Dialogue de Wael Farouq, égyptien musulman avec des chrétiens

Vendredi 21 mars, l'association culturelle ITER a invité Wael Farouq, égyptien et musulman, professeur à l'université du Sacré Cœur de Milan, sur le thème : " Dialogue avec des chrétiens : du Printemps arabe à notre laïcité ".
Laurent Dricot

Wael Farouq nous a invités à une réflexion d'anthropologie politique au sujet des événements récents en Égypte. Si on essaie de comprendre avec des idées générales, comme par exemple cette idée que les révolutionnaires cherchent inévitablement le pouvoir, ou bien, autre idée générale, que, en Égypte, les musulmans haïssent les chrétiens, comme le lui avouait un étudiant, on ne voit pas dans ce cas-là les véritables désirs des gens, qui sont incarnés dans la réalité. La clef de lecture de l'incarnation semble être un bon moyen de comprendre ce qui s'est passé. Ainsi, au dialogue des religions, Wael préfère le terme de rencontre. A ce qui est institutionnel, il préfère la spontanéité des personnes face aux réalités parfois douloureuses, car c'est dans ce cas précisément que nous nous révélons réellement. Au discours d'un professeur, il préfère donner le témoignage d'un témoin direct, refusant même de répondre à des questions sur la Syrie ou la Tunisie. Les événements de la place Tahrir dont nous avons tous entendu parler, et qui mena à la destitution de Moubarak en janvier 2011, nous offre de beaux exemples. Des snipers et des milices s'en prenaient aux manifestants, et dès lors il était difficile d'organiser des temps de prière. C'est alors que le corps des chrétiens est devenu mosquée quand les musulmans priaient, en se tenant la main, debout, autour de l'espace de prière à ciel ouvert, et réciproquement, le corps des musulmans devenait église quand ces derniers faisaient une chaîne autour des chrétiens en train de prier. C'est aussi un chrétien qui servit d'emblème à cette révolution, Mina Daniel. Durant ces temps de prière, les femmes étaient à côté des hommes. On voit donc que la révolution, pendant quelques jours, a révélé la spontanéité des Égyptiens, capables de fraterniser au-delà de la richesse et de la pauvreté, quand il n'y avait plus ni hommes ni femmes, ni riches ni pauvres, ni musulmans, ni chrétiens, mais des hommes et des femmes debout pour affimer leur liberté. Trois mois avant la révolte de la place Tahrir, le meeting du Caire avait aussi laissé la place à des rencontres.Pendant ce meeting, des amitiés sont nées et les séparations invisibles qui éloignent les chrétiens des musulmans n'existaient plus. La révolution avait démarré avec l'assassinat par la police d'un blogueur. La réponse d'un groupe de jeunes issus de quartiers favorisés avaient été de donner une fleur à chaque policier. Pour ne pas céder à l'emballement de la violence si appétissante, mais qui ne peut satisfaire un esprit éclairé, ces jeunes ont répondu par des gestes non-violents. Cette beauté en a attiré d'autres. Les rues du Caire, qui sont souvent très sales, étaient balayées et nettoyées. La beauté qui naît de la violence, c'est aussi ce que cherchait un groupe de jeunes musulmans venus à Milan pour monter une exposition suite à un massacre de coptes en Égypte.
L'histoire de l’Égypte est marquée depuis un siècle par un pouvoir fort, une société civile inexistante, des chrétiens discrets dans une société qui affirme toujours plus son identité musulmane. Sous Moubarak, l'État n'est plus en mesure d'être au service des Égyptiens. Pour continuer à vivre, ces derniers s'appuient sur ce que Wael Farouq appelle des sociétés parallèles. Et l’Église en est une. On est donc dans un monde cloisonné, où les communautés ne se parlent pas. Ainsi, Wael fait remarquer que pendant le temps de la révolution, où tous les murs du pouvoir sont tombés, les Égyptiens ont montré ce qu'ils sont. Alors qu'ils ne s'intéressaient pas aux élections, ils sont massivement allés voter après la révolution. Les jeunes ont montré leurs désirs de vivre ensemble, des femmes, chrétiennes ont été élues à des postes à responsabilité. Wael a même été impressionné de voir dans des quartiers populaires un nombre incroyable de personnes regarder dans un cybercafé une session parlementaire. Ainsi, le temps de la révolution nous a permis de voir ce que les Égyptiens ont dans le cœur : un désir de vérité et la liberté de vivre ensemble dans une société pacifiée, faite de rencontres et d'amitiés.