Macerata-Loreto. Carrón : « La vie comme une vocation »

À la veille du 42e pèlerinage entre les deux villes italiennes, cette année sous la forme spéciale d’un chapelet le soir du 13 juin, le message du Président de la Fraternité CL
Julián Carrón

Chers amis, au début du confinement, beaucoup se sont sûrement demandé : « Le pèlerinage à Lorette aura-t-il lieu cette année ? ». Il est évident que la lente sortie de l’urgence sanitaire ne permet pas de célébrer ce geste si longtemps attendu par des dizaines de milliers de personnes.

La réalité a fait irruption dans nos vies, nous imposant un changement que nous n’aurions jamais imaginé : le confinement, afin de limiter au maximum les risques de contagion. C’est un sacrifice que le Mystère a permis comme une étape du chemin vers notre destin, de ce pèlerinage qu’est la vie d’un homme.

Cette circonstance nous a rendus plus conscients du besoin que nous avons, et donc de la raison qui nous aurait conduits à Lorette. Quel est ce besoin ? Nous devons en être plus conscients, particulièrement en cette période, pour que les terribles paroles de T.S. Eliot dans les Chœurs de The Rock ne se réalisent pas en nous : « Où est la vie que nous avons perdue en vivant ? » (Cf. T.S. Eliot, Choruses from "The Rock", dans Collected poems 1909-1962, Chorus I, v. 14, Harcourt Brace Jovanovich, Orlando 1968 ; nous traduisons, ndt).
La mortification qui nous est demandée cette année, alors qu’il nous faut renoncer à la forme habituelle, peut devenir une occasion de saisir la nature du pèlerinage, comme le dit une amie étudiante : « Cela m’a permis de comprendre que le pèlerinage ne se limite peut-être pas à une seule nuit, mais que c’est un chemin qui nous accompagne toute l’année ». Considérer de cette manière la circonstance actuelle signifie percevoir la vie comme vocation. En effet, la circonstance (quelle qu’elle soit) est la modalité par laquelle le Mystère nous appelle à apprendre à tout vivre.

Qu’est-ce que la vocation ? C’est avancer vers le destin à travers les circonstances, « comme si [...] [l’on] m’imposait de rester suspendu à une volonté que je ne connais pas, à chaque instant [...] suspendu au geste de ce “seigneur” inconnu, en restant attentif aux signes d’une volonté qui apparaîtrait à travers la seule circonstance immédiate. Je répète : l’homme, la vie rationnelle de l’homme, devrait être suspendue à l’instant, à ce signe apparemment si changeant et si casuel que sont les circonstances à travers lesquelles le “seigneur” inconnu m’entraîne, me provoque à réaliser son dessein. Et dire “oui” à chaque instant sans rien voir, en adhérant simplement à la pression des circonstances. C’est une position vertigineuse » (L. Giussani, Le sens religieux, Cerf, Paris 2003, p. 199).

Qui en est capable ? C’est vertigineux, justement. C’est pourquoi le Seigneur n’est pas resté « inconnu ». Il a eu pitié de nous, il a entendu le cri de notre cœur – ce « besoin d’impossible » dont parle le Caligula de Camus – et il a manifesté son visage : « Hic Verbum caro factum est ».
Dans la maison de Nazareth, dans le sein de Marie, le Christ s’est fait chair, il est devenu un objet d’expérience sensible pour ceux qui le rencontraient sur les chemins de Galilée. Et par sa mort et sa résurrection, il est resté présent et nous rejoint à travers la chair de ceux qu’il continue à saisir et qu’il nous donne comme compagnons de route. C’est l’isolement de ces derniers mois, paradoxalement, qui nous a fait découvrir avec surprise qui sont nos véritables compagnons de route, ceux avec qui nous irions volontiers au bout du monde : des personnes qui ne réduisent pas la portée de notre besoin, qui ne nous distraient pas des interrogations fondamentales, mais qui les nourrissent par leur présence même. Ce sont les véritables compagnons de route que le Mystère nous a donnés pour que nous ne soyons pas seuls et désespérés dans le pèlerinage de la vie. Pour que le néant n’ait pas la victoire en nous.

L’un des derniers messages de don Giussani au pèlerinage Macerata-Lorette est impressionnant ! C’était en 2003 : « Pourquoi nous mettons-nous ensemble ? Pour arracher de nos amis et, si c’était possible, du monde entier, le néant où tout homme se trouve. [...] Qu’en nous rencontrant, [...] on se sente saisi au plus profond, tiré de l’apparence de nullité, de faiblesse, de méchanceté ou de confusion, et invité à l’improviste aux noces d’un prince. La Sainte Vierge est comme l’invitation de ce prince ».

En effet, en elle resplendit la victoire sur le néant, la nouveauté qui défie toute impuissance, toute peur et toute obscurité qui hante chacun de nous. La regarder chaque matin, pendant que nous prions l’Angélus, est le point de départ de chaque journée, de chaque tentative de construction, maintenant que nous reprenons nos activités habituelles et que nous sommes appelés, chacun là où il est, à contribuer à la reprise, soutenus par ceux que nous avons croisés en cette période en les reconnaissant "saisis" comme elle.
Regardons de l’avant !

Père Julián Carrón