L’héritage vivant

Post-vérité, droits, effondrement des valeurs. Mais aussi travail, migrations, terrorisme. Cette année, la provocation du meeting de Rimini touchera les nerfs à vif de notre société. Il s’agit de chercher une solution dans quelque chose qui est déjà là.
Paolo Perego

« Non pour adorer des cendres, mais pour vivre ». C’est le défi que le meeting de Rimini, qui en est à sa trente-neuvième édition, lance comme clef de lecture de ce qui se passera dans les salons de la Foire du 20 au 26 août. Ce titre, qui reprend une phrase du Faust de Goethe "Ce que tu as hérité de tes pères, récupère-le, pour le posséder", a donné naissance à un programme richissime, cette année encore.
« Toutefois, commente Emilia Guarnieri qui dirige la manifestation depuis des années, ce ne sera pas un meeting sur l’héritage, sur ce qui nous vient du passé, mais sur la récupération de quelque chose que nous avons déjà, ce qui sert à découvrir la richesse héritée : 'quelque chose - et qui est déjà là'. Le problème, c’est que tous tant que nous sommes, nous n’en sommes plus conscients ; c’est comme si plus personne, ou presque, ne tenait en main ce qui donne sens à la vie ».

Des thèmes tels que post-vérité, droits, effondrement des valeurs, mais aussi les conflits, les migrations, le terrorisme, et également la crise, avec ses effets sur l’économie et sur les jeunes. Voilà le tableau que le pape François décrit comme 'un changement d’époque'. Le premier pas est alors de reconnaître et de comprendre ce qui se passe autour de nous. D’où, la quantité d’invitations adressées à des personnalités du monde de la culture, des religions, de l’économie, de la politique : du secrétaire d’Etat du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, au président du Conseil italien, Paolo Gentiloni ; ou au métropolite orthodoxe Hilarion, le gardien de la Terre Sainte, et à son prédécesseur, Francesco Patton, et à Pierbattista Pizzaballa. C’est ce dernier qui présentera le titre du meeting. « Nous affronterons avec lui le besoin éducatif de notre temps, ajoute Emilia Guarnieri, c’est-à-dire la nécessité d’un ‘sujet nouveau’ qui redécouvre qui il est, d’où il vient, et comment cela peut stimuler sa liberté ».

DES FILLETTES-SOLDATS
Il y aura des représentants des mondes islamique et juif, des politiciens italiens et étrangers, comme les maires d’Alep, de Paris, de Tel-Aviv ; Ján Figel, envoyé de la Commission européenne pour la promotion de la liberté religieuse, et Oliver Roy, grand spécialiste du monde islamique ; Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’Otan ; Luciano Violante, Fausto Bertinotti, Joseph Weiler, Marta Cartabia, vice-présidente de la Cour constitutionnelle, Monica Maggioni, présidente de la Rai, la juriste Tania Groppi, Wael Farouq, le moine bouddhiste Shodo Habukawa, et l’écrivain Eraldo Affinati. Ou des noms moins connus comme celui de la missionnaire ougandaise Rosemary Nyirumbe, qui parlera de son œuvre en faveur des fillettes-soldats… Il suffit de parcourir le programme pour se rendre compte du haut niveau de ce défi.

La phrase de Goethe figure d’ailleurs dans un passage du Sens religieux de don Giussani qui cite Faust à propos de la tradition, en parlant justement du ‘rapport avec le réel’. Héritage, oui ; mais vivant, aujourd’hui, dans le dialogue. La rencontre avec de grands et moins grands personnages, qui sont passés au meeting ou y passeront, a précisément pour but de réveiller en chacun la conscience de ce qui est.
Pour cette raison, un des thèmes importants, historiques pour le meeting, restera toujours la rencontre avec l’autre, le différent, avec qui je peux construire, en allant au fond de ce que nous avons en commun. Une amitié, en somme.
Sans oublier les grands moments de débat, aux salons ; mais également les expériences de vie quotidienne racontées à tous par les panneaux des expositions. Par exemple, celle qu’a préparée un groupe de jeunes sur les nouvelles générations d’immigrés, notamment de jeunes nés en Italie, de parents qui ont fui leur pays il y a des années. « Un travail qui a pris des mois, raconte Alessandra Vitez, responsable de l’exposition, car il était difficile de dépasser les schémas et les préjugés pour découvrir en eux -qui sont de provenances si diverses- un même cœur, les mêmes désirs et attentes, mais aussi les mêmes vides ». Tout cela te provoque à connaître l’héritage annoncé par le titre du meeting, à trouver des ponts vers l’autre, à passer de la ‘notion d’intégration’ à la ‘notion d’interaction’.

