Sur sa route

De tous âges et provenances, ceux qui y étaient (et ceux qui n’y étaient pas) en acceptant l’invitation du Pape, racontent ce qui s’est passé sous leurs yeux.
P. Bergamini, L. Fiore, A. Leonardi, P. Perego, A. Stoppa

JOHN KINDER, Perth (Australie)
Depuis qu’il est retourné à Perth, John n’a pas arrêté de raconter. Même ses collègues de la très laïque University of Western Australia l’arrêtent dans les corridors de la Faculté de Langues pour l’interroger sur ce face à face avec le Pape. « Après l’Audience je me suis mis dans la file pour le baisemain. J’essayais de rassembler mes pensées et mes paroles et puis il y a eu son regard : ces dix secondes ont été la chose la plus simple de ma vie : « me laisser regarder et désirer seulement de suivre une personne qui est en train de suivre le Christ ».
Il est arrivé Place St Pierre avec son ami néozélandais le Père John O’Connor mais il voulait à tout prix être accompagné aussi par ses amis de toujours, ceux qu’il avait rencontrés, jeune étudiant, en 1977 à Milan. « Au fond, mon histoire est celle de ce regard qui me lie à nouveau à Jésus dans chaque circonstance. C’est pourquoi je n’ai pas peur de me « décentrer » parce que cela coïncide avec la certitude que Jésus est au centre de la vie .
C’est de là que sont reparties les communautés de Melbourne et de Sydney : « Nous sommes des réalités très petites » raconte John, « mais nous aussi sommes tentés de faire de la publicité pour le mouvement ». Par contre le Pape nous a libérés de la volonté de « frapper les esprits » et nous a fait voir que la seule chose qui compte est de vivre la rencontre qui nous fait sentir que nous sommes aimés ». C’est avec cette fraîcheur qu’aujourd’hui les amis de Sydney préparent l’exposition sur don Giussani. « Je me suis senti traité en adulte par le Pape, et pour la première fois je n’ai pas eu peur de retourner à la routine. Le Christ me précède. Il est déjà là qui m’attend à la maison.

JIANQING ZHANG, Padoue
Pour moi, participer à la rencontre avec le Pape a été une vraie grâce. Je suis en prison depuis dix ans, je n’ai jamais dormi dehors, et rien que de sortir, me procurait une immense joie. Mais me retrouver face au Pape, et pouvoir lui dire que dans un mois, je recevrai le Baptême (et le nom d’Agostino) c’était presque trop.
Je continue à penser à son regard, au sourire qu’il m’a adressé, plein de miséricorde et d’amour. J’ai eu la sensation d’être purifié de mes péchés. Une nouvelle vie est en train de naître, le Seigneur est toujours avec nous, et il ne nous abandonne jamais. J’ai commencé à prier plus souvent, surtout pour les personnes qui souffrent encore aujourd’hui, à cause de moi. C’est un besoin qui jaillit du fond de mon cœur, quelque chose qui s’est miraculeusement ouvert à travers la poignée de main du pape François. C’est une expérience qui m’appelle à faire quelque chose pour le Seigneur, c’est-à-dire de transmettre son amour à mon prochain et d’annoncer que la miséricorde de Dieu est pour tout le monde. Maintenant je vis intensément cette mission. Je peux enfin être utile au Seigneur, dans les limites de mes pauvres moyens.

FRANCESCO BERTOLINA, Novossibirsk (Russie)
Un jour, lorsqu’il étudiait la philosophie à Rome, le professeur emmena sa classe visiter la Basilique de Saint Clément. Vingt huit ans plus tard, ce souvenir revient à l’esprit de don Francesco Bertolina pendant qu’il relit les paroles du Pape.
Le professeur nous avait soudain arrêtés devant une magnifique mosaïque : « En haut vous voyez la main de Dieu le Père qui plante la croix dans le monde » . Francesco écoutait attentivement en imaginant le bruit, le choc que ce geste a provoqué dans le monde. Le professeur continuait : « Vous voyez les ruisseaux qui jaillissent de la croix ? Leur eau va arroser un arbre qui forme des cadres, et à l’intérieur de ces cadres, vous voyez la vie de l’homme dans ses multiples aspects, embrassée et transformée par la grâce du Christ ». C’est là que je me suis dit : « mais c’est le mouvement ! » Maintenant, je me demande pourquoi je n’ai pas dit « c’est le christianisme » ? Parce que cette mosaïque décrivait ce qui m’est arrivé, quand j’ai rencontré le charisme, ma vie a été totalement transformée ».
Don Francesco est missionnaire de la Fraternité San Carlo en Sibérie depuis 24 ans. Il ne nie pas qu’il a regretté de ne pas pouvoir être sur la Place St Pierre, mais il a suivi l’événement comme il a pu. Le premier point sur lequel il veut travailler et demander, c’est ce qu’il définit comme « une très belle exclusivité », c’est-à-dire ce passage où « Seul celui qui a été caressé par la tendresse de la miséricorde connaît vraiment le Seigneur ». Et voici ma demande : « Seigneur, accorde-moi de pouvoir toujours plus faire l’expérience de Ta miséricorde, pour faire l’expérience de Ton visage ».
Il se laisse aussitôt immédiatement provoquer par l’invitation à être « une Eglise qui sort ». Dans la mosaïque de Saint Clément, il y a un oiseau en cage : « C’est l’incarnation, la divinité emprisonnée dans notre humanité ». Durant toutes ses années de mission, il a été contraint de trouver toujours de nouvelles voies pour rencontrer les hommes, mais n’en a parcouru qu’une seule, celle qui mène à leur maison. Il leurs rend visite, il mange avec eux, il leur fait le catéchisme, comme quelques jours plus tôt, dans une cuisine avec une grand-mère sourde, une maman, une fille adoptée et un ami de la fille. Il était là, à plaisanter, écouter leurs problèmes, les assumer, les porter dans la prière, et désirer ardemment pour eux ce Bien, sans lequel je ne pourrais pas vivre non plus .

