Le président des États-Unis Donald Trump

Une année Trump

De l’installation à la Maison Blanche à ce jour, entre alliances et marches-arrière, immigrés, liberté religieuse, une grande confusion… Lumière et ombre, bilan des activités d’un des présidents les moins populaires de l’histoire américaine.
Mattia Ferraresi

Il y a plus d’un an, les catholiques américains ont dû affronter, dans le secret des urnes, ce qu’ Adrian Vermeule, le juriste de Harvard, définit comme “un dilemme tragique”. Un peu plus de la moitié d’entre eux a finalement décidé de soutenir Donald Trump, et les analyses des votes disent qu’il est devenu président grâce aussi au soutien des catholiques dans certains États décisifs. D’une façon incontournable, le drame de ce choix a remis le doigt sur une question connue, mais souvent enfouie sous les affiliations de partis et la dialectique entre démocrates et républicains que la société américaine a fait sienne depuis des générations : « Du point de vue politique, les catholiques sont des sans-abris aux États-Unis », explique Vermeule. « Le choix entre Trump et Hillary Clinton a clairement fait ressortir qu’aucun des deux grands partis n’offre un refuge certain aux fidèles “sans abris”, qui traditionnellement se scindent en deux quand il s’agit d’élire un président. « Les démocrates », poursuit le professeur de droit, « sont le parti de la permissivité radicale en ce qui concerne l’avortement, les républicains celui des réductions fiscales au profit des riches et de l’hostilité vis-à-vis des immigrés, en particulier ceux qui viennent du Mexique et de l’Amérique du Sud ».

Un an après l’installation de Trump à la Maison Blanche, le dilemme n’est toujours pas résolu. Un juge conservateur et pro-life a été nommé à la Cour suprême et il y a eu un changement d’orientation à l’égard de la liberté religieuse, mais il y a eu aussi blocage de l’immigration pour appliquer le principe “American First” ; l’affrontement inquiétant avec la Corée du Nord s’est exaspéré ; il y a eu des licenciements et des marches-arrière retentissants, des barricades et des alliances commodes conclues à la hâte ; on a pu constater toute la fragilité d’une administration en éternelle phase de remaniement, tenue en échec par l’enquête qui doit faire la lumière sur les interférences de la Russie dans les élections présidentielles. Résultat : pour les catholiques la sensation d’être des sans-logis dans l’aire politique est toujours présente.

« Du point de vue politique, les catholiques sont des sans-abris aux États-Unis »

Le comportement embarrassé des médias pendant cette année de gouvernement, caractérisé par une violation de toutes les conventions présidentielles qui prête à confusion, rendent difficile une évaluation équitable des actes de Trump jusqu’à ce jour, mais le gouvernement d’un des présidents les moins populaires de l’Amérique a en quelque sorte “laïcisé” le scénario. D’une telle administration on n’attend pas des exemples de vertu, mais on peut juger ses interventions avec réalisme, point par point, disposition par disposition.

DOMAINES A OBSERVER

L’intellectuel Joseph Bottum, professeur à l’université de Madison, South Dakota, et déjà directeur de la revue First Things, souligne l’ironie qui se cache dans l’étrange rapport entre les catholiques et Trump : « C’est un des présidents les plus inquiétants et vulgaires qui soient, mais avec lui les enseignements de la doctrine sociale peuvent beaucoup plus facilement avancer qu’avec Barack Obama ou George W. Bush ». Selon Bottum, la vie et la liberté religieuse sont les deux domaines à observer pour découvrir des signes d’espoir. « Qui tient à la protection de la vie, surtout dans ses étapes les plus fragiles, a de bonnes raisons de regarder de façon positive certains aspects de cette première année de gouvernement. Il ne s’agit pas de questions secondaires ou d’aspects qui ne concernent que les catholiques soi-disant conservateurs : la dignité de la vie constitue le fondement de la justice sociale. Et durant les cinquante dernières années il y a malheureusement eu en Amérique et en Occident plus d’enfants avortés que de migrants renvoyés. La nomination du juge Neil Gorsuch à la Cour suprême a réveillé l’espoir de pouvoir annuler la Roe v. Wade (la sentence qui en 1973 a légalisé l’avortement au niveau fédéral, ndr.) et remettre les décisions sur l’interruption de la grossesse à l’autorité de chaque État ». En continuité avec la politique républicaine traditionnelle, l’administration Trump a également réintroduit la “Mexico City Policy”, la réglementation qui interdit aux organisations non gouvernementales qui obtiennent des fonds publics, de promouvoir l’avortement comme méthode de planification familiale. La conférence épiscopale américaine a applaudi cette décision.

