Sammy Basso (Photo Ansa/Alessandro Di Marco)

Sammy Basso. « La vie, quel don ! »

Dans « Avvenire » la lettre-testament du jeune chercheur de Vénétie, atteint de progéria et décédé le 5 octobre, lue pendant ses funérailles

Sammy Basso s’était préparé au jour de sa mort, survenue de manière inattendue dimanche dernier dans un restaurant d’Asolo, lors de la fête donnée pour célébrer le mariage d’un couple d’amis. Le jeune chercheur, atteint depuis la naissance d’une maladie rare appelée progéria (qui cause un vieillissement précoce et consume le corps de celui qui en souffre), était devenu célèbre, non seulement pour son engagement au niveau international dans le domaine scientifique en étudiant sa pathologie, mais aussi pour en avoir parlé en public, toujours en souriant et avec ironie. A l’occasion de ses funérailles, célébrées à Tezze sul Brenta où il a grandi, nous publions intégralement la lettre-testament que Sammy a écrite spécialement pour le jour de son enterrement. Il a fait en sorte que ses parents la reçoivent après son décès. Le texte qui est un hymne à la vie et un témoignage de foi extraordinaire, a été lu pendant l’homélie de l’évêque de Vicenzo : Giuliano Brugnotto.

Si vous lisez ces lignes c’est que je ne suis plus du monde des vivants. En tout cas pas du monde des vivants tel que nous le connaissons. J’écris cette lettre parce que s’il y a une chose qui m’a toujours angoissé c’est bien les enterrements. Non qu’il y ait quelque chose de mal dans les funérailles. Saluer pour la dernière fois les êtres chers fait partie de ce qui est le plus humain et le plus poétique au monde. Pourtant, chaque fois que je pensais à la façon dont se dérouleraient mes funérailles, deux choses m’étaient insupportables : Le fait de ne pas m’y trouver pour pouvoir dire les dernières choses et celui de ne pouvoir consoler ceux qui me sont chers. Sans parler du fait de ne pouvoir y participer mais c’est un autre discours… Et voilà pourquoi j’ai décidé d’écrire mes dernières paroles ; je remercie celui qui est en train de le lire. Je ne veux vous laisser rien d’autre que ce que j’ai vécu, et comme c’est la dernière fois que j’ai la possibilité d’en parler, je dirai seulement l’essentiel sans rien de superflu….

Avant tout je veux que vous sachiez que j’ai vécu une vie heureuse, sans exceptions, et je l’ai vécue comme un simple homme, avec ses moments de joie et ses moments difficiles, avec le désir de bien faire, en réussissant parfois et d’autres fois en échouant misérablement. Depuis que je suis tout petit, comme vous le savez, la progéria a marqué profondément ma vie, et bien que ce ne soit qu’une infime partie de ce que je suis, je ne peux nier qu’elle a beaucoup influencé ma vie quotidienne et en priorité mes choix.

Je ne sais ni pourquoi ni comment je quitterai ce monde, beaucoup diront sans doute que j’ai perdu ma dernière bataille contre la maladie. Ne les écoutez pas ! Il n’y a jamais eu de bataille à mener, il y a seulement eu une vie à embrasser telle qu’elle était, avec ses difficultés, mais quand même toujours splendide, toujours fantastique, ni prix ni condamnation, seulement un don qui m’a été fait par Dieu.

