Après la manifestation, la France va-t-elle changer ?

Terrorisme, prise d’otages, manifestation d’unité nationale, nous venons de vivre une séquence historique. De la douleur renaît la fraternité. Pour combien de temps ?
David Victoroff

Depuis la folie meurtrière des deux frères Kouachi, la tragédie est encore montée d’un cran dans l’horreur avec la prise d’otages dans un magasin casher de la Porte de Vincennes : Amedy Coulibaly a abattu froidement quatre innocents au seul motif qu’ils étaient juifs. Ainsi des fous de dieu auront pris pour cible des agnostiques qui faisaient fi de toute religion comme des croyants. Autre victime désignée des terroristes : les forces de l’ordre, militaires et policiers que les caricaturistes de Charlie Hebdo n’épargnaient pas non plus de leur plume. L‘attaque a été menée de façon si fanatique qu’elle a conduit à la mort des assassins qui se sont ainsi volontairement soustraits à la justice de leur pays. C’est donc la société dans son ensemble qui a été bafouée et profanée par ces meurtres et, au delà des catégories visées, la France toute entière qui a été agressée.

Il n’est donc pas étonnant que le pays se soit retrouvé dans des manifestations massives, à Paris comme en province. Plus surprenante est l’émotion considérable dans le monde qui a réuni près de cinquante chefs d’Etat autour de François Hollande, dont tous ne sont pas des champions de la liberté d’expression ou de la tolérance. Mais il faut croire que la France représente encore pour beaucoup un idéal d’humanité, une part du patrimoine mondial qu’il convient de respecter et de préserver.

Voilà qui nous confère quelques devoirs à l’égard des autres dont nous ferions bien de nous souvenir, sans pour autant nous croire le centre du monde ni les seuls à être victime du terrorisme. Les 7 et 8 janvier Boko Haram détruisait seize villes et villages du nord du Nigeria, faisant des centaines de morts. Au même moment un attentat faisait sept morts au Liban. On ne compte même plus les victimes de Daesh en Irak et en Syrie. L’histoire continue d’être tragique, ce que la prétention des socialistes à
« changer la vie » avait fini par nous faire oublier en France.

Il y a eu un avant le 7 janvier, il y aura un après où « plus rien ne sera comme avant » entend-on dire une fois de plus. Est-ce si sûr ? Ce n’est pas la première fois que nos frères juifs sont assassinés en France pour leur religion ou pour leur origine. Mohammed Merah avait sévi à Toulouse et plus récemment un Français, Mehdi Nemmouche avait assassiné quatre touristes au musée juif de Bruxelles. On nous avait déjà parlé d’un après Merah qui ne serait plus comme avant. Il y ressemble pourtant étrangement.

C’est vrai qu’on a pu sentir comme un élan de fraternité dans les événements de dimanche. Sarkozy et Hollande ensemble sur le perron de l’Elysée, Netanyahu et Abbas défilant à quelques mètres l’un de l’autre, les scènes poignantes d’embrassades entre le Chef de l’Etat et les parents des victimes, les témoignages de reconnaissance à l’égard des forces de l’ordre. Une nation semblait se retrouver, se ressouder face à un péril conjuré et autour des « valeurs » de la république.

Mais quelles sont ces valeurs ? Y-a-t-il vraiment unanimité au delà du sentiment d’horreur devant l’indicible ? Les quelques débats laissent déjà présager les difficultés futures. La fracture est évidente entre ceux qui veulent nommer le péril islamique, les difficultés posées par l’immigration massive et incontrôlée, la faillite d’une partie du système éducatif, l’échec de la politique économique française, les retards de l’intégration européenne et ceux qui préfèrent taire les problèmes pour éviter toute « stigmatisation » d’une catégorie de la population et toute critique de la ligne suivie par les gouvernements depuis quelques années.

Il n’est pas certain qu’il y ait accord sur les « valeurs » de la république. On a encore en mémoire les débats sur le mariage homosexuel et les centaines de milliers de personnes qui ont défilé contre, sans, cette fois, que le gouvernement les y ait appelés ; on sait le trouble et l’inquiétude que suscitent les projets gouvernementaux en matière d’euthanasie. On connaît la promptitude des différentes catégories professionnelles à se mettre en grève dès qu’une réforme menace d’écorner quelques droits considérés comme acquis. On mesure l’hostilité officielle à laquelle se heurte toute expression religieuse (à l’exception bien sûr du port du voile dans les lieux publics pour ne pas stigmatiser les musulmans). Où est donc la fraternité quand on ne donne pas la même valeur à la vie, à la famille, au droit de propriété, au partage, au sacrifice, au service d’autrui et du pays ?

Il est à craindre qu’au-delà des divergences d’opinion naturelles dans une démocratie, la société française soit profondément divisée, éclatée, désorientée parce que vide de sens (voir l’article de Silvio Guerra dans Traces). Cette division apparaissait dès l’origine dans le slogan « je suis Charlie » dans lequel tout le monde ne pouvait pas se reconnaître, pas plus d’ailleurs que dans le slogan « je suis juif » ou « je suis policier » alors qu’il suffisait d’être français et civilisé pour dire non au terrorisme et à la barbarie.

Le désir de vivre ensemble s’est pourtant manifesté avec ferveur dans la foule comme dans un moment de grâce. Il appartient sans doute à ceux qui nous gouvernent, mais aussi à chacun d’entre nous, de le concrétiser par nos actions, nos pensées, nos prières, notre attention aux autres. Renforcer les mesures de sécurité pour que tout redevienne « comme avant » ne saurait y suffire.