Notre époque est confrontée à une profonde crise de la culture dont il semble difficile de sortir. L'absence d'un socle culturel commun, dans un contexte lexical de plus en plus simplifié et appauvri, oblige à tout expliciter pour tenter de faire coexister pacifiquement des sensibilités différentes. De multiples critères sont utilisés pour réguler la communication interpersonnelle (pronoms de genre, utilisation massive et constante d'émoticônes pour mieux représenter le sens des mots) de la peur de heurter la sensibilité d'autrui. Dans le monde virtuel et autoréférentiel d'Internet, les relations entre les individus, au lieu d'être directes (désintermédiées ?) sont dépourvues d'humanité. Dans cet aplatissement général, l'implicite ne peut exister et tout doit être catégorisé, reconnu et déclaré publiquement, sans possibilité de sous-entendus. Réaffirmer sa propre humanité et reconstruire progressivement une culture si en crise nécessite un processus d'appropriation de soi. De là découle une question de vérité sur soi et sur le monde, sur la nature et la finalité des relations entre les hommes. En effet, nous cherchons constamment à attribuer un sens aux événements qui nous arrivent, on pourrait presque dire à découvrir la vérité. Cela se reflète également dans la grande histoire : nous voulons savoir dans quelle direction nous allons, nous avons besoin d'une révélation, pour que tout ce qui arrive ne devienne pas angoissant. Un dialogue fascinant avec deux protagonistes extraordinaires de notre époque.

Adrien Candiard, membre Institut dominicain d'études orientales (Ideo), écrivain, auteur de Quelques mots avant l'apocalypse (Lev) ; Olivier Roy, professeur de sciences politiques à l'Institut universitaire européen de Fiesole, directeur du projet ReligioWest, auteur de L'Aplatissement du monde : La crise de la culture et l'empire des normes (Seuil), à paraître en 2024 chez Feltrinelli.

Modérateur : Marco Bardazzi, Journaliste.