Exercices spirituels. Précieuse pauvreté

« Heureux qui pense au pauvre ». Seconde partie du parcours sur la pauvreté dans l’Église des premiers siècles. Pour dépasser un dualisme toujours latent. Entre foi et charité.
Francesco Braschi

Saint Ambroise, évêque de Milan de 374 à 397, nous offre une réflexion intéressante sur le thème de la pauvreté dans un écrit de la phase la plus mûre de sa vie. Il souligne avant tout qu’il ne faut jamais oublier de prendre en considération le fait que c’est le Christ lui-même qui est le prototype et le principe de tout jugement de valeur sur ce thème.
Ainsi, dans son commentaire sur le Psaume 40 (cf. Explanatio Psalmi XL, cc. 3-7), il écrit : « Écoute donc celui qui dit : "Heureux qui pense au pauvre et au faible". Vraiment heureux l’homme qui partage la douleur du pauvre… Mais que signifie cette introduction dans un discours qui concerne la passion du Seigneur ? C’est vrai qu’il a souffert pour les pauvres, mais il n’a pas hésité à reprendre Judas quand celui-ci s’exclamait, à propos du parfum que Marie avait versé sur les pieds du Christ : "On aurait pu le vendre pour trois cents deniers et les donner aux pauvres !" Mais le Christ a donné une réponse valable pour tous : "Laissez-la faire ! Qu’elle le garde pour le jour de ma sépulture ! Les pauvres, vous les aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours". Ce doit donc être quelqu’un d’autre ce bienheureux qui pense au pauvre. Ici, il s’agit de la foi, tandis qu’ailleurs c’est de la miséricorde qu’il s’agit. Alors, en premier vient la foi, en second la miséricorde. La miséricorde est précieuse uniquement si elle est accompagnée de la foi, sans la foi elle est nue, sans la foi elle est incertaine : c’est la foi le fondement assuré de toute vertu. Heureux donc qui pense à la misère et à la pauvreté du Christ qui, de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour nous. Riche dans son royaume, pauvre dans la chair, parce qu’il a pris sur lui cette chair de pauvre. En effet, nous nous sommes appauvris de façon extrême parce que, à cause de la ruse du serpent, nous avons perdu les précieux vêtements de la vertu ; nous avons été bannis du paradis… Si donc il est pauvre et faible dans la chair, il est certainement pauvre et faible dans la souffrance de cette chair. Il n’a donc pas souffert dans sa richesse, mais dans notre pauvreté… Essayez donc de pénétrer le sens de la pauvreté du Christ, si vous voulez être riches ! Essayez de pénétrer le sens de sa faiblesse, si vous voulez obtenir le salut ! Essayez de pénétrer le sens de sa croix, si vous voulez ne pas en avoir honte ; le sens de sa blessure, si vous voulez guérir les vôtres ; le sens de sa mort, si vous voulez obtenir la vie éternelle ; le sens de sa sépulture, si vous voulez trouver la résurrection ».

Façon de vivre. Ainsi, la pauvreté du Christ doit d’abord être comprise à la lumière de la faiblesse, des blessures, des souffrances qui ont marqué sa vie terrestre et qui marquent la nôtre, pour reconnaître sans honte la valeur salvifique de cette indigence, car il nous est demandé d’avoir foi (pour pouvoir l’imiter) dans la façon dont le Christ a vécu sa pauvreté, avant toute considération d’ordre caritatif.
En effet, selon saint Ambroise, l’exercice de la miséricorde lui-même est guidé par la foi, et la foi consiste avant tout dans le fait de reconnaître à chaque instant toute la portée de l’Incarnation du Christ, venu pour guérir la pauvreté qui est, après le péché originel, la condition réelle de tout homme. Mais pour Ambroise cette affirmation fondamentale ne peut pas rester purement théorique. Voilà pourquoi il la décline aussitôt dans le quotidien de chaque fidèle : « Mais vous pourriez me dire : "Comme puis-je faire pour être riche de la pauvreté du Christ ?"… L’apôtre a dit : "Le Seigneur Jésus, de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour vous enrichir de sa pauvreté". Quelle est donc cette pauvreté qui rend riche ? Réfléchissons et tournons-nous vers ce vénérable sacrement [il se réfère ici à la célébration pascale qui unit le baptême, la confirmation et l’eucharistie] ! Que peut-il exister de plus pur et de plus simple ? On ne lave pas le pécheur dans le sang des boucs ou des béliers : de cette façon, on ne se purifie pas car on lave le corps mais on n’efface pas la faute. Mais, comme il est écrit, "de l’eau jaillira et vous puiserez avec joie aux sources du salut", et "devant vous on apprête un banquet céleste". Quelle merveille, ce calice qui donne l’ivresse ! Voilà quelle est la richesse de la simplicité, et c’est là que demeure la précieuse pauvreté du Christ. Il y a aussi une belle pauvreté dans la façon de vivre, qui a fait dire au Seigneur : "Bienheureux les pauvres en esprit". Nous avons vu aussi dans les psaumes que le Seigneur sauvera les humbles en esprit ».
Ainsi, la participation quotidienne à la pauvreté du Christ se réalise dans l’Église et à travers les sacrements, dont le but est d’augmenter notre familiarité avec le Christ, de façon à être capable de reconnaître ses traits, aussi bien en nous que dans les pauvres qu’il nous fait rencontrer, grâce auxquels nous pouvons apprendre le sens le plus vrai de la pauvreté, celui des béatitudes, ou de "l’humilité d’esprit". Ainsi, on comprend aussi la splendide expression de saint Jean Chrysostome (IVe siècle), qui met en lumière une correspondance audacieuse mais indéniable entre la présence réelle du Christ dans l’eucharistie et dans les pauvres : « Vous voulez honorer le corps du Christ ? Eh bien ne tolérez pas qu’il soit nu… Celui qui a dit : "Ceci est mon corps", en confirmant de sa parole l’acte qu’il faisait, a dit aussi : "Vous m’avez vu souffrir de la faim et vous ne m’avez pas donné à manger" et : "Quand vous ne l’avez pas fait à l’un des plus petits parmi ceux-ci, vous ne l’avez pas non plus fait à moi"… Quel avantage peut avoir le Christ si sa table est couverte de vases d’or, alors que lui-même meurt de faim dans la personne des pauvres ? ». Une identification que le Christ lui-même a voulue et qui dépasse tout dualisme entre foi et charité, toujours latent, même à notre époque.