Wael Farouq

Ce pont est pour moi

Un ami de longue date (et un personnage principal) raconte "son" Meeting. Et le questionnement qu’il porte en lui.
Wael Farouq

Ma première participation au Meeting remonte à 2005. Ensuite lorsque je suis rentré au Caire face à mes amis qui me demandaient ce qu’est le Meeting, la seule réponse que je pouvais esquisser a été : venez voir vous-mêmes. L’année d’après j’y suis retourné avec deux amis, un journaliste et un juge. Aucun de nous n’est vraiment parvenu à trouver une réponse à cette question sauf « venez voir vous mêmes ». Chaque année les plus curieux parmi mes amis venaient à Rimini, mais n’arrivaient pas non plus à trouver une autre réponse. Si bien que en 2010 j’ai organisé avec eux le premier Meeting du Caire. C’était la réponse que nous cherchions, l’arbre né de la graine que le Meeting de Rimini avait jetée dans nos coeurs et qui avait germée. Le Meeting de Rimini n’est pas une collection d’évènements culturels qui s’étalent sur une semaine : il s’agit d’un véritable moteur pour rechercher un sens et une dynamique pour l’engendrer. Le Meeting n’est autre chose que l’incarnation d’une expérience, d’une rencontre renouvelée avec la vérité, dont les formes sont aussi disparates que les circonstances humaines. Le Meeting ne pourrait être un pont entre les peuples - tant les circonstances humaines sont différentes ! – que par le "moi" qui le traverse pour arriver à la vérité de chacun de nous. Existe-t-il un autre pont qui conduit à la vérité sinon le fait de la témoigner ? On peut dire alors que le Meeting est le lieu où la circonstance humaine se fait témoignage et le témoignage, à son tour, devient circonstance humaine qui s’ouvre pour donner forme à une expérience ou à un témoignage nouveaux.

VERS LE MYSTERE
Ce qui au Meeting de Rimini étonne le musulman, le juif, le bouddiste ou l’athée n’est pas le pont que celui-ci réussit à bâtir entre eux, mais le chemin parcouru ensemble vers la vérité, la distance traversée par chaque "moi", pour rejoindre la vérité propre à chacun de nous, le désir de la faire connaître et de la partager. C’est pour cette raison que tous ceux qui ont participé au Meeting de Rimini ont ensuite envie d’organiser un évènement similaire. Le dernier exemple est celui du Grand Muftì croate, une personnalité extraordinaire, qui après avoir perdu trente six personnes de sa famille, parmi lesquels ses parents, dans le massacre de Srebrenica, demandant courageusement lors de chaque forum visité, que le discours islamique soit renouvelé, pour se libérer de la violence, pour faire briller la contemporanéité et répondre aux exigences des gens d’aujourd’hui. Le Muftì a trouvé au Meeting la bonne formule pour témoigner, partager la vérité. Dans la recherche de la vérité, les expériences se mélangent sans pour autant perdre de leur originalité. De même pour le spectacle d’ouverture du Meeting Un seul chant. L’harmonie entre les chanteuses et leurs voix, entre la musique orientale et occidentale était tout à fait naturelle. Personne n’a remarqué que l’on était face à deux formes de beauté séparées par la langue, l’histoire, la géographie et la religion. Tous ont été transportés par le rythme donné par le désir d’Infini, incarné dans la fusion entre l’Ave Marie et Allahu akbar, dans la joie pour le pain à peine sorti du four et son parfum, dans la terreur d’un migrant qui voit ses espoirs balayées par les flots, dans les battements d’un tambour qui fait résonner le passé lointain, dans la délicatesse d’un piano qui ne lâche rien devant les bruits du public. Un chemin spirituel illuminé par la symphonie des voix et par l’unité du désir.

MIRACLES
Dans la circonstance de cette recherche, de ce désir, de ce témoignage et de cette soif de vérité, toute chose devient possible. Nous pouvons chercher l’homme dans la technologie, partager la foi du migrant dans l’humanité de l’Europe, cette foi qui fait qu’ils se jettent à l’eau. Nous pouvons rencontrer les responsables d’une prison sans prisonniers et sans police, d’où personne n’essaie de fuir car – comme il est inscrit sur les murs - « personne ne fuit l’amour ». Au Meeting de Rimini, l’Europe ne se laisse définir par quelque chose de passager – comme la politique ou l’économie – mais par l’essentiel, c’est à dire les principes sur lesquels s’est construite sa civilisation. Lorsque un évènement énorme, profondément immergé dans la réalité, comme celui du Meeting de Rimini, a comme programme de travail un verset d’une poésie, il est possible que les miracles se produisent.

(traduction de l’arabe de Elisa Ferrero)