom de la « justice sociale ». L’Eglise a joué un rôle important dans la réintégration des « repentis ». Peut-être faudra-il réfléchir sur cette expérience et d’autres encore dans cette guerre civile larvée qui se profile.

Mais peut-être est-il encore temps de la conjurer par le dialogue avec les musulmans responsables, par une politique économique qui ne laisse personne sur le chemin de l’emploi et, pour nous chrétiens, par la prière.

Nul n’est obligé de se sentir « Charlie » s’il ne partage pas les idées diffusées par ce journal. Il lui suffit de se sentir français et chrétien pour ressentir l’attentat de la rue Appert comme une atteinte insupportable aux idéaux de liberté et d’amour du prochain qui devraient fonder notre société.