SENS COMMUN
En ce qui concerne la liberté religieuse – la question la plus débattue entre les évêques et la Maison Blanche au temps d’Obama – Trump a annulé l’obligation imposée aux institutions d’inspiration religieuse – écoles, universités, hôpitaux etc. – de violer leur propre conscience en offrant des contraceptifs, et des médicaments abortifs gratuits à leur personnel par le biais des projets d’assurance prévus par l’Obamacare. C’est une affaire cruciale, et pas seulement pour les chrétiens : cette disposition réduisait la liberté de l’expérience religieuse au seul culte, en empêchant l’expression libre de la foi dans la société. Les évêques ont parlé d’un « retour au sens commun », après un « désastre anormal qui n’aurait jamais dû se produire et ne devra plus se répéter ». Vermeule, qui a souvent critiqué le président, entrevoit une lueur d’espoir cachée entre les plis d’une situation politique terriblement fragmentée et cryptique : « Un signe positif est que certains politiciens soient disposés à adopter les points valides de l’agenda Trump, sans pour autant se transformer en protagonistes de son administration.

La vie et la liberté religieuse sont les deux domaines à observer pour découvrir des signes d’espoir

Pour les observateurs, le domaine de la politique extérieure est le plus difficile à déchiffrer. Le président avait promis d’inaugurer une aire de désengagement de l’Amérique vis-à-vis du monde, mais durant l’année écoulée il s’est penché sur divers dossiers internationaux à partir de critères variés. Il n’a pas renouvelé l’accord nucléaire avec l’Iran et a alimenté l’escalade des menaces contre Pyongyang, juste au moment où le pape François demandait aux dirigeants coréens de « s’opposer à la rhétorique de la haine ». Il a mis en discussion tous les traités de libre-échange. Il a consolidé les rapports déjà solides avec l’Arabie Saoudite et – autre manœuvre, très critiquée par le Vatican comme d’ailleurs dans une grande partie du monde - a récompensé une partie de ses électeurs par sa décision de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël, entamant la procédure en vue du transfert de son ambassade.. Il est difficile de trouver des lignes stratégiques cohérentes dans une administration qui préfère les accords bilatéraux et regarde avec scepticisme, quand ce n’est pas avec une manifeste hostilité, les tables rondes multilatérales et les institutions internationales.

MURS
L’immigration, la politique de l’environnement et la politique fiscale suscitent également des questions. Il faut cependant faire bien attention à ne pas tout rabaisser au niveau des distorsions qui abondent dans cette ère de post-vérité. Bottum fait remarquer qu’« en dehors des États-Unis la question de l’immigration a été gonflée démesurément. Je suis totalement favorable à une législation plus généreuse et accueillante que celle actuellement en vigueur en Amérique, mais il faut dire la vérité : cette administration n’a pas changé de fond en comble la politique migratoire actuelle ».

Tout compte fait, le mur le long de la frontière mexicaine, symbole par excellence de Trump, n’a pas été construit. Le travel ban qui, après trois révisions, a récemment été partiellement approuvé par la Cour suprême, limite de façon temporaire l’accès aux citoyens de huit pays (nombre déjà fortement limité avant cette initiative) pour des raisons liées à la sécurité nationale. Dans sa campagne électorale Trump avait promis de rapatrier entre deux et trois millions de clandestins au casier judiciaire chargé (sur près de onze millions dans tout le pays), mais durant la première année du gouvernement Trump le rythme des refus s’est considérablement ralenti par rapport aux attentes. Sous Trump, l’Ice - l’agence fédérale qui s’occupe du contrôle des frontières- a rapatrié par mois en moyenne 17.500 irréguliers délinquants, contre 20.000 l’année précédente. En 2012 ils étaient 34.000 à être expulsés par mois. Toutefois, les arrestations parmi les clandestins ont augmenté.

