Constantin Sigov

« L’esprit de Maïdan inspire toujours l’Ukraine »

Un an après le soulèvement populaire dans la capitale ukrainienne, Constantin Sigov philosophe chrétien et professeur à l’Académie Mohyla de Kiev, réagit à l’accord de paix signé le 12 février à Minsk et réaffirme son idéal.
Gwénola de Coutard

Un nouvel accord de paix entre l’Ukraine et la Russie vient d’être signé. Qu’en pensez-vous ?
Obtenir le cessez-le feu était fondamental. Cependant, je reste inquiet. L’OSCE est désormais chargée d’assurer le contrôle de la frontière russo-ukrainienne, mais les détails ne sont pas connus. Il faudrait un cadre clair, une instance internationale qui ait les moyens de contrôler effectivement les passages frontaliers, quitte à les interdire par la force s’il le faut. Je m’interroge aussi sur les délais d’application de cette disposition, très floue : ils pourraient s’échelonner jusqu’à fin 2015… La chancelière allemande a déclaré qu’il restait « encore beaucoup de travail ». Je partage sa conviction, car c’est un barrage contre un océan de violences et de mensonges qu’il s’agit de construire. A la moindre offensive de Poutine, il faudra réagir et renforcer les sanctions économiques envers la Russie.

Quel signe serait encourageant, selon vous ?
Le véritable test de cet accord serait la libération de la pilote Nadia Savchenko, la « Jeanne d’Arc » ukrainienne incarcérée à Moscou où elle doit être jugée pour « crimes de guerre ». Sans ce signal très concret, je crains le double jeu de Poutine, qui peut dire « oui » devant les chefs d’Etat, et se retrancher ensuite derrière les avis contraires des séparatistes, ou de la Douma… Comme s’il n’avait pas de pouvoir sur eux !

Vous vous êtes engagé dès le début des manifestations de Maïdan, en novembre 2013. Comment avez-vous vécu cette année qui a changé l’Ukraine ?
Cette année a changé ma vie et celle de mes compatriotes. Depuis les années 90, nous sortions pacifiquement du communisme. Désormais, une nouvelle période s’ouvre pour l’Ukraine et pour l’Europe entière, qui font face à une agression frontale de la part de la Russie. Maïdan fut un grand moment de réveil de la société civile. Les gens sont sortis dans la rue et se sont rassemblés chaque dimanche par centaines de milliers pour dire « non » au régime de Ianoukovitch soutenu par Poutine. Aujourd’hui nous devons garder la même vigilance et lutter à toutes les échelles contre la corruption.

Il y a un an à Kiev, le massacre d’une centaine de manifestants par les forces de l’ordre faisait basculer la révolution. Comment vivez-vous cet anniversaire ?
La violence s’est abattue sur Maïdan en février 2014, lorsque le gouvernement de Ianoukovitch a tiré sur la foule. La centaine de personnes qui ont trouvé la mort reste dans les mémoires comme des martyres tombés pour la justice et pour la paix. Leurs portraits sont toujours affichés dans les rues de Kiev. En nous recueillant pour les honorer, nous célébrons une mémoire nationale nouvelle, à l’heure où la paix dans l’est du pays reste précaire.

L’« esprit de Maïdan », de solidarité nationale, existe-t-il toujours, malgré le conflit qui a ravagé le Donbass ?
Il reste bien vivant, et s’exprime aujourd’hui de manière très concrète, dans l’aide aux personnes déplacées ou aux combattants revenus du front. Les manifestants de l’an dernier donnent toujours de leur temps pour récolter de la nourriture ou des vêtements chauds, trouver un logement ou proposer une assistance psychologique à ceux qui ont tout perdu.

Comme chrétien orthodoxe engagé, qu’attendez-vous des autorités religieuses, patriarcat de Moscou ou Eglise catholique ?
Nous avons été choqués par le silence, trop long et ambiguë, du patriarche Kirill de Moscou, qui est un proche de Vladimir Poutine et qui a décoré d’une médaille le porte-parole de la propagande du Kremlin. Quant au Vatican, bien qu’il n’accepte pas officiellement l’annexion de la Crimée, il peine à condamner clairement l’attitude du Kremlin, notamment les actions militaires russes au Donbass. Certes, le pape François a envoyé l’archevêque de Vienne, le cardinal Schönborn, à Kiev en décembre dernier à la rencontre des réfugiés…Mais à la manière dont le faisait Jean-Paul II, nous attendons un appel de Rome pour libérer Nadia Savchenko. A Maïdan il y a un an, les chrétiens d’Ukraine - catholiques, protestants ou orthodoxes - se sont unis au-delà de leurs confessions. Ensemble, aujourd’hui, ils restent en attente d’une parole forte et de vérité d’une haute autorité spirituelle, capable de les guider Une parole de David contre Goliath !