ANJA STROTSEVA, Minsk (Biélorussie)
Anja appartient à l’Eglise orthodoxe du Patriarcat de Moscou. Elle avait reçu l’invitation à se rendre chez le Pape durant un pèlerinage en Terre Sainte. « C’était une proposition un peu étrange pour nous, orthodoxes, je pensais que je n’arriverais pas à m’organiser. En février, quand j’ai lu l’appel du pape François pour la guerre en Ukraine, je me suis décidée ». Jusque là, elle n’avait jamais entendu parler de ce qui se passait à l’est de l’Ukraine comme d’une guerre fratricide entre chrétiens. « J’ai compris alors que je désirais aller chez le Pape, parce qu’il prie et sent le drame de cette guerre, comme je le sens ».
Pour elle, la guerre en Ukraine n’est pas seulement une question politique, mais c’est la manifestation d’un malaise plus profond qui touche la société et l’Eglise. « Une des raisons pour lesquelles nous sommes venus est parce que nous nous demandons, quelle est la voix des chrétiens aujourd’hui dans le monde ? Comment pouvons-nous témoigner le christianisme ? ». Ce qui a le plus frappé Anja, qui était assise sur le parvis avec un groupe d’orthodoxes, c’est le manque de formalités dans le déroulement de l’Audience. « J’ai vu une très grande liberté qui laissait de la place pour la rencontre personnelle, c’est quelque chose à quoi nous ne sommes absolument pas habitués dans des circonstances semblables. C’est pourquoi, je me demande comment, vous catholiques, vous avez fait pour vous libérer du formalisme ».

YUAN PEI, Berkeley (USA)
C’est elle qui a chanté l’Ave Maria en chinois sur la Place St Pierre. Elle a rencontré le mouvement durant ses études d’ingénieur à Shanghai, mais actuellement elle fait la maman à Berkeley en Californie. Elle n’est pas habituée à chanter en public et l’émotion de s’exhiber devant plus de 80 000 personnes a dû être immense. Mais si on lui demande, quel est l’écho personnel de cette journée, elle va immédiatement aux paroles du Pape : « J’ai ressenti un coup au cœur quand il a dit que le lieu privilégié de sa rencontre avec le Christ, c’était son péché. J’ai toujours eu honte de mes faiblesses. Mais l’expression humble et honnête du Pape m’a libérée, au point d’accepter qui je suis, et ce que je suis appelée à faire. C’est la vraie liberté que le Christ nous a promise. Ainsi je demande un cœur blessé, un cœur de mendiant, afin de pouvoir toujours désirer son regard ».
À côté d’elle, Adèle traduisait : « Des mots qui n’avaient jamais eu de sens pour moi devenaient familiers. C’est vraiment ainsi, que je suis arrivée à comprendre le christianisme. Je venais d’un contexte protestant et je fréquentais les cours bibliques, ils analysaient l’Evangile mot à mot. J’en sortais chaque fois en ayant tout compris, mais il ne me restait rien, par contre les premières fois que j’ai lu Giussani, je ne comprenais rien ou pas grand chose. La seule chose que je pressentais, c’est qu’il reconnaissait un désir qui m’effrayait dès que je l’évoquais ». C’est ainsi qu’elle a continué à fréquenter ses amis : « Ils étaient tellement différents des autres. Comme je me sentais chez moi quand j’étais avec eux ! Je suis restée proche d’eux et, comme sur la Place St Pierre, des paroles étrangères sont devenues riches de signification. Reconnaître la présence du Christ dans la vie réelle, m’a été transmis par des personnes qui me considéraient comme leur amie. Comme nous l’a dit le Pape : « La rencontre ne se fait pas avec une idée, mais avec la personne du Christ ». C’est exactement ce qui m’est arrivé et qui continue à m’arriver ».