Parmi les décisions dans le domaine de l’immigration violemment critiquées par les évêques, il y a la réduction drastique du nombre de réfugiés que les États-Unis veulent accueillir

MARIAGE
En revanche, parmi les décisions dans le domaine de l’immigration violemment critiquées par les évêques, il y a la réduction drastique du nombre de réfugiés que les États-Unis veulent accueillir. Trump a fixé à 50.000 le plafond des entrées annuelles contre 110.000 sous Obama, et il menace de réduire encore davantage ce nombre ultérieurement. Et sa marche-arrière à propos des soi-disant dreamers, les clandestins qui sont entrés dans le pays alors qu’ils étaient mineurs avec leurs parents – pour qui Obama avait concédé une régularisation par décret – a également suscité de nombreuses critiques, aussi chez les catholiques.

Le rejet de l’accord de Paris sur les politiques de réduction des émissions polluantes a déclenché un tremblement de terre politique, et l’ultime débat sur lequel les évêques se sont prononcés vigoureusement est celui sur la réforme fiscale. Le texte proposé par la Maison Blanche, a expliqué la conférence épiscopale, « augmente les taxes pour les pauvres et les réduit pour les riches, un viol des principes de base de la justice ».


Le père Thomas Reese SJ, journaliste du National Catholic Reporter, commente : « Il est fort intéressant de noter que les évêques ne se sont pas laissé conditionner par le climat politique dans leur manière d’affronter les problèmes : ils ont loué Trump pour ses bonnes initiatives du point de vue catholique et l’ont critiqué, parfois sévèrement, quand il a promu des politiques incompatibles avec la doctrine sociale. À mon avis, cette liberté démontre une attitude opposée à celle d’autres associations ; je pense surtout aux groupes évangéliques, qui maintenant soutiennent a priori le président, même s’il dit exactement le contraire de l’Évangile ». Selon le père Reese, la rencontre entre Trump et le pape François en mai dernier, témoigne de la possibilité d’un dialogue constructif sur certains thèmes partagés, de la liberté religieuse à la protection des chrétiens du Moyen-Orient : « Les médias le décrivent comme un antipape, un personnage inacceptable, alors que leur rencontre a révélé des convergences sur lesquelles ils pouvaient dialoguer. Il s’agit d’une attitude générale du Saint-Siège, mais les médias ne le comprennent pas : on a raconté que Jean Paul II aurait eu dieu sait quelle dispute avec Clinton et on a dit la même chose sur Benoît XVI et Obama. Il n’y a pas eu de drames, mais de nombreuses occasions de dialogue et des zones de désaccord ouvertement reconnues ». Beaucoup prétendent cependant que l’Église a souvent mieux travaillé avec des présidents plus “lointains” ».

Les évêques ne se sont pas laissé conditionner par le climat politique dans leur manière d’affronter les problèmes : ils ont loué Trump pour ses bonnes initiatives du point de vue catholique et l’ont critiqué, parfois sévèrement, quand il a promu des politiques incompatibles avec la doctrine sociale

Il y a quelques mois le père Reese a analysé les communications des évêques américains sur l’immigration, du point de vue linguistique. Certaines expressions utilisées s’avèrent particulièrement dures. Les évêques se sont dit « découragés », « déçus », « profondément troublés », ils ont parlé de la peur du « fanatisme » d’un climat d’« intolérance », de certaines décisions « alarmantes », « dévastatrices » « nuisibles ». Ce changement marque, selon Reese, la « fin de la lune de miel » avec Trump, qui avait débuté à partir de certains thèmes communs. Mais en y ajoutant un petit détail révélateur : « Comme pour les évêques le mariage avec Trump n’a jamais eu lieu, il sera plus facile de quitter le lit sur la pointe des pieds pour disparaître dans la nuit ».