J’ai essayé de vivre le plus pleinement possible, cependant j’ai commis des erreurs comme chaque personne, comme chaque pécheur. Je rêvais de devenir une personne dont on parlerait dans les livres d’école, une personne dont la postérité garde le souvenir, dont on prononce le nom avec révérence comme pour les grands hommes du passé. Et même si mon intention était de devenir un grand homme de l’histoire pour avoir fait du bien, je reconnais qu’ une partie de ce désir était aussi due à une forme d’égoïsme. L’égoïsme de celui qui veut simplement se sentir meilleur que les autres. J’ai lutté de toutes mes forces contre ce désir malsain, convaincu que Dieu n’aime pas ceux qui agissent pour eux-mêmes, mais cependant je n’y suis pas toujours parvenu. Je me rends compte maintenant tandis que j’écris cette lettre et que j’imagine comment sera mon dernier instant sur la Terre que c’est le désir le plus stupide qu’on puisse avoir. La gloire personnelle, la grandeur, la célébrité, sont choses éphémères. L’amour qu’on engendre dans la vie, lui, est éternel parce que seul Dieu est éternel, or l’amour nous vient de Dieu. S’il y a une chose dont je ne me suis jamais repenti, c’est d’avoir aimé autant de personnes au cours de ma vie, et de les avoir tellement aimées. Et cependant pas assez. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas du genre à donner des conseils, mais c’est ma dernière occasion… alors je vous en prie, mes amis, aimez ceux qui sont autour de vous, n’oubliez pas que nos compagnons de voyage ne sont jamais le moyen mais la fin. Le monde est bon si nous savons où regarder !

Comme je vous l’ai dit, je me trompais ! Une grande partie de ma vie j’ai pensé qu’il n’y avait pas d’événements entièrement positifs ou entièrement négatifs et que cela dépendait de nous d’en voir les côtés beaux ou sombres. Il s’agit sans doute d’une bonne philosophie de vie, mais ce n’est pas suffisant ! Un événement peut être négatif et l’être totalement. Ce qui nous incombe n’est pas tant d’y voir quelque chose de positif, que d’agir en restant sur le droit chemin, en supportant, et pour l’amour des autres, de transformer un événement négatif en un autre positif. Il s’agit moins de trouver des côtés positifs que de les créer et, à mon avis, c’est l’aptitude la plus importante que Dieu nous ait donnée, celle qui nous rend vraiment humains.

Je veux que vous sachiez que je vous aime tous, et que cela a été un plaisir de parcourir le chemin de ma vie à vos côtés. Je ne vous demanderai pas de ne pas être tristes mais ne le soyez pas trop. Comme pour chaque mort, il y en aura parmi mes proches qui me pleureront, d’autres qui resteront incrédules, d’autres, au contraire, qui, sans savoir pourquoi, auront envie de sortir avec les amis, de rester avec eux, de rire et de plaisanter comme si rien ne s’était passé. Je veux, être proche de vous en tout cela et vous faire savoir que c’est normal. Pour ceux qui pleureront, sachez qu’il est normal d’être triste. Pour ceux qui voudront faire la fête, sachez qu’il est normal de faire la fête. Pleurez et faites la fête, faites-le, même, en mon honneur. Mais si vous voulez vous souvenir de moi, ne perdez pas trop de temps en rituels variés, priez, certes, mais prenez un verre, buvez à ma santé et à la vôtre et soyez joyeux. J’ai toujours aimé être en compagnie et c’est d’ailleurs comme ça que j’aimerais qu’on se souvienne de moi. Sans doute faudra-t-il du temps et si je veux vraiment vous consoler et partir de ce monde sans vous affliger, je ne peux me contenter de vous dire que le temps soignera toute blessure car ce n’est pas vrai. C’est pourquoi je veux vous parler sans détours du pas que j’ai franchi et que tout le monde doit franchir tôt ou tard : la mort.

Parfois, le seul fait de dire son nom suffit à donner des frissons. Pourtant c’est une chose naturelle, la chose la plus naturelle du monde. Pour user d’un paradoxe, la mort est la chose la plus naturelle de la vie. Et pourtant elle nous fait peur ! C’est normal, il n’y a rien de mal, Jésus aussi a eu peur. C’est la peur de l’inconnu car nous ne pouvons pas dire que nous en avons fait l’expérience dans le passé. Mais pensons à la mort de façon positive : si elle n’existait pas il est probable que nous ne conclurions rien dans notre vie, puisqu’il y aurait un lendemain. La mort, elle, nous fait savoir qu’il n’y a pas toujours un lendemain, que si nous voulons faire quelque chose, le moment juste est « maintenant » !

