Le journaliste Wolfgang Bauer

« Pourquoi ai-je décidé de partir avec eux »

Il a accompagné quelques réfugiés syriens de l’Égypte en Allemagne. Le journaliste allemand Wolfgang Bauer raconte comment leur arrivée est en train de changer son pays. Et comment cette aventure l’a changé.
Andrea Avveduto

« C’est une véritable tragédie. J’ai vu des personnes traitées comme des objets, comme des problèmes dont il faut se débarrasser. Nous devons nous rendre compte que les syriens ne veulent pas venir en Europe. Ils fuient la guerre, la violence. Mais je vous assure qu’avant cette horreur, ils vivaient bien dans leurs villages ».
Wolfgang Bauer, allemand, né en 1970, a été boulanger, guide touristique et facteur avant de devenir un journaliste réputé. Il s’est spécialisé dans l’étude de l’islam à l’Université de Tubingue et en 1994 a commencé à écrire dans différents journaux en freelance. Il y a un an, il a accompagné quelques syriens désespérés de l’Égypte en Allemagne, il a fait le voyage avec eux dans des barques, les a vu pleurer, souffrir, espérer. L’histoire du voyage est repris dans le livre Au-delà de la mer (éd. Nouvelles Frontières), un bestseller en Allemagne.

Partons précisément de là. Qu’est-ce qui vous a incité à aller avec quelques réfugiés "au-delà de la mer" ?

« J’ai décidé de partir avec eux parce que j’ai vu arriver en Europe beaucoup de mes amis que j’avais connu dans le temps en Syrie. Je me sentais impliqué dans leurs souffrances, dans leur espoir – si humain – d’échapper à la guerre. Et j’ai voulu vivre cela en profondeur avec eux ».

L’Allemagne d’Angela Merkel suscite beaucoup de critiques pour ses positions contradictoires et peu transparentes à propos de l’accueil. Qu’en dites-vous en tant qu’allemand ?

« C’est une provocation qui concerne tout le continent et pas seulement l’Allemagne. Mais nous, européens, nous avons sous-estimé le problème depuis des années ! Nous nous sommes contentés de regarder la Syrie se perdre dans une guerre absurde. Pendant que mourraient les syriens, l’Europe et le gouvernement allemand en particulier ont suivi une politique de non-intervention, d’attente, en spectateurs. Nous avons gardé nos distances durant toutes ces années pour ne pas aggraver les choses ».

C’était sur le plan politique. Mais nous avons vu aussi tant d’allemands qui accueillaient chaleureusement les réfugiés syriens, certains avaient même apporté des fleurs…

« Accueillir est une chose, une autre, primordiale, est d’aider les immigrés à entrer en Europe. C’est un acte de dignité envers les fugitifs, mais surtout envers soi-même, un acte de loyauté envers son propre cœur. L’accueil offert par le peuple allemand est la meilleure réponse aux lois qui oppriment les gens et dégradent la société civile. Accueillir n’est pas un acte héroïque, c’est un geste qui permet d’acquérir du respect pour soi-même ».

D’une part les lois politiques, de l’autre l’accueil spontané des personnes. Où est la solution du problème ?

« De toute façon nous devons mettre fin au conflit qui est en train de détruire un pays et met tout le monde en fuite. Selon moi il y a deux importantes mesures à prendre immédiatement. La première est d’instituer une no fly zone afin de protéger les civils des bombardements. En Irak on y est arrivé, pourquoi ne pas faire la même chose en Syrie ? »

Oui, pourquoi ?

« Les gouvernements sont myopes. Croyez-moi, les réfugiés désirent retourner chez eux, mais s’il y a la guerre, comment faire ? C’est la raison pour laquelle les scaphistes sont accueillis comme des libérateurs ».

Et la seconde mesure ?

« C’est d’accueillir les réfugiés dès qu’il est attesté qu’ils proviennent de zones touchées par la guerre. Cela permettrait de filtrer soigneusement les arrivées et d’accueillir réellement ceux qui ont fui une situation désespérée ».

Qu’avez-vous appris des réfugiés que vous avez accompagnés ?

« Durant le voyage j’ai fait la connaissance d’hommes et de femmes magnifiques, qui m’ont enseigné ce que signifient l’amitié, l’honneur et la dignité. Certes, les réfugiés sont nombreux et ils ne sont pas tous bons. Mais j’ai rencontré parmi eux des personnes extraordinaires, j’ai vu leur force, leur espoir et le courage de risquer leur vie pour sauver leur famille, et leurs proches. Ils risquent tout, pour ce qui leur est le plus cher au monde. Je ne l’oublierai jamais ».