Un conte allemand

L’ouverture des frontières et l’accueil des réfugiés. Beaucoup sont « adoptés ». Cela se passe en Allemagne.
Paolo Perego

FIN JANVIER 2016
Une assemblée de citoyens de Forst, un village de six mille habitants dans la vallée du Rhin, entre Stuttgart et Francfort. Au menu de la soirée, l’arrivée en février de deux cents réfugiés syriens, afghans et iraquiens dans un centre d’accueil. Dans leur quartier ! Le ton monte vite, et certaines personnes d’extrême droite crient haut et fort leur opposition. Mais il y a ce petit groupe qui n’est pas du même avis, et qui, en quelques jours, crée l’association « Netzwerk. Willkommen in Forst ». Bienvenue à Forst. Là où l’Europe sait encore être Europe. Les habitants s’organisent et les résultats ne se font pas attendre : des cours d’allemand de différents niveaux sont mis sur pied, avec des enseignants qui ne sont pas tous des professionnels ; un atelier répare les vieux vélos offerts par les habitants pour que les réfugiés puissent se déplacer dans le village et vers la ville la plus proche ; un atelier de couture donne du travail à ceux qui étaient employés dans leurs pays dans le même secteur. Et il y a aussi des activités sportives, des promenades, de quoi s’occuper pendant son temps libre. Tout ceci s’est passé quelques mois après un fait historique : difficile de dire ce qui a vraiment poussé Angela Merkel, la « super chancelière » allemande, à déclarer au début 2015 que l’Allemagne acceptait d’accueillir sans réserve les requérants d’asile qui fuyaient la guerre dans leurs pays. Il y avait eu des épisodes de violence néonazie l’année précédente. Et il y avait les milliers d’hommes, de femmes et d’enfants entassés en Grèce, le regard tourné vers l’Europe, tout au long de la route des Balkans. Dans une Union européenne titubante, nombreux étaient les pays qui fermaient leurs frontières et dressaient des murs. Il y avait eu aussi le petit Aylan, le visage à moitié enfoui dans le sable d’une plage turque, qui avait ouvert les yeux de beaucoup sur ce qui était en train de se produire en mer, face à la Turquie.

À LA GARE
Entre septembre et octobre 2015, des foules de citoyens allemands se sont retrouvées dans la gare de Munich, en Bavière, avec des pancartes de bienvenue destinées aux réfugiés qui descendaient des trains bondés. Des scènes qui se sont répétées dans d’autres villes et dans des dizaines de bourgades. Une mobilisation populaire providentielle au moment où les services administratifs croulaient sous le poids de l’urgence. Le peuple allemand a reçu, dans la seule année 2015, plus d’un million de réfugiés, syriens à 40%. À Berlin, les institutions publiques se sont effondrées peu après. Mais en une seule nuit, des volontaires ont ouvert un guichet pour collecter les dons et ont pu nourrir des centaines de personnes. De nombreux citoyens ont accueilli les réfugiés chez eux, leur donnant un lit. Et quand les cuisines roulantes ont dû fermer pour des raisons sanitaires, des traiteurs et des restaurants ont alors pris le relais. Ce fut « le conte de l’automne 2015 », comme l’ont appelé certains. Dans tout le pays, des écoles et des salles de gym ont été transformées en centres d’accueil, avec des aides médicales et sanitaires, des équipes de soutien pour les tâches administratives. L’imagination des particuliers était sans limite : des bénévoles se proposant comme chauffeurs ou baby-sitters, d’autres organisant des concerts, des cérémonies d’accueil, des fêtes. Et si le conte ne connaît pas encore de fin heureuse, c’est parce qu’il n’est pas terminé.
Mais tout n’a pas été rose. Bien au contraire. Dès le début, nombreux ont été ceux qui se sont opposés au choix de Merkel. Et les médias, qui ont d’abord surfé sur l’euphorie de l’accueil, ont commencé à monter en épingle les problèmes, alimentant les déceptions et faisant le jeu de la droite conservatrice et des mouvements xénophobes. Beaucoup ont titré « Stop » après les violences commises sur les femmes à Cologne pendant la nuit de Saint-Sylvestre 2016.

À L’INAUGURATION
Pourtant, chiffres en main, « l’engagement des volontaires est toujours aussi fort qu’en été 2015 », assure le secrétaire général de la Caritas allemande, Georg Cremer. Cela parce que l’engagement de la première heure n’était pas seulement idéologique ou politiquement correct, à l’image de certains politiciens qui, après l’élan initial, ont vite fait marche arrière. Il y avait une disponibilité réelle face à la souffrance de ces gens. Et pour beaucoup, ce fut une occasion. Comme à Forst, où une femme raconte son expérience : « Beaucoup parmi nous ont ‘adopté’ des réfugiés. Notre famille a accueilli des Kurdes, le père, la mère et deux enfants qui ont quitté leur pays il y a quinze ans. Ils sont culturellement différents, mais une amitié est née qui nous a enrichis. Ce qui s’est passé au cours de ces mois a changé le visage de notre pays. Et les autorités ont collaboré, offrant un soutien et de l’argent. À l’occasion de l’inauguration d’un parc d’attractions, il y avait des familles, des enfants, des retraités. Réfugiés ou non. Mais tous avaient le sourire lorsque le cuisinier syrien leur offrait des spécialités de son pays. » Et ça, ce n’est pas seulement l’Allemagne : c’est l’Europe.

(Avec la collaboration de Christophe Scholz)