BRIGHT LUMANYIKA, Kampala (Ouganda)
À 25 ans, c’était la première fois que Bright allait voir le Pape. « J’ai écouté pendant que quelqu’un près de moi, essayait de traduire ce qu’il disait, et ce que disait Carrón ». Quelques phrases, dit-il en souriant : « C’est-à-dire l’essentiel que tous deux nous rappellent continuellement ». Il travaille au Meeting Point International et a rencontré le mouvement il y a quelques années dans son école. C’est un des jeunes de Rose, ceux qui ont grandi autour du groupe de femmes malades du SIDA qui revivent dans l’amitié de l’infirmière de Kampala. « C’était la rencontre d’un père, un enfant ne peut pas exister sans un père, je ne sais pas grand’ chose du Pape, j’ai lu quelque chose à son sujet sur l’internet, et puis, j’ai entendu Carrón qui disait, que nous avons devant nous, un père qui nous régénère chaque jour. C’est pour cela que je me suis senti, chez moi, à Rome ».
Il retourne en Ouganda avec un grand désir de repartir, pour parler de ce qui s’est passé Place St Pierre : « Entendre ces mots m’a rappelé une chose que j’ai lue chez don Giussani quand il parlait de la responsabilité du charisme, une responsabilité face au monde, comme dans l’invitation de François à sortir, en regardant l’essentiel, le Christ. C’est la seule voie pour moi, pour tout le monde, pour vivre et être heureux ».

TIMOTHY FORSE, Cambridge (Grande Bretagne)
Timothy Forse est un englishman jusqu’au bout des doigts. Fier d’être anglican avec les questions, les doutes et la douleur que peut vivre aujourd’hui un membre de la High Church qui a grandi à l’école de Michael Ramsey, inoubliable archevêque de Canterbury entre les années soixante et soixante-dix.
C’est Carlo qui l’a invité à l’Audience. Il y a quelques années, Carlo et d’autres étudiants de CL ont habité chez Tim, au centre de Cambridge, pendant une période de leurs études :« L’un d’entre eux se levait tôt chaque matin pour aller à la messe, il prenait sa foi très au sérieux et n’avait pas de problèmes à en parler avec moi ». « Qu’est-ce qui l’a particulièrement frappé ? C’est difficile à expliquer, mais pour citer Newman : cor ad cor loquitur, le cœur parle au cœur. Avec le temps, Carlo m’a offert quelques livres de Giussani et m’a fait connaître d’autres amis du mouvement. Ils sont passés par la porte de ma maison et sont entrés dans ma vie pour y rester. Carlo, Giussani et le Christ ».
Quelques jours avant l’Audience arrive l’invitation. Ma décision de venir, part d’un « Oui », avec un « O » majuscule, qui naît de notre profonde amitié. Il n’y a qu’un mot pour décrire ce que j’ai vu : « extraordinaire ». Sa première réaction a été la perception de l’humilité de François, une sensation de grâce et d’émouvante réponse, à mon incapacité à mettre mon ego de côté, ce que le Pape a appelé l’autoréférentialité ». Mais en même temps la conscience de ce que Tim définit, comme ses propres shortcomings, terme difficile à traduire, là où François dit, que l’Eglise peut verser le baume de la miséricorde de Dieu.
De retour chez lui, incapable d’exprimer avec des mots normaux et de manière exhaustive ce qui s’agite maintenant dans son cœur, il a pris la plume pour rédiger une réflexion poétique dédiée à ses amis de CL. Elle s’intitule Lenten Rose, la rose de Carême. C’est la première fleur qui éclot dans son jardin de Cambridge : You are there / The metaphor tells / The sign of appearing / First You, Our Lord. Tu es là / Dit la métaphore / Signe de manifestation / Toi d’abord, Notre Seigneur.

Le communiqué de fin d’Audience.

« Aujourd’hui nous avons renouvelé l’expérience de la rencontre avec le Christ »

Plus de 80 000 personnes provenant de 47 pays étaient réunies sur la Place St Pierre pour l’Audience accordée par le Pape François à l’occasion du 10ème anniversaire de la mort de don Luigi Giussani et des 60 ans d’existence du mouvement de Communion et Libération.
Commentant les paroles du Pape, don Julián Carrón, président de la Fraternité de CL a déclaré : « Aujourd’hui nous avons renouvelé l’expérience de la rencontre avec le Christ. Nous l’avons vu primerear sous nos yeux à travers la personne et le regard du Pape François. Le même regard qui a conquis Matthieu il y a deux mille ans, mais aujourd’hui ! Aujourd’hui nous avons fait l’expérience de ce qu’est la caresse de la miséricorde de Jésus. La manière avec laquelle le Pape nous a embrassés restera pour toujours gravée dans notre mémoire. C’est ainsi qu’il nous a fait comprendre que « le centre est unique, c’est Jésus Christ. Cette expérience nous permettra de ne pas réduire le charisme à un musée de souvenirs, et d’entretenir le feu pour ne pas adorer les cendres ».
Seule cette expérience du regard du Christ – qui provoque surprise, stupeur et nous fait sentir liés à Lui – nous empêchera de succomber à toute tentative d’autoréférentialité et nous permettra de découvrir en chaque personne que nous rencontrerons le bien qu’elle porte, comme nous l’a toujours enseigné don Giussani.
Cette expérience nous mettra en condition de vivre le christianisme comme « principe de rédemption qui assume la nouveauté en la sauvant ».