L’étincelle imprévisible

Le Meeting du besoin d’infini et de la méthode de Dieu : rencontre après rencontre, on découvre le spectacle imprévu de l’humanité qui étincelle. Voici les faits principaux de la semaine.
Davide Perillo

« C’est à partir de cela qu’on recommence ! ». Dans l’air, résonne encore l’écho du violon qui a joué Bach. Joseph Weiler vient à peine de terminer de pousser un long soupir et de dire en souriant : « Il faut bien une minute pour récupérer ». Et Julián Carrón, qui se trouve avec lui et Monica Maggioni sur le plateau pour discuter d’Abraham et des défis du présent, intervient soudainement : « C’est à partir de cela ! De cet instant où l’on est saisi à nouveau. Il y a quelque chose dans la réalité qui attire plus que tous les manques, que toutes les limites. Face à une telle beauté, le moi recommence à nouveau. Il ne faut rien faire. Il suffit seulement que cela arrive ».
C’est l’instant où se condense tout le Meeting, et les sept mille personnes dans la salle s’en rendent compte. Durant sept jours d’affilée, 78 rencontres, deux cent vingt hôtes, quinze expositions, huit cent mille visiteurs, une beauté continue à couper le souffle, et tout cela, au fond, peut se retrouver là, dans cet échange de paroles accueillies par un applaudissement surpris et plein de reconnaissance.
C’était le Meeting de Mario Luzi et de la nostalgie d’infini, exprimée dans ces vers qui nous ont offert un des plus beaux titres depuis le début (« De quel manque est ce manque, cœur, dont, à l’improviste, tu es plein ? »). Chemin faisant, il est devenu aussi le Meeting d’Abraham. Non seulement pour le dialogue entre le responsable de CL et le grand juriste juif, modéré par la nouvelle présidente de la RAI, ni même seulement pour l’exposition organisée par le bibliste Ignacio Carbajosa avec la collaboration de l’archéologue Giorgio Buccellati, mais vraiment pour ce qui s’est passé durant le Meeting. Car c’est là que s’est manifestée la méthode de Dieu, ce moment imprévisible dans lequel le Mystère se révèle à l’homme dans l’histoire, se fait dire « Tu » et se communique au monde entier à travers une personne. On a pu le voir, tout au long du Meeting.
Cela a déjà commencé par le message du pape François. C’était un éloge du cœur qui cherche, du manque qui nous pénètre (« ce n’est pas le signe que nous sommes nés avec un défaut mais que notre nature est faite pour de grandes choses ») et en même temps l’annonce que « le Mystère infini s’est penché sur notre néant assoiffé de Lui et a offert la réponse que tous attendaient, même sans s’en rendre compte. Seule l’initiative de Dieu créateur pouvait combler la mesure du cœur ; et Il est venu à notre rencontre pour se laisser trouver par nous comme on trouve un ami ».
C’est bien cela, un ami. Un allié, dirait le juif Weiler. Et que génère cette alliance avec Dieu, quelle amitié peut-il apporter entre les hommes et les peuples ? On a pu le voir à de nombreuses occasions. Jeudi, un jour insolite pour l’ouverture du Meeting, dans l’auditorium, se sont retrouvés un cardinal (Jean-Louis Tauran), un rabbin (Haïm Korsia) et un imam (Azzedine Gaci). Chrétiens, juifs et musulmans, les « religions abrahamiques ». Les religions font-elles partie du problème, sont-elles la racine des conflits que nous voyons s’allumer, ou sont-elles une aide pour la solution ? Le Meeting avait à peine accueilli la salutation chaleureuse de Ban KiMoon, secrétaire de l’ONU et les paroles profondes de Sergio Mattarella, président de la République italienne sur les « germes de la troisième guerre mondiale » et sur notre responsabilité dans le combat contre cette dérive (« c’est à nous d’assécher la haine, de faire grandir la confiance et la coopération, de montrer les avantages de la paix »). Et là, dans la salle, on pouvait voir cette confiance dans le dialogue que Son Éminence a conclu par une invitation : « Merci à vous qui ouvrez la porte pour dire au pèlerin : venez et regardez, Dieu n’est pas mort ! ».

