Le pape au Meeting : « La vie sans étonnement devient grise »

Le thème qui caractérise l’édition de cette année « lance un défi décisif aux chrétiens, appelés à témoigner de l’attraction profonde qu’exerce la foi en vertu de sa beauté : « l’attrait de Jésus ». Le message du pape François à l’événement de Rimini

A l’occasion de la 41e édition du Meeting pour l’amitié entre les peuples, qui s’est tenu à Rimini sur le thème « Privés d’émerveillement, nous restons sourds au sublime », le pape François a envoyé à l’évêque de Rimini, Mgr Francesco Lambiasi, par l’intermédiaire du cardinal secrétaire d’Etat Pietro Parolin, ce message:

À Son Excellence Révérendissime
Mgr Francesco Lambiasi
Évêque de Rimini

Le Saint-Père désire faire parvenir par votre intermédiaire ses vœux pour la bonne réussite de la XLIe édition du Meeting pour l’amitié entre les peuples, qui se déroulera principalement sous forme numérique. Le pape François assure les organisateurs et tous les participants de sa proximité et de sa prière.
Qui ne s’est pas découvert uni aux autres par l’expérience dramatique de la pandémie ?
« Nous nous rendons compte que nous nous trouvons dans la même barque, tous fragiles et désorientés. La tempête démasque notre vulnérabilité et révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes et priorités. Elle nous démontre comment nous avons laissé endormi et abandonné ce qui alimente, soutient et donne force à notre vie ainsi qu’à notre communauté » (FRANÇOIS, Moment extraordinaire de prière en temps d’épidémie, Parvis de la basilique Saint-Pierre, 27 mars 2020).

Le titre de cette année : « Privés d’émerveillement, nous restons sourds au sublime » (A.J. HESCHEL, Dio alla ricerca dell’uomo, Turin, Borla 1969, p. 274) offre une contribution précieuse et originale dans un moment vertigineux de l’histoire. Dans la recherche de biens plus que du bien, nombreux sont ceux qui s’étaient concentrés exclusivement sur leurs propres forces, sur leur capacité à produire et à s’enrichir, renonçant à cette attitude qui constitue chez l’enfant la nature du regard sur la réalité : l’émerveillement. G.K. Chesterton écrivait à ce propos : « Les écoles et les sages les plus hermétiques n’ont jamais atteint la gravité qui habite les yeux d’un bébé de trois mois. C’est la gravité de l’émerveillement face à l’univers, et l’émerveillement face à l’univers n’est pas du mysticisme, mais du bon sens transcendant » (Cf. The defendant, London, R. Brimley Johnson 1902, p. 113).

Cela rappelle l’invitation de Jésus à devenir comme des enfants (Cf. Mt 18, 3), mais aussi l’émerveillement devant l’être qui a constitué le principe de la philosophie dans la Grèce antique. C’est cet émerveillement qui met et remet la vie en mouvement, lui permettant de recommencer dans n’importe quelles circonstances : « C’est l’attitude qu’il convient d’avoir, parce que la vie est un don qui nous donne la possibilité de toujours recommencer », a dit le pape François, en insistant ensuite sur la nécessité de renouveler l’étonnement pour vivre : « La vie sans étonnement devient grise, routinière ; il en est de même de la foi. Et l’Église aussi a besoin de renouveler son étonnement d’être la demeure du Dieu vivant, l’Épouse du Seigneur, la Mère qui engendre des fils » (Homélie, 1er janvier 2019).

Ces derniers mois, nous avons expérimenté cette dimension de l’émerveillement qui prend la forme de la compassion en présence de la souffrance, de la fragilité, de la précarité de l’existence. Ce noble sentiment humain a incité médecins et infirmiers à relever le grave défi du coronavirus avec un dévouement sans faille et un engagement admirable. Ce même sentiment plein d’affection

pour leurs élèves a permis à de nombreux enseignants d’accepter les difficultés de l’enseignement à distance, pour assurer la fin de l’année scolaire. Il a également permis à beaucoup de trouver dans les visages et dans la présence des membres de leur famille la force d’affronter les désagréments et les difficultés.



En ce sens, le thème du prochain Meeting constitue un puissant appel à descendre dans les profondeurs du cœur humain avec la corde de l’émerveillement. Comment ne pas éprouver un sentiment originel d’émerveillement devant le spectacle d’un paysage de montagnes, en écoutant de la musique qui fait vibrer l’âme, ou tout simplement face à l’existence de ceux qui nous aiment et au don de la création ? L’émerveillement est vraiment le chemin pour saisir les signes du sublime, c’est-à-dire de ce Mystère qui constitue la racine et le fondement de toute chose. En effet, « le cœur humain se présente comme un signe, mais aussi la réalité toute entière. Pour s’interroger devant les signes, il est nécessaire d’avoir une capacité profondément humaine, la première que nous avons en tant qu’hommes et femmes : la stupeur, la capacité à s’émerveiller, comme l’appelle don Giussani. Seul l’émerveillement connaît » (J.M. Bergoglio, dans A. Savorana, Vita di don Giussani, Bur, Milan 2014, p. 1034). C’est pourquoi J.L. Borges a pu dire : « Toutes les émotions passent, seul l’émerveillement demeure » (Le désert et le labyrinthe).

