Aleksandr Filonenko

« La paix du Christ est autre chose »

Pour le philosophe orthodoxe Aleksandr Filonenko, les mots de François sont les seuls à percer l’obscurité de la guerre.
Luca Fiore

« La prière est notre cri vers Dieu en temps de guerre. » C’est ainsi que le pape François a conclu son intervention du 4 février dernier : 'Bien-aimé peuple ukrainien'. Un appel à la paix, intense, pas formel. Un message qu’Aleksandr Filonenko, professeur à l’Université de Kharkov, orthodoxe et membre de la communauté de CL en Ukraine, a voulu aussitôt partager sur Facebook, d’abord en italien puis en russe. Comme si, dans le fleuve des discours et des analyses, le regard du Pape catholique était un éclair qui illuminait les ténèbres.

« Il parle de sa souffrance quand il entend prononcer des mots comme 'victoire' ou 'défaite', explique Filonenko. Pour François, la paix n’est pas la solution technique des problèmes. Beaucoup confondent la paix avec le cessez-le-feu, mais il est évident que la paix du Christ est autre chose. » Il faut ranger les armes, précise le professeur, mais ce serait une illusion de penser que cela suffise pour arrêter la guerre. François dit au contraire : « Le mot juste est 'paix'. C’est une invitation à réfléchir sur la vraie signification de ce mot, au niveau politique, comme au niveau humain. »
Pour Filonenko, la seconde partie du message a été une véritable surprise parce que personne n’avait dit de manière aussi claire une vérité aussi simple : « C’est une guerre entre chrétiens ». Un scandale qui frappe celui qui a à cœur l’unité entre orthodoxes : « Chez nous, la dimension de la paix s’est perdue dans l’Eglise elle-même. Mais c’est une blessure qui traverse le christianisme dans toute l’Europe. C’est ce qui nous interroge le plus : qu’est-ce que la paix du Christ ? Où devons-nous la chercher ? »
Quelle réponse a-t-il trouvée ? « Je suis frappé par le vaste mouvement des volontaires qui aident spontanément ceux qui sont dans le besoin. Un mouvement gratuit. Et ce qui est intéressant, c’est que ces volontaires, souvent, ne sont pas chrétiens. Cela découle du sens de l’Humanité ».

Une des rencontres les plus marquantes est celle de Victoria Ivleva, une photographe-reporter russe, primée à plusieurs reprises pour ses reportages au Rwanda, en Tchétchénie et au Nagorno-Karabakh. « L’an dernier, explique le professeur de Kharkov, elle a parcouru l’Ukraine d’est en ouest, grâce au financement de ses contacts Facebook en Russie. Lorsque la guerre a éclaté, elle a collaboré aux opérations humanitaires, avec les volontaires ukrainiens. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu : 'J'ai vu mourir des milliers de personnes un peu partout dans le monde et j’ai compris que n’importe quelle vie, même la pire, vaut mieux que la mort'. Et elle a ajouté : 'Vous, Ukrainiens, vous n’avez pas à vous préoccuper de savoir qui gagnera cette guerre. Vous devez comprendre le sens de la gratuité parce que, même si vous gagniez la guerre, vous seriez quand même morts si vous perdiez votre Humanité'. »

Mais quel est le lien entre cet élan de gratuité et la possibilité de la paix ? Filonenko rappelle la position du Pape : « Ses paroles sont un défi lancé à nous, chrétiens, qui avons vu la possibilité d’une Humanité nouvelle. La paix commence quand on réussit à 'voir' le visage des autres, le caractère unique de chacun. Même de celui qui est un ennemi. Cette attitude génère la gratuité. Mais, pour arriver à cela, il faut une éducation du cœur ».