LA FIRST LADY ET GAUDÍ.
Nombreux sont ceux qui se sont présentés à cette porte. Des hôtes de niveau international comme Rula Ghani, first lady chrétienne provenant de l’Afghanistan martyrisé, qui s’est lancée dans un dialogue inédit avec le public (« parce que mon travail est d’écouter les personnes ») et en matière de dialogue, elle a démontré avoir les idées claires : « Comment peut réaliser cela ? Il faut simplement le vivre ». Ou comme José Almuzara, président de l’Association pour la béatification de Antoni Gaudí, qui est venu pour une exposition racontant l’amitié entre Etsuro Sotoo, le sculpteur de la Sagrada Família, et Sandro Rondena, l’architecte disparu il y a peu, qui a restauré l’abbaye de Morimondo et qui a été ému « par la façon dont je me sens chez moi, en tout et avec tous ». C’est cette maison dans laquelle Pietro Modiano, président de la SEA, a confessé « se sentir sur le seuil », à la fin d’une intervention à cœur ouvert durant laquelle il a raconté comment il est en train de découvrir don Giussani, lui qui vient d’un monde bien éloigné de CL « et je ne pensais pas que vous rencontrer appartenait au destin qui m’était réservé ». L’imprévu. Une étincelle qui s’est allumée.
C’est la même étincelle qui a pris les cœurs de ceux qui ont rencontré l’autre Abraham de notre époque, le père Alsabaghn, curé d’Alep, en Syrie. En effet son nom est Ibrahim. Son récit, après les paroles dures et pleines de souffrance de père Douglas Bazi, prêtre à Erbil, a marqué le Meeting, et son visage encore plus, si c’est possible, par la joie impensable d’un homme qui vit et souffre avec son peuple, littéralement à un tir de fusil de l’horreur de l’Isis. On lui a demandé cent fois, dans les stands et les couloirs : « Comment pouvons-nous vous aider ? ». Et il a répondu toujours la même chose : « Par votre foi. Priez et vivez-la ». Il ajoutait souvent une invitation qui laisse son auditeur bouche bée : « Courage, continuez ainsi et continuons ainsi, unis ». Courage. Et c’est lui qui nous dit cela, à nous.
Qui sait si cela a à voir avec la Terre promise à Abraham, dont parle Weiler : « Ce n’est pas seulement un territoire : c’est un autre type de vie, de relations entre les hommes et entre l’homme et Dieu ». Vraiment, il y a eu des dizaines de moments durant lesquels cette autre façon de vivre était présente, aux yeux de tous. Par exemple ? Le repas qui, à mi-parcours du Meeting, a réuni les hôtes pour se connaître. Un mix insolite, durant lequel on peut voir côte à côte un évêque orthodoxe et un juriste égyptien, journalistes et philosophes, managers de multinationale et sœurs missionnaires. À un certain moment, on a la nette impression que le cœur de la soirée se trouve là, à la table à côté de laquelle se trouve un homme immobile, affaissé sur sa chaise roulante. C’est Ugo Rossi, malade de la SLA, accompagné par le regard et les soins de Silvia, sa femme. Il ne peut prononcer aucune parole, il ne peut rien faire. Seulement aimer et être aimé. Mais cela suffit.
En regardant autour de soi, on comprend un peu plus la phrase stupéfaite de Lyndon Neri, le designer chinois : « C’est la première fois que je vois un événement dans lequel il y a tout ». Il ne parlait pas seulement de la variété des arguments, du fait qu’au Meeting on ait parlé de l’Europe et des explorations dans l’espace, de la Cour constitutionnelle (avec Sabino Vassese et Marta Cartabia) et de linguistique (avec une intervention en vidéoconférence de Noam Chomskmy, l’un des plus grands intellectuels vivants). Il parlait de l’humain. Il y a tout ici, de façon complète. Au point que Pupi Avati, maître de cinéma, quand on lui demande un commentaire sur Rimini, dira : « Il n’y a plus personne en Italie qui propose un projet commun, quelque chose qui soit capable d’engager et d’attirer. Ici, cela arrive. C’est un miracle. Qui a pensé le Meeting a pensé l’impossible ».
Impossible. Comme l’a dit Sara, la femme âgée d’Abraham, face à Dieu qui lui annonçait la venue d’un enfant. Tout comme nous le pensons nous-mêmes continuellement dans la tentative obstinée de mesurer et de posséder une réalité qui n’est pas la nôtre : elle est imprévisible, elle est le lieu où le Mystère se révèle comme Il le veut. On le voit sur le visage du moine Shodo Habukawa, heureux comme un enfant, à la fin de la rencontre qui a fait se croiser les prières shomyo avec les chants de la tradition chrétienne. Ou dans l’amitié avec des personnes que, jusqu’à il y a peu de temps, on aurait jamais imaginé voir si proches et qui sont ici, par l’intermédiaire de rapports qui ont grandi dans le temps ; car derrière chaque présence il y a une histoire. On peut citer Luigi Berlinguer, Luciano Violante, ou encore Piero Sansonetti, qui s’est raconté à cœur ouvert à Alberto Savorana lors de l’un des plus beaux dialogues du Meeting.