Une seconde exposition tentera d’éclairer un autre grand thème : le travail. Outre les rencontres avec des entrepreneurs et des politiciens, des débats et des témoignages alterneront dans les endroits dédiés au projet mis sur pied par quelques jeunes qui ont fait leurs premiers pas dans le monde du travail. « Je suis partie de leurs demandes, dit encore Alessandra, demandes de plus en plus exigeantes ces temps-ci, à savoir ‘Que signifie une faillite ? Peut-on accepter un travail qui ne plaît pas ? Comment concilier famille et travail ? Comment choisir ? Comment chercher ?’ La question sera moins de trouver des réponses lapidaires, que de tenter de découvrir une voie pour affronter un monde qui n’est plus celui d’il y a vingt ans et qui continue de changer ».

Le thème du rapport à la tradition sera traité dans trois autres expositions. Ainsi, la grande exposition d’art contemporain, ‘Le passage d’Enée’, présentera des dizaines de pièces originales qui racontent comment l’héritage de celui qui nous précède n’est pas seulement un lourd fardeau à porter ou à surmonter, mais quelque chose que l’on peut aussi embrasser avec une créativité nouvelle. La Terre Sainte aura également son espace avec l’histoire des huit cents ans de la Custodie, présence qui a pour origine la concession accordée par le sultan d’Egypte, en 1219, après sa fameuse rencontre avec saint François d’Assise. Qu’est-ce qui a rendu possible ce dialogue ? Que s’est-il passé après, qui est toujours vivant aujourd’hui ? Même caractère d’actualité pour l’exposition sur la Révolution d’Octobre organisée par Russia Cristiana, ‘Le rêve brisé d‘un monde jamais vu’. C’est une relecture des circonstances historiques qui ont abouti au renversement du Tsar, il y a un siècle, et, en premier lieu, la rupture entre la foi et la société, situation semblable, selon certains, à celle du monde dans le lequel nous vivons actuellement.

DE TESTORI À DE ANDRÉ
Le spectacle d’inauguration du meeting, Madame Butterfly, interprété par la China Opera House, témoignera qu’il est possible de découvrir cet héritage qu’est la tradition, dans la rencontre avec ce qui est différent. « Autres pièces du grand puzzle des événements programmés pour approfondir un aspect particulier du thème, dit Otello Cenci, directeur de la section “spectacles” de la foire : Père et fils, texte de Fabrizio Sinisi, basé sur l’Écriture Sainte et interprété par Massimo Popolizio ; ou SdisOrè, de Giovanni Testori, inspiré de l’Orestie grecque et donné, en dehors de la foire, au Teatro Novelli, sous la direction de Gigi Dall’Aglio, avec Michele Maccagno. Il y aura également des concerts, notamment avec Neri Marcoré, sur la musique de Fabrizio De André, ou avec Benedetto Chieffo qui parcourra l’histoire de son père Claudio à travers ses chansons ». Et bien d’autres choses encore…

Vous voulez en savoir plus ? « On parlera de sciences avec What ?, un espace et des moments dédiés au rapport homme-machine. On parlera aussi de justice : plutôt que de questions techniques et juridiques liées au thème, il s’agira du drame humain consistant à conduire la justice en maître. Enfin, ajoute Guarnieri, le monde scolaire se verra consacrer une journée entière avec le School4meeting. Quand on rencontre la réalité, n’importe laquelle, elle peut devenir ‘un plus’ pour soi ». Elle peut faire bouger et construire. Comme cela se produit au meeting !