« Ce qui sert, c’est la naissance d’un moi »

Il ne voulait plus participer à la rencontre sur les événements de Paris. Puis Wael Farouq a vu une photo. Lundi 16 février, à Rimini, on a parlé de Daesh, de l’islam, de connaissance et de l’espoir qu’il y avait dans le regard de ce condamné à mort.
Alessandro Caprio

Wael Farouq avait décidé de ne pas participer à la rencontre sur les événements de Paris, hier soir à Rimini. Trop grande était sa tristesse en raison de l’assassinat de 21 chrétiens coptes d’Égypte, ses concitoyens, perpétré ces jours-ci en Lybie par les terroristes de Daesh. C’est la photo – ci-jointe – de l’un de ces condamnés, prise juste avant son exécution, qui l’a fait changer d’avis. « Il a eu un regard d’espoir, sans peur. Je suis ici grâce à cet espoir », a-t-il commencé par dire. Car le problème n’est pas de savoir « ce que nous faisons face à Daesh, mais ce que nous faisons là où nous sommes. Nous devons aider le bien à émerger en chacun de nous ». C’est ce qu’a fait cette enseignante face à la décision de son directeur de ne pas faire de crèche vivante à l’école, pour ne pas “offenser” 18 élèves musulmans. « Elle est venue me demander – raconte Farouk – ce que l’islam disait sur le sujet. Je lui ai dit de ne pas s’inquiéter de ce que disait l’islam, mais plutôt de ce que disaient les parents de ces élèves. » Non seulement tous les parents étaient d’accord avec le projet de crèche vivante, mais en plus, ils ont dit à l’enseignante : « Si vous nous aimez autant en faisant ce geste, alors nous voulons y contribuer aussi ». Et au final, c’est l’un des élèves musulmans qui a interprété l’Enfant Jésus.
« Il n’y a pas de musulmans bons ou mauvais, il y a des protagonistes : cette enseignante a été une protagoniste dans l’histoire parce qu’elle a permis aux parents de vivre leur humanité. Si elle ne leur avait pas donné cette possibilité, le préjugé concernant les mauvais musulmans aurait pris le dessus. On peut discuter pendant des années sur la religion, mais on ne peut pas discuter sur le fait que quelqu’un nous aime ». Nous croyons tous en des valeurs, même Daesh. Mais ces valeurs sont presque toujours détachées de la réalité. « Le mot “islam” signifie “paix”, “bien”. Nous le croyons, mais qui d’entre nous le vit ? Tous les leaders musulmans ont condamné les attentats de Paris, mais cette condamnation peut n’être qu’une façon de se donner bonne conscience, et c’est tout ». Ce qui manque, c’est un jugement. « Tant de musulmans doivent tout demander à leur imam. Mais Dieu dit que l’ultime référence, c’est notre cœur. Le problème, c’est que ce cœur est parti en vacances ! » Et c’est la même chose en Occident : « Comment puis-je donner un jugement sur les musulmans sans en connaître un seul ? Le problème, c’est cette absence de sens. Aujourd’hui, tout le monde veut combattre Daesh. Mais pour combattre Daesh, les bombes ne servent à rien, il faut des valeurs vécues. Il faut des personnes, comme cette enseignante. Il faut la naissance d’un “moi” dans une expérience. Une foi comme celle du jeune homme décapité ».
Ou comme celle d’Ahmed, le policier musulman français abattu par les terroristes islamiques pour défendre la liberté des journalistes satiriques de se moquer de sa religion. « Y a-t-il encore quelque chose de vrai dans notre Europe ?! », lance Alessandro Banfi, directeur de TgCom. « Aujourd’hui, on tue au nom de Dieu, mais la chose vraiment monstrueuse est le fait que personne n’est plus vraiment religieux. Parce que le sens religieux est le contraire d’une foi que je possède ». Et il cite la rencontre historique, contemporaine aux croisades, entre saint François d’Assise et le sultan. « Que se sont-ils dit ? Ce qui est certain, c’est qu’ils s’estimaient beaucoup. François a vu un homme qui avait le sens de Dieu, et il été perçu comme celui qu’il était, un très grand homme épris du Seigneur. En effet, à ce moment-là, le cœur n’était pas parti en vacances, mais était devenu une chance, et pour les chrétiens une grâce ». Comme une rencontre entre ces deux mondes est-elle possible aujourd’hui ?
Pour Farouq, le point central est l’amour : non pas l’amour “peace and love”, mais un amour réaliste, qui porte au discernement. « Ce n’est pas vrai que l’amour est aveugle. Au contraire, l’amour te permet de voir au-delà des défauts de l’autre. Avec ce regard nous pouvons comprendre combien sont nombreux les faux messages dont nous sommes abreuvés. Daesh ne pourrait tenir ne serait-ce qu’un seul jour sans le soutien de ceux qui achètent le pétrole et vendent les armes. Des centaines de milliers de personnes en Irak ont choisi de rester fidèles à leur foi et de mourir pour elle ; mais les médias passent cela sous silence. Il s’agit donc de transformer l’information en connaissance. Il y a tant d’information et si peu de connaissance. Nous avons l’espace pour exister, mais non pour être : et être, c’est un rapport. Demandons à l’espace public de pouvoir y introduire notre identité. Et la vérité est un rapport, comme le dit le pape François ».