Don Fabio Baroncini

« Et qui est Baroncini ? », demanda le pape à Giussani

La première rencontre, l'amitié, la passion pour la montagne et la littérature. Les années de maladie. Giancarlo Cesana se souvient du prêtre décédé le 21 décembre, dans un article paru sur Tempi.it
Giancarlo Cesana

Don Fabio est décédé hier matin à 7h30, une journée maussade accordée à la tristesse.
J'ai vu pour la première fois don Fabio au début des années 70, à l'occasion de ce que je me rappelle comme étant ma première rencontre avec les universitaires de Communion et Libération. Nous étions dans la salle d'un patronage près de Città Studi (Milan). C'était en été, nous chantions Laudato si’. À un certain moment, un type grand et mince est apparu dans l’encadrement d'une porte sur le côté ; il avait des lunettes, il portait un pantalon sombre et une chemise blanche aux manches retroussées. Il me sembla être un intellectuel, un type pensif, comme plusieurs autres personnages qui fréquentaient CL. J'ai demandé à mes voisins qui c’était ; ils me répondirent : « Fabio Baroncini, qui vient d'être ordonné prêtre ». Je ne le revis plus pendant quelques années. Je l’ai rencontré à nouveau lorsque don Angelo Scola, qui suivait alors les universitaires de CL, lui demanda de venir "donner un coup de main" et de partager la responsabilité de la conduite de l'expérience de CL dans les universités milanaises. Depuis lors, pendant presque cinquante ans, nous nous sommes vus toutes les semaines, parfois même plus, lors des rencontres des responsables du CLU et du mouvement, tant au niveau diocésain que national. Don Fabio faisait déjà partie du Conseil et de la présidence de CL en tant qu'animateur et guide de la communauté de Varèse, l'une des plus grandes d'Italie.

Ce n'était pas un intellectuel, un théoricien, même s'il était cultivé car il lisait beaucoup. Il aimait la littérature russe, comme on a pu le voir lors d’une conférence magistrale sur Dostoïevski au Meeting de Rimini. Il aimait Charles Péguy, Paul Claudel et T. S. Eliot, sur les œuvres desquels il tint des dizaines et des dizaines de rencontres, à la demande de lycéens, d’universitaires et d’adultes. Il aimait Dante qu'il commentait et citait de mémoire. Il ne dédaignait pas les discussions théologiques, il s'y jetait même tête baissée pour défendre l'orthodoxie et la valeur éducative de la doctrine catholique. Sa grande préoccupation était la méthode : les contenus de la proposition chrétienne ne pouvaient être vécus qu’accompagnés par une proposition sur la façon de les vivre. En cela, il était un véritable disciple de don Luigi Giussani, qui « se serait fait tuer pour un mot », car les mots ne sont pas des sons interchangeables, mais l'expression consciente et concrète de l'existence dans la situation vécue. Il faisait appel à la raison et à la liberté, qualités fondamentales d'un chrétien qui veut être un homme et vice versa. La raison, reconnaissant la nécessité de la foi pour vivre, devait devenir conviction, se lier avec ténacité à la vérité.



Pour don Fabio, l'existence était appelée à une décision continuelle qui acceptait le drame de tailler les routes inutiles, vaguement esquissées mais impossibles - il utilisait le mot "décéder", dans le sens où "tailler" veut dire un peu mourir, faire le sacrifice . Nombreux étaient ceux qui allaient le trouver, à cause de difficultés personnelles, dans leur vocation, leur travail, leur couple ou dans l'éducation de leurs enfants. Pendant de nombreuses années, nous avons "travaillé" en duo. En raison de mes compétences en psychologie, il m’envoyait les personnes dont il soupçonnait les fragilités mentales, et moi, je lui envoyais ceux qui tendaient à résoudre les problèmes existentiels grâce à un soutien psychologique. Il travaillait beaucoup plus que moi car un bon prêtre, paternel et expert de la vie, est beaucoup plus nécessaire qu'un psychologue. L'absence de don Fabio se ressent énormément depuis que la maladie de Parkinson l'a emprisonné dans sa rigidité silencieuse et marmoréenne.