Si un tel regard n’est pas cultivé, on devient aveugle devant l’existence : replié sur soi, on reste attiré par l’éphémère et on cesse d’interroger la réalité. Même dans le désert de la pandémie, des questions souvent assoupies ont émergé : quel est le sens de la vie, de la souffrance, de la mort ?
« L’homme ne peut se contenter de réponses réduites ou partielles, s’obligeant à censurer ou à oublier certains aspects de la réalité. Il possède en lui-même une soif d’infini, une tristesse infinie, une nostalgie qui ne s’apaise qu’avec une réponse également infinie. La vie serait un désir absurde si cette réponse n’existait pas ». (J.M. Bergoglio, dans A.Savorana, Vita di don Giussani, op. cit., p. 1034).

Certains se sont lancés à la recherche de réponses, ou même simplement de questions sur le sens de la vie, auquel chacun aspire, même sans en avoir conscience. Il s’est ainsi produit quelque chose d’apparemment paradoxal : au lieu d’éteindre en eux leur soif la plus profonde, le confinement a réveillé chez certains la capacité de s’émerveiller devant des personnes ou des faits qui allaient auparavant de soi. Une circonstance particulièrement dramatique a permis, au moins pendant un moment, une façon plus authentique d’apprécier l’existence, sans cet ensemble de distractions et de préjugés qui polluent le regard, brouillent les choses, vident de contenu l’émerveillement et empêchent de se demander qui on est.

Au cœur de l’état d’urgence sanitaire, le Pape a reçu une lettre signée par différents artistes qui le remerciaient d’avoir prié pour eux au cours d’une messe à Sainte-Marthe. Il avait dit à cette occasion : « Les artistes nous font comprendre ce qu’est la beauté, et sans le beau, on ne peut pas comprendre l’Évangile » (Méditation quotidienne, 7 mai 2020). Le théologien Hans Urs von Balthasar, entre autres, a montré combien l’expérience de la beauté est déterminante pour atteindre la vérité : « Dans un monde sans beauté, même le bien a perdu sa force d’attraction, l’évidence qu’il doit être accompli ; et l’homme reste perplexe devant lui et il se demande pourquoi il ne doit pas plutôt préférer le mal. Celui-ci en effet constitue une possibilité, même bien plus excitante. Dans un monde qu’on ne croit plus capable d’affirmer le beau, les preuves de la vérité ont perdu leur caractère concluant : de conclure même est un mécanisme qui ne fascine plus : la conclusion elle- même ne conclut plus » (La gloire et la croix : Les aspects esthétiques de la révélation, t. I « Apparition », Aubier, Paris 1965, p. 17).

C’est pourquoi le thème qui caractérise le Meeting lance un défi décisif aux chrétiens, appelés à témoigner de l’attraction profonde qu’exerce la foi en vertu de sa beauté : « l’attrait de Jésus », selon une expression chère au Serviteur de Dieu, Luigi Giussani. Le Saint-Père a écrit, à propos de l’éducation à la foi, dans ce qui est en général considéré comme le programme de son pontificat : « Toutes les expressions d’authentique beauté peuvent être reconnues comme un sentier qui aide à rencontrer le Seigneur Jésus. Si, comme affirme saint Augustin, nous n’aimons que ce qui est beau, le Fils fait homme, révélation de la beauté infinie, est extrêmement aimable, et il nous attire à lui par des liens d’amour. Il est donc nécessaire que la formation à la via pulchritudinis soit insérée dans la transmission de la foi » (Exhort. apost. Evangelii gaudium, p. 167).
Le pape vous invite donc à continuer à collaborer avec lui en témoignant de l’expérience de la beauté de Dieu, qui s’est fait chair pour que nos yeux s’étonnent en voyant son visage et que notre regard trouve en lui l’émerveillement devant la vie. C’est ce qu’a dit un jour saint Jean-Paul II, dont nous avons récemment commémoré le centenaire de la naissance : « Il vaut la peine d’être homme, car Toi, ô Jésus, tu as été homme » (Homélie, 15 avril 1984).
Cette stupéfiante découverte n’est-elle pas la contribution la plus grande que les chrétiens puissent offrir pour soutenir l’espérance des hommes ? C’est une mission à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire, surtout dans ce tournant étroit de l’histoire. C’est l’appel à être transparents de la beauté qui a changé notre vie, témoins concrets de l’amour qui sauve, surtout envers ceux qui souffrent davantage maintenant.

C’est avec ces sentiments que le Saint-Père envoie de tout cœur la bénédiction apostolique à Votre Excellence et à la communauté tout entière du Meeting, demandant de continuer à le rappeler dans la prière. Je vous adresse mes salutations cordiales et l’assurance de mes sentiments à votre Excellence Révérendissime.

Votre dévoué
Card. Pietro Parolin
Secrétaire d’État