Qui peut donner l'espérance ?

Les victimes, la douleur, les ruines. Mais au milieu du drame du séisme qui a dévasté le centre de l’Italie apparaît aussi une humanité puissante et des questions qui nous travaillent.
Paolo Perego

« Courage ! », dit cet homme qui accompagne Barbara, une main sur l’épaule. Barbara pleure et ne dort pratiquement plus depuis plusieurs jours. Elle n’était pas là cette nuit du 24 août quand la terre s’est mise à trembler entre les monts Sibyllins et le Gran Sasso. Elle était à Ascoli, à une trentaine de kilomètres de l’épicentre. Elle l’a ressenti très fort au point de passer la nuit dehors dans la rue : quarante secondes multipliées par six degrés sur l’échelle de Richter dans le sol d’Accumoli, Amatrice, Pescara del Tronto… Des dizaines de villages vieux de plusieurs siècles dans les Apennins réduits en miettes : presque 300 morts, des centaines de blessés et trois mille sans-abri.

À Amatrice, dans la rue principale qui, avec ses ruines, remplit les journaux depuis plusieurs jours, Barbara a perdu deux cousines et la fille de l’une d’elles. Elle avait seize ans. Le frère est sauf, par miracle en « sautant de la chambre pendant que la maison tombait ».

La énième secousse provoque des pleurs. « Courage ! » lui dit l’ homme à ses côtés, un de ceux qui a perdu amis, parents, maison, tout. Avec son mari Alessandro, ils sont allés voir la famille pour leur apporter un peu de réconfort et de soutien : « Et au contraire, ce sont eux qui nous ont donné du réconfort », raconte Alessandro, 44 ans, originaire d’Ascoli : « Depuis la nuit du séisme, nous avions du mal à dormir. Nous sommes partis d’Ascoli quelques jours après. Nous étions angoissés : "Que dirions-nous ?". Et au contraire, en rentrant… ». Ils étaient plus sereins, et Alessandro nous dit : « Nous étions avec ces gens, les secouristes. Un type de la Croix Rouge ne dormait pas depuis soixante heures pour finir l’installation électrique des tentes. Et il était content de le faire. J’ai été surpris par l’unité entre toutes ces personnes, un peuple. Et ceux qui ont été touchés par le séisme l’ont perçu comme une étreinte. Ils n’étaient pas seuls ».

EN SILENCE
Don Giuseppe Bianchini, curé à Ascoli Piceno, est parti immédiatement. « À dix heures du matin, j’étais à Pescara del Tronto avec un groupe de jeunes. Nous avons aidé comme nous avons pu. Qu’est-ce qui m’a touché ? Le désir de solidarité de tous, et pas dans un sens banal ». Beaucoup, tout d’un coup, ont ressenti le besoin de faire quelque chose pour aider. Il raconte : « Comme si s’était manifestée l’occasion de réaffirmer l’humain à une époque où tout semble le censurer » : en commençant par aller prendre de la nourriture dans les supermarchés dès l’aube et partir de suite dans les zones touchées tout en recevant régulièrement des nouvelles.

« Les supporters de l’équipe d’Ascoli étaient là tôt le matin creusant à mains nues et les gens arrivaient des alentours avec des vêtements et des couvertures… en trop grande quantité d’ailleurs », dit Oreste Schiavoni, 48 ans, d’Ascoli, quatre enfants. « Ce n’est pas la première fois que nous ressentons un séisme, mais cette nuit-là, je ne suis pas arrivé à me lever. Je me suis replié sur ma plus petite fille. J’ai compris tout de suite qu’il s’agissait de quelque chose de grave ». Géologue, il possède une caméra thermique. « Ça peut être utile pour la recherche de blessés ensevelis » : un coup de téléphone à la sécurité civile pour se mettre à leur disposition et il est sur place en quelques heures.
« J’attendais de me rendre utile alors que l’on sortait des personnes des décombres. Et tous ces cadavres allongés… ». Il parle avec un homme. Ils ont à peine extrait son père et sa mère sans vie. Il n’arrive pas à pleurer. « J’ai vu la voiture des secours. Très efficaces. Rien ne manquait et les personnes touchées étaient entourées immédiatement : psychologues, médecins, opérateurs courant partout afin de faire quelque chose. Mais je regardais cet homme atone, en silence ».

