Une loi pas très nette

La loi sur l’extension du délit d’entrave à l’IVG : premier pas vers la création d’une police de la pensée ?
David Victoroff

La France est en état de siège, son gouvernement et son parlement sont en sursis. Pourtant, la gauche n’a rien de plus pressé que de débattre en urgence d’une étrange proposition de loi. De quoi s’agit-il ? D’étendre aux sites Internet le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Ce délit, créé en 1993, luttait contre les groupuscules qui campaient devant les cliniques et les hôpitaux pratiquant l’IVG et entravaient physiquement, de fait, la pratique de ce droit. Depuis lors, ce délit a été étendu aux pressions psychologiques qui peuvent être exercées par l’entourage des jeunes femmes pour les empêcher d’avorter, et porteraient ainsi atteinte à l’exercice de leur droit. Délit puni d’une peine d’emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 euros.
Or, aujourd’hui, la gauche veut aller beaucoup plus loin. Depuis son retour au pouvoir, elle n’a eu de cesse que de banaliser l’avortement : suppression de la notion de détresse et du délai de réflexion obligatoire, remboursement à 100%, réaffirmation du caractère « fondamental » du droit d’avorter.
Mais voilà ! Bien qu’il ne soit plus obligatoire de réfléchir, cela est encore possible, notamment grâce aux sites Internet d’associations qui, sans dénier aux femmes le droit d’avorter, veulent leur présenter des alternatives et, par des témoignages, attirer leur attention sur les conséquences possibles d’un tel acte.
Comble de l’insupportable pour Laurence Rossignol, ministre de la famille, de l’enfance et des droits de la femme : le plus connu de ces sites-ivg.net- est référencé sur Google avant le sien - ivg.social-sante.gouv.fr -, et son numéro vert est davantage appelé que celui du gouvernement ! Elle a eu beau se démener auprès de Google, inciter les gens à cliquer sur son site pour le faire remonter en première place, rien n’y a fait. C’est proprement insupportable ! C’est un crime contre le droit des femmes et, pourquoi pas, contre la sacro-sainte laïcité. Il faut donc faire cesser fissa cet outrage au credo féministe ! Pour la ministre (et la gauche), ces sites concurrents du sien sont mensongers. Leur sérieux est tel qu’on pourrait les prendre pour des sites officiels et, comme ils donnent des informations susceptibles de faire renoncer certaines jeunes femmes à l’avortement, ils sont tendancieux. Aussi faut-il les faire taire par la menace et l’intimidation, en faisant peser sur leurs promoteurs le risque d’une lourde condamnation. « En ce qui concerne l'IVG, l'appel à la réflexion constitue désormais une opinion que ce gouvernement juge urgent de réduire au silence », remarque le politologue Dominique Reynié (tribune publiée dans le FigaroVox du 30 novembre).
Après avoir essayé -en vain- d’introduire subrepticement un amendement qui n’avait rien à voir avec la loi, le gouvernement a incité sa majorité parlementaire à présenter une proposition de loi visant à condamner ceux qui entravent l’IVG « par tout moyen, y compris en diffusant ou en transmettant par voie électronique ou en ligne, dans un but dissuasif, des allégations et indications de nature à induire intentionnellement en erreur sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ».
Sera-t-il encore possible d’exprimer librement en France une opinion minoritaire qui ne soit pas en phase avec la position officielle de l’Etat ? Qui décidera de ce qu’est une allégation ? Qui décidera où est l’erreur ? Sur quoi se fondera le juge pour déterminer qu’il y a entrave dans la simple expression d’une opinion que personne n’est obligé de consulter et encore moins de suivre ? La loi Veil interdisait l’incitation à avorter. Plus de quarante ans après son adoption, c’est maintenant « le but dissuasif » qui serait condamné. « Pouvons-nous donc en déduire que, si de telles allégations sont présentées dans un but incitatif, il n’y a aucun problème ? », s’est interrogé le député républicain Christian Kert pendant la discussion à l’Assemblée. Le contenu du site gouvernemental mérite que l’on se pose la question.
« Cette proposition de loi met en cause les fondements de nos libertés et, tout particulièrement, de la liberté d’expression qui ne peut être à plusieurs vitesses suivant les sujets », estime Mgr Pontier, président de la Conférence des évêques de France, dans une lettre au président de la République, où il dit encore qu’un sujet aussi grave que l’avortement, « ne peut être enfermé dans des postures militantes ».
Au moment où la gauche a besoin de se refaire une santé, on peut redouter qu’elle ne multiplie ‘les postures militantes’. Notons que Bruno Le Roux, l’homme qui a pris l’initiative de cette proposition de loi liberticide, a été choisi par François Hollande pour ministre de la police…