La Vierge Noire de Czestochowa

Czestochowa 2019. Le message de Julián Carrón

«Accueillez l’exigence de plénitude que vous avez – que nous avons – dans le cœur, et portez-la à la Sainte Vierge pour moi aussi». Les mots du Président de la Fraternité de CL à la veille du pèlerinage à Czestochowa
Julián Carrón

Chers amis,

Pourquoi partir en pèlerinage à Czestochowa ? Seul celui qui se rend compte de la nature de ce geste peut avoir de bonnes raisons d’y adhérer.
Il est déjà significatif que ce pèlerinage dure depuis tant d’années – cela ne va pas de soi – : cela montre que cette proposition a rencontré et rencontre encore aujourd’hui un besoin, à un tournant de la vie : la fin du lycée ou des études.

Il est difficile de trouver des gestes qui nous rappellent davantage ce dont nous avons véritablement besoin qu’un long pèlerinage à pied, à cause de l’engagement et de l’effort qu’il demande. Je me souviens toujours d’une phrase de don Giussani : « Un individu qui se serait peu confronté à la réalité parce que, par exemple, il n’a pas eu beaucoup de tâches à accomplir, n’aura qu’une très faible conscience de lui ainsi que de l’énergie et de la vibration de sa raison » (Le sens religieux, Cerf, Paris 2003, p. 149).
On peut adhérer à la proposition si l’on a l’intuition qu’elle pourrait convenir pour le besoin que l’on a. Mais cette intuition ne peut se vérifier qu’en avançant. L’Église a toujours vu le pèlerinage comme le paradigme de l’existence : la vie est une route, un chemin. Les hommes du Moyen-Âge parlaient de l’homo viator, l’homme en chemin. Aller à Czestochowa permet donc de se rendre compte de la nature de la vie, comme l’a rappelé le Pape lors de son appel téléphonique au début du pèlerinage Macerata-Lorette : « Faire un pèlerinage, c’est marcher. C’est faire en un soir ce que l’on fait toute la vie : aller de l’avant ». Toute la vie ! Mais que signifie aller de l’avant ? Le pape François a été très précis : cela signifie aller « à la rencontre de la plénitude. La plénitude de Jésus » (8 juin 2019).

On pourrait penser : « J’ai déjà des raisons claires sur ce que je compte faire, j’ai un chemin tracé, une copine, ma vie est pratiquement en place ». Alors, pourquoi y aller ? Pour découvrir que tout n’est jamais en place, parce que le besoin est si profond qu’aucune image forgée par nous-mêmes ne suffit à le satisfaire totalement. Nous le savons, le besoin de notre cœur n’est jamais éteint par nos tentatives solitaires.
Le pèlerinage vous rappelle que vous n’êtes pas seuls, que vous n’êtes pas livrés à vous-mêmes avec vos tentatives, parce quelqu’un vous dit : « Allons-y, allons découvrir ensemble comment faire pour vivre ». Si vous accordez du crédit à la lueur de conscience qui est en vous, vous permettrez au Christ et à la Vierge de répondre à votre désir de vie et d’avenir.
Vous découvrirez ainsi que le Christ seul peut répondre au besoin infini du cœur. Comme le dit toujours don Giussani : « Jésus-Christ se pose comme réponse à ce que je suis “moi” », c’est-à-dire à notre besoin humain, « et seule une prise de conscience attentive et même tendre et passionnée de moi-même peut m’ouvrir tout grand et me disposer à reconnaître, à admirer, à remercier, à vivre Jésus-Christ. Sans cette conscience, même le nom de Jésus-Christ devient un simple nom » (À l’origine de la prétention chrétienne, Cerf, Paris 2006, p. 9).

Alors, regardez avec sérieux les besoins que vous avez, et cela vous remplira de raisons d’y aller. Le pèlerinage sera pour chacun de vous un grand geste de demande : pouvoir vivre à la hauteur de la plénitude que nous désirons tous et que le Christ a apportée dans le monde. Pour partir, vous n’avez pas besoin que tout soit en place, il n’est pas nécessaire que tout soit en place. Vous allez à la rencontre de la plénitude précisément parce que vous ne vous sentez pas en place.
Récemment, j’ai découvert une lettre publique écrite par le romancier français Michel Houellebecq à Bernard-Henri Lévy : « J’ai eu de plus en plus souvent, il m’est pénible de l’avouer, le désir d’être aimé. […] Un peu de réflexion me convainquait bien entendu à chaque fois de l’absurdité de ce rêve […]. Mais la réflexion n’y pouvait rien, le désir persistait – et je dois avouer que, jusqu’à présent, il persiste ». L’auteur est emblématique du nihilisme, selon lequel tout semblerait finir dans le néant ; sa pensée lui dit que le seul fait d’y penser est absurde, « mais la réflexion n’y pouvait rien », parce que « le désir persistait – et je dois avouer que, jusqu’à présent, il persiste » (Ennemis publics, Flammarion-Grasset, Paris 2008). Le temps met en évidence le fait que le désir de plénitude qui nous constitue persiste même chez un homme qui pense que tout finit dans le néant. Le temps rend plus évident le caractère irréductible de nos exigences.

Chacun de nous doit décider s’il veut accorder du crédit à ses pensées, ou à ce qui reste, malgré toutes nos limites et nos fragilités : une irréductible exigence de vie. Alors que tout s’écroule, il y a quelque chose qui ne s’écroule pas. Vous allez à Czestochowa pour suivre cet « irréductible » qui est en vous.
Réfléchissons un peu sur notre expérience : parfois, nous sommes surpris de voir que certaines dynamiques, qui ne nous appartenaient pas, commencent à faire partie de nous ; nous sommes surpris de voir certains fruits de notre vie. Ce sont des dynamiques et des fruits que nous ne nous donnons pas nous-mêmes, parce qu’ils ont mûri en nous grâce à la participation à un lieu, à une communauté chrétienne, dans la vie de l’Église.
En marchant vers la Vierge Noire, souvenez-vous que, pour nous aider à comprendre ce à quoi il nous appelle – les fruits qu’il veut susciter en nous – le Mystère ne nous laisse pas dépourvus de signes. Il est parfois très discret dans ses suggestions et suivre les signes qu’Il nous présente dépend beaucoup de notre disponibilité. Soyez donc attentifs, pour vous laisser surprendre par ce que vous verrez, par les rencontres que vous ferez.

Je vous remercie pour le témoignage que vous me donnez à travers votre décision de conclure vos études secondaires ou universitaires par le défi d’un tel pèlerinage.
Accueillez l’exigence de plénitude que vous avez – que nous avons – dans le cœur, et portez-la à la Sainte Vierge pour moi aussi. Merci.