This is it!

Trois jours « à la recherche du visage humain ». Scientifiques, managers, étudiants… et beaucoup d’autres. Un voyage surprenant dans un thème fortement débattu aux États-Unis actuellement.
Mattia Ferraresi

On peut ‘organiser un événement’, selon l’expression malheureuse à la mode, mais on ne peut pas organiser une rencontre. La rencontre est imprévisible, elle ne se planifie pas, elle excède la somme des facteurs. Au New York Encounter, on voit le fruit imprévisible de cet excédent. Ce n’est pas organisé, c’est quelque chose qui arrive.

Cette année, le titre « À la recherche du visage humain » annonçait un voyage dans le thème de l’identité qui, pour plusieurs raisons, nourrit le débat américain. Le point de départ du dialogue était une phrase de don Giussani : « Rien n’est aussi fascinant que la découverte des dimensions réelles de son propre moi, aussi riche en surprises que la découverte de son propre visage humain ». Puis, on a suivi ce qui est arrivé.

Lors de ces trois journées à New York, les 16, 17 et 18 janvier, il y eut des expositions dans un nouveau lieu lumineux, au cœur de Chelsea ; des professeurs de renommée internationale ; la convivialité d’un plat de pâtes ; de la musique et des témoignages ; la tension vers le sublime et le travail tout simple d’un bataillon de plus de trois cents bénévoles au t-shirt violet. Mais tous ces éléments ne suffisent pas à expliquer la surprise éprouvée par Brad Stuart, médecin invité pour parler des soins aux personnes âgées, et qui se déclare athée : « Je peux vraiment dire que participer, même un seul jour, au New York Encounter est un événement qui a changé ma vie ».

En voyant le documentaire La route est belle, réalisé pour les soixante ans du Mouvement, il a été foudroyé : « This is it!  », c’est ce que je cherchais. Et dire qu’en visitant le site de l’Encounter, qui ne cachait pas ses signes d’appartenance à l’Église, il avait failli un instant déclarer forfait… En fin de compte, pour voir le documentaire jusqu’au bout, il en a oublié le déjeuner ! Il avait été invité pour sa manière, humaine et intelligente, de proposer l’accompagnement à domicile des patients les plus âgés, au lieu de les hospitaliser ; et, ce jour-là, a surgi l’intuition que l’humanité dont il fait preuve au travail n’est pas en contradiction avec le christianisme.

C’est ce qu’a dit l’archevêque de New York, le cardinal Timothy Dolan, en une réplique percutante, au sujet du charisme de don Giussani : « Pour lui, Dieu et l’homme n’étaient pas comme l’eau et l’huile, mais plutôt comme le gin et le vermouth ». Un renversement de perspective : « Si c’est cela l’Église, alors elle m’intéresse », commenta Stuart.

La rencontre arrive comme ça, par-dessus le marché, et par bouleversement. Bouleversement qu’a ressenti par exemple Martin Nowak, professeur de biologie et de mathématiques à Harvard. Il participait à une table ronde sur l’évolution humaine, lieu concret où a émergé le visage de l’homme, que l’on peut réduire à ses lois biologiques, ou observer avec la loupe de la raison : « Ce que je sais après ces deux jours, c’est que je dois étudier Giussani ».

DES CHEMINS TORTUEUX
Qu’est-ce que l’homme ? Cette question a toujours fasciné le paléontologue Richard Potts, qui dirige le Human Origins Program, une exposition sur l’origine de l’homme, qui a enregistré plus de 25 millions de visiteurs au Smithsonian Institute. La question se transforme en un cri personnel et intime, avec les témoignages de ceux qui, dans des circonstances diverses, ont été bouleversés par don Giussani, parfois sans l’avoir rencontré. Ainsi, Kim Shankman, doyen du Benedictine College du Kansas, peut dire que son fils John, entré dans le coma à dix-sept ans, des suites d’un accident de voiture, « témoigne de ce que la réalité est positive » parce qu’il « appartient à un Autre qui sauve ».

Les contours d’un Autre affleurent en filigrane dans le visage humain. Parfois, pour les retrouver, on emprunte des chemins tortueux, on agrippe ce que l’on peut, on cherche à créer de nouveaux droits pour reconstruire les pièces manquantes du visage : c’est ce qu’ont expliqué la vice-présidente de la Cour constitutionnelle d’Italie, Marta Cartabia, et le professeur Jennifer Nedelsky. Ou alors, « on remplit le vide de l’existence par une connexion constante », succédané de la connexion infinie à laquelle chacun aspire et que le sociologue Christian Smith a tenté d’approfondir avec le chercheur Donna Freitas.

LA CLÉ
« Comprendre notre humanité signifie comprendre notre dépendance », a déclaré le cardinal Sean O’Malley, archevêque de Boston, lors de la rencontre sur le handicap avec Timothy Shriver ; fondateur des Jeux paralympiques, Timothy affiche son appartenance à la famille Kennedy par son éloquence et sa mâchoire carrée. John Fitzgerald était son oncle, mais il a surtout parlé de sa tante Rosemary, née avec un grave handicap et qui lui a appris « l’amour inconditionnel ». Jean Vanier, théologien et fondateur de la communauté de « L’Arche » qui accueille des personnes handicapées, a participé au débat par un émouvant entretien vidéo.

Que le visage humain puisse émerger dans la dépendance est une hypothèse, risquée et fascinante, qui défie la raison humaine. Lorenzo Albacete le rappelle dans un film de 2004 intitulé « Qu’est-ce que l’homme pour que tu en prennes soin ?  », reprogrammé en hommage à ce grand ami récemment disparu. Jusqu’à toucher le mystère de l’Incarnation : « Voilà la clé de la vie chrétienne : avant de devenir le centre du cosmos et de l’histoire humaine, le Christ a été un grumeau de sang dans le ventre d’une femme », dit Albacete.

Mais quel instrument avons-nous pour vérifier l’hypothèse vertigineuse d’un Eternel qui entre dans l’histoire ? Dans la rencontre de clôture, intitulée « À la recherche d’un nouveau commencement », le père Julián Carrón est revenu sur l’infaillibilité du cœur. Le cœur ne nous laisse pas dans l’incertitude, il reconnaît la correspondance objective, mais « il faut apprendre à utiliser ce critère ». C’est une question d’éducation et de liberté, car « la méthode de Dieu est de mendier la liberté, de passer par là pour se révéler ». Notre problème, a ajouté Carrón, « est la simplicité du cœur. Cela nous semble peu de chose, mais c’est tout. Attention ! C’est un problème de connaissance et non d’éthique. Ce n’est pas une question de cohérence, mais de rapport ». Comme un petit enfant « rassuré quand sa mère est là, et non quand il a plus de capacités ».

FRANK ET LES YEUX DES ANGES
Le cœur est la corde humaine qui a vibré chez ceux qui ont assisté à l’événement du New York Encounter, avec ses excédents et ses bouleversements, parfois visibles et éclatants, parfois inscrits dans le sourire des bénévoles qui vous accueillent à l’entrée, ou chez les jeunes qui font la cuisine, ou dans les conversions que ne voient que les yeux des anges, ou dans le mystère de la souffrance de Frank Simmonds.

Franck figurait parmi les responsables de la communauté de New York, après un passé de drogue et de prison. Il est l’un des visages du film réalisé pour les soixante ans du Mouvement. Malade depuis longtemps, il est mort lundi matin comme s’il avait attendu la fin de l’Encounter pour se présenter à sa rencontre avec le Mystère…