Surprise à La Havane

Sur l’ile où (grâce au pape) le dialogue avec les Etats-Unis a repris, et se profile la fin de l’embargo. Mais quel changement peut espérer les gens et l’Église ? Orlando Márquez, directeur du journal catholique local, répond.
Luca Fiore

« J’ai éprouvé un mélange de surprise, de choc et de joie... ». Orlando Márquez est le directeur de Palabra Nueva, la revue de l’archidiocèse de La Havane, fondée en 1992 et porte-voix de l’Église catholique sur l’ile. Il se rend compte de la portée historique de l’accord conclu en vue de rétablir les rapports entre le Cuba et les États-Unis. Barack Obama et Raúl Castro qui annoncent simultanément la fin de la guerre froide qui débuta il y a 53 ans, avant même que ne naisse Márquez. Provisoirement plus de facilités seront données pour les voyages et le tourisme, pour les affaires et la communication, les cartes de crédit et l’internet. Bientôt une ambassade américaine sera présente à La Havane. Obama demandera au Congrès de mettre définitivement fin à l’embargo. « C’était le 17 décembre, la fête de Saint Lazare, qui est très populaire au Cuba », raconte le directeur : « Le sanctuaire national qui lui est dédié à La Havane attire des milliers de de pèlerins cubains et étrangers. Ce jour-là on y a célébré de nombreuses messes et chaque fois que le prêtre évoquait cet évènement, les gens applaudissaient et manifestaient leur joie, non seulement les fidèles mais aussi les policiers. Les cloches de fête ont sonné dans de nombreuses églises à La Havane ».

Satisfaits, mais...

En général les gens sont contents. Mais il y en a qui ne le sont pas trop, et c’est compréhensible, car toutes ces années marquées par des rapports conflictuels ont généré beaucoup de souffrances de part et d’autre des détroits de la Floride. Nous sommes un peuple divisé par la mer, la politique et le conflit entre les deux gouvernements.

Quelle est, selon vous, la portée d’une telle décision ?

C’est un évènement épocal ???. Nous laissons dernière nous des décennies de politique de confrontation, mais aussi de douleur, de peurs, de méfiances et même de mort. Pour la première fois, les deux présidents sont en syntonie et ont déclaré publiquement vouloir mettre fin aux politiques d’échec. Sans doute ont-ils dû affronter de fortes résistances car ils ont brisé une imposante structure qui s’est formée au fil de tant d’années de rapports conflictuels. Mais c’était le moment, et ils ont agi comme il fallait. À cela s’ajoute l’action du pape François. Je ne puis m’empêcher de penser à la providence divine…

Quel sera l’impact sur la société cubaine ? Et sur le régime?

Obama a annoncé les mesures qu’il appliquera à brève échéance. Nous ne connaissons pas encore la réponse du gouvernement cubain à ces propositions. D’habitude la Havane est fort prudente avant de passer à l’action, mais je crois que, malgré une grande réserve, sa réponse sera favorable. Si c’est le cas, comme nous sommes nombreux à l’espérer, l’impact sera certainement productif pour notre société. Nous sommes deux pays très proches l’un de l’autre du point de vue géographique, qui ont en commun une histoire, des intérêts et également des menaces naturelles. Environ deux millions de cubains habitent aux Etats-Unis et aujourd’hui leurs transferts d’argent ont déjà un impact informel sur l’économie cubaine. Tout ce qui favorisera les échanges économiques, la communication et les rapports personnels profitera au pays.

C’est un accord conclu à un moment particulier de l’histoire du Cuba. Fait-il partie des réformes promises par Raúl ?

Le Cuba est un pays qui traverse une grave crise, tant économique que sociale et politique. Certes, la crise affecte aussi d’autres contrées, mais elle a frappé profondément le Cuba parce que le modèle marxiste-léniniste imposé il y a cinquante ans se présentait comme une formule infaillible et éternelle. C’est très difficile de vivre la désillusion, d’accepter que ce que l’on croyait parfait ou du moins meilleur ne l’est pas. C’est compliqué.