Mais pour un chrétien la mort est aussi autre chose. Depuis que Jésus est mort sur la croix, en se sacrifiant pour tous nos péchés, la mort est la seule façon de vivre réellement, la seule façon de retourner finalement dans la maison du Père, la seule pour voir enfin Son Visage. J’ai affronté la mort en chrétien. Je ne voulais pas mourir, je n'étais pas prêt mais je m’y étais préparé. La seule chose que je regrette c’est de ne plus être là pour voir le monde changer, aller de l’avant. Mais pour le reste, j’espère avoir été capable, au tout dernier moment de ma vie, de voir la mort comme la voyait saint François, dont les paroles ont accompagné toute ma vie. J’espère que j’aurai réussi moi aussi à accueillir la mort comme « notre sœur la Mort » à qui nul homme vivant ne peut échapper.

Si pendant ma vie j’ai été digne, si j’ai porté ma croix comme cela m’a été demandé, maintenant je suis chez le Créateur. Maintenant je suis chez mon Dieu, le Dieu de mes pères, dans sa Maison indestructible. Lui, notre Dieu, le seul vrai Dieu, est l’origine et la fin de toute chose. Devant la mort rien n’a de sens sinon Lui. Donc, bien que ce ne soit pas nécessaire de le dire car Il sait tout, comme je vous ai remerciés, je veux Le remercier, Lui. Toute ma vie, je la dois à Dieu, chaque belle chose. La Foi m’a accompagné et je ne serais pas qui je suis sans ma Foi. C’est Lui qui a changé ma vie, qui l’a recueillie, en a fait quelque chose d’extraordinaire et Il l’a fait dans la simplicité de ma vie quotidienne.

Ne cessez jamais, mes frères, de servir Dieu, d’agir selon ses commandements, parce que rien n’a de sens sans Lui et que chacune de nos actions sera jugée et décidera qui continuera à vivre éternellement et qui devra mourir. Il est certain que je n’ai pas été le meilleur des chrétiens, bien plutôt un pécheur mais désormais cela n'a pas d’importance : ce qui compte c’est que j’ai essayé de faire de mon mieux et que je le referais. Ne soyez jamais fatigués, mes frères, de porter la croix que Dieu a assignée à chacun de nous, et n'ayez pas peur de vous faire aider pour la porter, comme Jésus a été aidé par Joseph d’Arimathie. Ne renoncez jamais à un rapport plein et confidentiel avec Dieu, acceptez de bon gré Sa Volonté, parce que c’est notre devoir, mais ne soyez pas pour autant passifs et faites entendre avec force votre voix, faites connaître à Dieu votre volonté comme l’a fait Jacob qui, pour s’être montré fort, fut appelé Israël : Celui qui lutte avec Dieu.

Sans aucun doute, Dieu, qui est père et mère et, dans la personne de Jésus, a éprouvé toute faiblesse humaine, Lui qui dans l’Esprit Saint vit toujours en nous, qui sommes son Temple, Dieu donc appréciera vos efforts et les gardera en Son Cœur.

Maintenant je vous laisse ; comme je vous l’ai dit, je n’aime pas les funérailles quand elles deviennent trop longues et je n’ai pas été bref. Sachez que je ne pourrais pas imaginer ma vie sans vous et que si le choix m’avait été donné, j’aurais choisi de pouvoir grandir à vos côtés.
Je suis content de savoir que le Soleil demain se lèvera encore…

Ma famille, mes frères, mes amis et mon amour, je suis à vos côtés et si cela m’est accordé, je veillerai sur vous, je vous aime !
P.s. Ne vous en faites pas, ce n’est qu’un manque de sommeil…