Oreste a grandi dans ces montagnes. C’est son monde. « Une tante vit à Spelonga, au-dessus d’Arquata. Là aussi, les maisons sont tombées ou ont été fortement endommagées. Mais elle dit qu’elle n’a pas peur. Elle ne veut pas partir. Pendant les secousses, elle a prié la Sainte Vierge et Saint Emidio , qui protège contre les séismes dans cette région ». Depuis toujours dans ces terres, la foi soutient la vie sans besoin de grands discours.

Cette même vie que sœur Mariana a « remis dans les mains de Dieu », alors que la maison de sa congrégation se repliait sur elle-même comme si elle était en carton. « Trois sœurs sont mortes ainsi que six hôtes de la maison de repos. Moi j’étais sous les décombres… jusqu’à ce qu’un garçon me sorte de là. J’étais sûre de mourir ». Elle était aux funérailles nationales célébrées sous la grande tente de la sécurité civile : « Je suivais et je pleurais. Et je n’arrivais pas à quitter des yeux un jeune garçon au regard perdu. On m’a dit qu’il s’appelle Claudio. Le séisme a emmené sa famille et sa fiancée. Et lui est là. Il ne pouvait pas rester dans le désespoir. Je voulais aller l’embrasser, rester auprès de lui… ».

Et l’Église les a embrassés avec la promesse d’une visite du pape et d’une collecte proposée par la CEI le 18 septembre, avancée au 11 septembre dans le diocèse de Milan.
« Nous ne t’abandonnerons pas, Homme, tu t’étonneras encore de l’aube », a dit l’évêque Domenico Pompili en conclusion de son homélie lors des funérailles. « La beauté est nécessaire. Il est nécessaire de la revoir. Regarder la positivité de tant de choses qui se produisent même dans la tragédie : l’unité entre les gens, la solidarité », nous dit encore don Giuseppe. Comme le regard inattendu de ce père qui a perdu une de ses deux filles dans le séisme, reconnaissant, serrant dans ses bras Giorgia, 6 ans, sortie des décombres encore en vie, protégée par le corps de sa sœur de 8 ans, car « là haut quelqu’un a voulu qu’elle soit sauvée ».

Et il y a l’envie de repartir, de reconstruire immédiatement sans s’en aller, comme Ciccio qui a rouvert son bar à Arquata, et comme Ramon et Martina qui se sont mariés au milieu des ruines de leur village.
« Je n’ai jamais cessé de voir cette terre, de regarder cette beauté », dit Oreste : « Mes souvenirs d’enfant sont la "Festa bella", et celle de la Vierge de la Santé, ou de Saint Roch, Saint Antoine… et la polenta, les champignons, l’amatriciana, et ces paysages si beaux qui vous serrent le cœur et vous font goûter l’infini ».

L’ATTENTE
« C’est une soif que le tremblement de terre fait ressortir entre la peur et la douleur », dit Stefano, 48 ans, d’Ascoli. Il était au Meeting de Rimini en tant que volontaire. « Je suis rentré immédiatement. Ils étaient tous épouvantés et moi j’avais dans le cœur le titre : tu es un bien pour moi, et la réalité aussi », même face à une réalité qui crie le contraire. « J’ai vu cette attente chez tant de personnes que j’ai rencontrées ces jours-ci en essayant de les aider, ainsi qu’en ville parmi les amis, les voisins, des inconnus. Mais qui peut vraiment donner l’espérance ? Cette explosion d’humanité libérée par les secousses et qui continue à se manifester n’est-elle pas le signe que nous en avons tous besoin ? C’est un torrent immédiat. C’est très beau. Mais après ? ».

Il a avec lui un texte de son fils de dix-sept ans, Davide, écrit après cette nuit-là : « Il parle de la peur, de la conscience du fait que la vie ne tient qu’à un fil… et il conclut ainsi : "Le soleil surgit et je m’assoupis dans la fraîcheur que me donnent les nouvelles couleurs du ciel. Je commence à dormir avec le cœur qui ne cesse de battre en pensant que la mort ne prévient pas quand elle frappe à la porte, et que Toi qui peux toute chose, tu veilles sur nous" ».