Chez don Fabio, l'estime pour don Giussani, la fidélité au mouvement et à l'Église, se concrétisaient par une obéissance intelligente et sans hésitation. Fraternité et unité étaient les conditions qu’il rappelait continuellement, surtout ces derniers temps, quand il comprenait qu'il n'avait pas le temps et la force de s'attarder sur autre chose, même s'il l'aurait sans doute voulu. Lors des assemblées, il pouvait être bourru et même dur, mais ensuite, dans le dialogue personnel, il était toujours compréhensif et affectueux, bien que ne cédant pas sur les principes chrétiens qu'il faisait comprendre avec une ferme douceur. C’est un valtelinois, né à Morbegno en 1942. Il citait sa mère, Pina, comme exemple de l’amour conjugal qui, enceinte de lui, vit son mari partir comme chasseur alpin pour la Russie sans plus rien savoir de lui - s'il était vivant, s'il était mort - jusqu'à la fin de la guerre. Tout comme son père, il se considérait comme un simple soldat : « Devant les mules, derrière les canons, loin des supérieurs ». Il était passionné par la montagne, par l'engagement et la discipline qu'elle exige, par la beauté des sommets et des vallées, par la simplicité de ses habitants et des chants. Surtout par les chants, qui devaient être bien faits, avec de belles voix de solistes et une grande attention de la chorale. Même dans les derniers temps, les chants l'encourageaient et le remettait en mouvement : il ne pouvait presque plus parler, mais il pouvait encore chanter. Il racontait ce qu’il entreprenait, avec beaucoup d'admiration pour les jeunes qui l'accompagnaient : il ne se sous-estimait pas, mais il était humble, il savait reconnaître et valoriser ceux qui faisaient les choses bien et peut-être même mieux que lui. Je ne l'ai jamais entendu demander quelque chose pour lui-même. Il était fier de l'amitié, née dans sa jeunesse, avec Angelo Scola, devenu cardinal de Milan. Il avait accroché au mur une grande et belle photo les montrant tous les deux jeunes, après avoir escaladé la Grigne. Il était content lorsque je lui racontais que Giussani, lors d'un petit-déjeuner avec Jean-Paul II auquel j'eus la chance de participer moi aussi, quand le Pape lui demanda qui était le premier prêtre du Mouvement, il répondit « Baroncini ». Lui qui, comme le dit le Pape - « Et qui est Baroncini ? » - n'était pas un prêtre célèbre, mais le premier soldat dont Giussani se souvenait à propos de son "armée".

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Nous sommes souvent allés dîner ensemble, au restaurant ou chez les gens, discutant de tout, en particulier d'Église et de politique, parfois même de façon animée, sans jamais permettre que l'amitié soit ébranlée. Don Fabio avait un grand sens de l'humour. Il se moquait et on se moquait de lui à cause de certaines habitudes étranges comme celle de ne vouloir que du vin blanc pétillant, qu'il "dégazéifiait" ensuite avec un petit appareil spécial avant de boire, une sorte de ventilateur manuel en métal qui lui avait été offert. Ou comme, à une certaine période, sa consommation exagérée d'Eparema, un médicament hépato-protecteur qui, sans être nocif, n’était toutefois pas thérapeutique. Il avait son idée concernant les maladies, selon laquelle elles suivaient essentiellement leur propre chemin. Il faisait tout ce que les médecins lui disaient, mais avec une certaine distance mentale. Il m'a fallu un certain temps pour le convaincre de faire des examens pour la maladie de Parkinson, dont je ne l'ai jamais entendu se plaindre par la suite bien que la souffrance ait été énorme : un montagnard qui ne pouvait plus se déplacer, un prêtre et un éducateur qui ne pouvait plus parler. Il a accepté de la vie tout ce qu’elle lui a donné, car il savait que la réalité est entre les mains de Dieu et donc en fin de compte positive, et que, comme il disait souvent en dialecte, « nous sommes ici de façon provisoire ». Hier matin, il s’en est allé retrouver ce Dieu dont il a toujours cherché et indiqué les signes.