Communion et Libération à la rencontre du Pape

La rencontre du 7 mars avec le Pape François. Voici la chronique d'un évènement historique pour le mouvement de Communion et Libération
Alessandra Stoppa

I wonder as I wander... out under the sky... Les voix et les notes restent suspendues. Tout s’arrête et les yeux de quatre-vingt mille personnes se tournent vers l’image soudain apparue sur les écrans. C’est lui ! Le Pape est là. Quoique tout le monde l’ait attendu, la surprise transfigure la Place. Devant le parvis, chacun monte sur sa chaise. C’est comme une vague que la stupeur emporte jusqu’à la rue de la Conciliation. D’une seule voix, on entonne le chant : Ho un amico grande grande!... C’est l’explosion de tout un peuple à la vue de cet homme. Ce n’est qu’un homme comme toi et moi, mais il est capable de nous fait sentir que tout ce en quoi on croit est vrai : la foi, la vie de chaque jour, avec le travail, les études, la souffrance, les enfants à faire grandir, l’amour…
La première audience accordée à CL par le pape François prend tout son sens en cet instant. Julián Carrón avait écrit pour inviter le Mouvement à Rome. En se relisant sa lettre, on comprend mieux ce qui est en train de se passer : tout prend de la consistance grâce à ce lien avec la fragilité d’une seule personne. Tel Zachée, un jeune grimpe au sommet du lampadaire dressé au milieu de la Place, tandis que la voiture du Pape se fraie un lent chemin à travers les milliers de mains tendues sur son passage. « Je ne suis pas abandonnée », pense Barbara, vingt-six ans, tandis que la foule applaudit, chante, agite les livrets. « Je suis venue ici, pleine de rage pour plusieurs raisons, mais tout a changé quand je l’ai vu ».
A travers don Giussani, « l’événement du Christ nous atteint aussi, pauvres gens que nous sommes. Aujourd’hui, cette Grâce arrive jusqu’à nous pour remplir l’amphore vide de notre cœur. Demandons qu’elle trouve en nous l’accueil qu’elle a trouvé en Marie ». Ces mots de Carrón, au début de la journée, avaient accompagné l’attente des pèlerins qui, dès l’aube, envahissaient la Place, arrivés ici en provenance du monde entier (47 pays) par tous les moyens de transport possibles. On avait récité les Laudes, regardé la vidéo de don Giussani, écouté des chants d’une beauté aussi cristalline que l’air de ce matin, notamment le Je vous salue Marie en chinois et la Zamba argentine, dédicacée à Don Francisco. « ‘Marie !’ Il n’y a pas d’autre Christ que Celui qui est arrivé à Marie Madeleine » dit Carrón qui enchaîne : « Et il n’y a pas eu, depuis, d’autre Marie que celle qui a été définie par cet appel du Christ ». C’est ce qui se passe en ce moment : la présence du Pape, la demande pressante de Carrón, l’émotion qu’a suscitée la vie de don Giussani, « sa pensée profondément humaine », ce chemin qu’il a parcouru pour le donner à tous, la proximité du Pape avec ce que vit le Mouvement.
« Seuls, ceux qui ont été caressés par la tendresse de la Miséricorde connaissent vraiment le Seigneur, nous dit le Pape. Le lieu privilégié de la rencontre est la caresse de la miséricorde de Jésus Christ envers mon péché. Et pour cela, l’endroit, le lieu privilégié de la rencontre avec Jésus Christ est mon péché ». Et on le reconnaît quand le pardon nous est renouvelé, une fois de plus, aujourd’hui. Le Pape raconte qu’il s’est souvent attardé, à Saint-Louis des Français, devant la Vocation de Matthieu, du Caravage. Le regard de Jésus te rejoint, tout comme celui du Pape sur la Place Saint-Pierre, tandis que, dans une main, tu es encore en train de compter tes sous --ce que tu n’arrives pas encore à donner--, ou tandis que tu te trompes, ou que tu essayes de bien faire, ou bien tandis que tu as renoncé à essayer. « Le Christ vient et nous invite ». Il vient nous choisir, maintenant, pour qu’on le suive. « Lorsque nous arrivons, Il était déjà en train de nous attendre !», nous dit le Pape. Jésus est comme la fleur de l’amandier : c’est celui qui fleurit en premier et annonce le printemps ». Si on le suit, il fera éclore nos vies.
