Le manque et le cœur de Dieu

L'abbé des Cisterciens, Père Mauro Giuseppe Lepori, a tenu une lectio sur le thème. « Le Meeting élargit mon chemin »
Alessandra Stoppa

« Venir ici me touche énormément, toujours. Il m'est donné de voir et d'écouter des choses qui me touchent profondément : pas seulement sentimentalement, mais vraiment comme une proposition qui élargit mon chemin ». Le père Mauro Giuseppe Lepori, abbé général de l’Ordre cistercien, à qui a été confié l'intervention sur le titre du Meeting, après quelques jours à Rimini, dit se sentir rajeuni d'un coup : « Ici se produisent des rencontres qui me font désirer la vie ».

Qu'a signifié pour vous tenir la conférence sur le thème de cette année ?

Je remercie Dieu qui m'a donné - qui a donné à chacun de nous - un cœur inquiet, qui ne trouve pas la paix si ce n'est en Lui. Et ce cœur n'est pas seulement face à Dieu, il porte en soi des liens : quand l'un correspond au désir vrai de son cœur, il se sent à l'intérieur d'un peuple. Je l'ai ressenti très fort après la leçon : il y a un peuple qui se forme, pas à partir de ce qu'il a dit, mais par le fait de se retrouver face au Mystère. C'est comme s'il n'y avait plus d'étrangeté entre les personnes. D'habitude, nous pensons qu'il existe un aspect étranger, parce que nous ne vivons pas au niveau du désir fondamental de notre cœur.

Le pape, dans son message, a indiqué le but essentiel du chrétien : aider l'autre à ne pas se contenter. Qu'est-ce que cela veut dire dans votre expérience ?

À moi, il m'arrive, certainement, de me contenter un peu de ce que je fais, de ce que je suis, de me suffire à moi-même. Comme le jeune homme riche. Mais le bon côté, c'est que cela ne dure jamais. Cela ne dure jamais ! Ça, c'est Dieu qui parle à notre cœur, qui ne nous laisse jamais nous satisfaire de rien moins que de Lui, des petites choses, comme dit le pape. Il arrive que tu cherches à t'accrocher à une idole, à une satisfaction de toi-même, parfois même seulement à une pensée, la pensée de ce qu'il te semble être, de ce que tu crois faire, d'un petit succès. Ou bien de te décourager à cause de ce qui ne va pas, mais seulement car cela ne te convient pas à toi. Mais, avant ou après, tu te rends compte qu'il y a ce manque, parce que tu es insatisfait, tu n'es pas content. Et, surtout, il se produit toujours le miracle d'une personne, d'une rencontre, d'une parole qui t'ouvre à nouveau à l'infini. Et tu sais immédiatement que cela te correspond des millions de fois plus.

Vous avez parlé de la tentation de croire que le Christ ne manque pas à l'autre. Vous pouvez mieux expliquer ?

Dans le rapport avec la réalité que je suis, les communautés monastiques, je suis scandalisé lorsqu'il me semble que l’autre ne préfère pas le Christ et que mille autres choses sont pour lui plus déterminantes.
Mais le Christ lui-même ne se scandalise pas de cela. Alors au lieu de juger, de condamner ou de me scandaliser, il est beaucoup plus important que je me confronte avec le cœur de Dieu, qui est tout entier déterminé par Son désir de nous accueillir, qui a pour nous un désir infiniment plus grand. C’est cela qui sauve tout. Aucune prétention ne peut me sauver, sauver les autres, ne peut nous sauver de la façon dont nous traitons mal notre désir. Il n'y a que l'attraction qui vient de la conscience de la miséricorde de Dieu qui nous sauve : lorsque moi, je suis tout à coup surpris en premier par cette miséricorde que je n'avais même pas désirée. Le Fils prodigue retourne chez lui parce qu'il a faim, il a l'estomac vide, mais le désir du père pour lui est infiniment plus grand. Cela change tout. C'est la miséricorde. Et moi seul, en me référant à l'origine de la miséricorde, je peux aimer l’autre gratuitement. C'est très beau que, dès le matin, en priant, je puisse tout affronter connecté à une source de pardon et de positivité qui balaie toutes mes réactions instinctives face à l'autre.

Vous avez dit que Dieu éprouve un manque pour nous. Comment le voyez-vous dans votre vie ?

Je peux dire que Dieu ressent le manque de nous car il y a le Christ. Il a incarné et personnifié la miséricorde du Père : Jésus pendant toute sa vie a pensé à la façon dont le Père désire l'homme, pas à la façon dont l‘homme désire Dieu. Et c'est ainsi qu'il nous regarde maintenant. C'est le regard sur Zachée, sur Pierre, sur moi, sur toi. Cette expérience, comme tous, je l'ai faite et je la fais en celui qui m'aime et m'accueille : il n'existe rien de plus irrésistible dans la vie d'une personne qui est heureuse de te voir, sans qu'il y ait une raison, parce que la raison c'est toi. Tu suffis. Une gratuité.
Combien nous trahissons cette gratuité ! La gratitude que j’ai vue au Meeting n'est pas pour ce que j’ai fait ou dit : c’est une gratuité qui anime l'Église, qui anime certaines rencontres, certaines personnes. C'est une gratuité parce que c’est un accueil qu'aucun de nous n'a jamais mérité. Il n'existe pas de raison en nous pour mériter d'être aimé. Tu peux le donner pour évident, mais c'est une surprise, un événement qui se produit.