AU PARKING.
Un autre homme de gauche a également déambulé longuement dans les différents pavillons : Fausto Bertinotti, l’ex leader de Rifondazione Comunista. Il a parlé de lui lors d’une rencontre. Il a assisté au dialogue sur Abraham (« Je suis entré avec de nombreuses questions, je suis ressorti avec plus de questions encore »). Il a vu, demandé, dialogué. Il a été ému par l’exposition sur le métropolite Antonij. Et Aleksandr Filonenko, qui ne savait pas qui pouvait être cet homme si secoué par la phrase : « Dieu croit en l’homme », a répondu « Tu sais, nous serons ensemble pour toujours ». Bertinotti a remercié et est sorti en silence. Mais il est revenu quelques minutes après : « Je ne sais pas comment vous dire ma reconnaissance ».
Cette même exposition a été mise en œuvre par un groupe de travail insolite (il a réuni des Russes, des Ukrainiens, des Biélorusses et des Italiens) et a été présentée lors d’une rencontre historique par trois orthodoxes (les Ukrainiens Filomenko et Constantin Sigov et le Biélorusse Dima Strotsev), et un seul catholique – don Francesco Braschi – qui s’est limité à les introduire. Filonenko avait commencé en citant Antonij : « Dieu nous a permis aujourd’hui de nous rencontrer ». C’est une bonne synthèse du Meeting.
Tous pourraient souscrire à cette phrase. Par exemple, ceux qui ont travaillé aux expositions où d’autres mondes se sont rencontrés : l’Œuvre du Dôme de Florence, les Millennials américains, les scientifiques qui ont raconté l’histoire de l’eau, les sept artistes contemporains de « Tenir le feu allumé », où entre autres, la vidéo de Marina Abramovic (« Fille d’Abraham »…) a eu un franc succès.
Mais les volontaires pourraient en dire autant. Ils étaient environ trois mille, avec des tours prolongés, une fatigue éreintante et de nombreuses questions sur le « pourquoi je suis ici ? ». Quand, sur le Quotidiano Meeting, est paru un article sur la triste vie des « gardiens de parking », qui passaient des heures sous le soleil et qui ne peuvent rien voir ou presque de toutes les manifestations, un prêtre de la Brianza a commencé à aller les trouver tous les jours et à leur porter des boissons et des gâteaux. Quant à Margherita, qui étudie à l’université catholique de Milan, après avoir insisté durant trois jours pour vendre un billet de loterie à un policier, elle raconte qu’un dialogue est né entre eux : lui demandait et elle racontait. Et après un certain temps, il a admis avoir été déconcerté par la rencontre entre Carrón et Weiler « parce qu’il a relu toute ma vie ». De nouveau Abraham. De nouveau la méthode de Dieu : l’imprévu.
Parmi les dernières rencontres, il y avait le témoignage de Grégoire Ahongbonon. Il vit en Côte d’Ivoire, il a mis sur pied une œuvre de charité qui est née de la rencontre avec un malade (« j’ai commencé à le voir avec de nouveaux yeux, parce que j’ai compris que c’était Jésus qui se montrait à moi… ») et qui a grandi dans une humble certitude : « Je ne suis rien, mais c’est un projet de Dieu : Il va chercher qui Il veut » et quand Il veut. « C’est surprenant de voir comment le Mystère, pour changer le monde, choisit Abraham, un “moi” », commente Marco Bertoli, psychiatre et ami de Grégoire : « Cette méthode est-elle de la folie ou la plus réaliste qui soit ? Nous savons ce qui est né de l’élection d’Abraham ».

VIE APRÈS VIE.
Un « moi » est né, justement. Et, à partir de là, un peuple, comme celui dont parle le père Charly Olivero quand il raconte l’histoire de sa Villa 21-24, la favela de Buenos Aires et de la communauté qui y a grandi, rencontre après rencontre, vie après vie, misant sur la « confiance dans le fait que l’autre personne possède un don à donner et à partager », et que « Dieu a beaucoup à nous donner à travers cette personne ». Cela correspond presque à l’anticipation du titre du prochain Meeting : « Tu es un bien pour moi ».
Peut-être est-ce cela qui fait dire à des personnes comme Brunello Cucinelli, entrepreneur dans le monde de la mode, que « ce lieu a une vision ». Ou encore au cardinal George Pell, « ministre des finances » du Vatican et auteur d’un très beau rapport sur « Église et argent » qu’il est revenu ici aussi « pour écouter et apprendre ». Mais sans doute est-ce cela qui a poussé Matteo Renzi lui-même, premier ministre très attendu au Meeting, à dire qu’il est venu à Rimini « content et reconnaissant », tout comme le lui avait écrit il y a quelques années Graziano Grazzini, conseiller provincial toscan, mort en 2006, membre de CL et adversaire politique mais « ami de nombreuses personnes parmi vous et parmi nous » parce qu’il était témoin « d’une façon de vivre ». Un autre type de vie : celui promis à Abraham.