Après avoir mentionné, au sujet de don Giussani, « le bien que cet homme m’a fait, ainsi qu’à ma vie sacerdotale, à travers la lecture de ses livres et de ses articles », le Pape insiste sur la rencontre : « Tout, dans notre vie, commence par une rencontre ». La rencontre avec « le charpentier de Nazareth, un homme comme les autres et en même temps différent ». Il raconte comment les premiers disciples s’étaient sentis regardés, « connus intimement et cela suscita en eux un émerveillement qui, immédiatement, les fit se sentir liés à lui ». Le oui de Pierre et le nôtre naissent uniquement de cela, car « la morale chrétienne est la réponse émue face à une miséricorde surprenante, imprévisible, voire ‘injuste’ d’après les critères humains. » Tel un fils, Carrón a demandé de l’aide : « Nous ne voulons pas laisser s’asse´cher ‘la frai^cheur du charisme’ qui nous a fascine´s. Nous avons besoin que la gra^ce rec¸ue refleurisse toujours a` nouveau dans nos vies. »
On trouve un guide sûr en François : le Pape ne donne pas pour acquis que la vitalité du charisme se renouvelle ; il secoue donc la vie du Mouvement ainsi que notre vie personnelle : « Soyez libres ! ». Libres de toute fermeture, libres de nos appartenances et habitudes, des décisions déjà prises, des cendres, quelles qu’elles soient, auxquelles chacun de nous est attaché. « Savoir écouter ceux qui ne sont pas comme nous, en apprenant de tout le monde ». Puis le Pape cite don Giussani : « Le christianisme est un début de rédemption, qui assume le nouveau, en le sauvant ». François demande avec insistance qu’on sorte de soi-même, qu’on se décentre : « Souvenez-vous que le centre n’est pas le charisme, le centre est une personne, c’est Jésus, Jésus Christ ! ». Il y a l’amour, c’est-à-dire ce qui vient de Dieu. Et il n’y a qu’une mission : faire nôtre cette miséricorde que Dieu a pour nous, Dieu : « quelqu’un qui me connaît, qui connaît mes trahisons et qui m’aime quand même, m’estime, m’embrasse, m’appelle à nouveau, place de l’espoir en moi, attend des choses de moi ».
Avant de conclure en demandant à chacun de prier pour lui, le Pape mentionne avec vigueur un autre passage de don Giussani : « Le génie du Mouvement que j’ai vu naître est d’avoir ressenti l’urgence de proclamer la nécessité de revenir aux aspects élémentaires du christianisme, c’est-à-dire la passion du fait chrétien en tant que tel, dans ses éléments originaux, et c’est tout ». Pour finir, ce sont la Bénédiction, et les salutations à quelques-uns des responsables et amis du Mouvement, venus du monde entier, de traditions et de Credo différents. Le Pape s’attarde avec un groupe de prisonniers ; il caresse, bénit, embrasse une fillette ; et ce, avec une prédilection unique, tellement unique qu’elle rejoint et comble le besoin de chacun de nous. Entre temps, le peuple s’achemine lentement vers l’issue de la Place, encore saisi par le bien inattendu qu’il vient de recevoir : « Mais que s’est-il passé ? Qui est passé ? » dit Lucia avec peu de mots et un grand sourire…
A l’âme, les grandes questions qui ne peuvent pas attendre et qu’on partage avec les amis, tandis que la Place se vide. Salutations et baisers. Dernières photos. Andrea porte dans son cœur les rappels du Pape, qui blessent et ouvrent le désir d’un chemin à commencer et à recommencer : « Il nous a dit beaucoup de choses, je veux plonger dedans. Je veux les vivre ». Pour Alberto, c’était la première rencontre avec le Pape. Il a 45 ans et il n’a pas arrêté de pleurer comme un gamin, derrière ses lunettes de soleil. Pourquoi ? La réponse est dans la vidéo de don Giussani, où il décrivait la rencontre de Jean et André avec… Jésus : « Les enfants, sans trop de chichis, c’est, pile poil, ça qui s’est passé ».