Les communautés chrétiennes au Proche-Orient

L’association culturelle ITER a invité Aurélien Girard sur le thème : « Les communautés chrétiennes au Proche orient : comprendre au fil des siècles les conditions de leurs présences »
Laurent Dricot

Arabes, musulmans, Proche-Orient, Perses, … ces noms que nous confondons parfois, renvoient, quand on plonge le nez dans ce qu’ils représentent vraiment, à une réalité extrêmement riche. On découvre un univers qu’on ignore. Même au niveau de la recherche universitaire, ce monde est en train d’être redécouvert. L’intervenant de cette nouvelle conférence d’Iter à saint-Germain l’Auxerrois, Aurelien Girard, professeur d’histoire à l’université de Champagne –Ardennes, nous a partagé son enthousiasme pour cette découverte dans un exposé sur les chrétiens au Proche-Orient. L’intérêt pour l’institution « Eglise », l’étude historico critique du Coran, la prise de conscience de l’ancienneté des chrétiens dans le Proche-Orient, un autre rapport possible avec les musulmans, tout est une nouveauté pour nous, alors que cela ne devrait pas l’être. Le christianisme est né là-bas. Mais les chrétiens d’Orient souffrent de devoir rappeler trop souvent qu’ils ne sont pas l’héritage des Croisades ou de l’impérialisme occidental récent. Ils ne sont en rien extérieurs à l’identité de la région. Ils participent à sa définition. Des intellectuels chrétiens ont été très impliqués dans le renouveau de la langue arabe au XVIIIe siècle. L’arabe était la langue du christianisme avant de devenir la langue de l’Islam. Les désaccords entre les conciles des premiers siècles autant que les particularismes culturels ont créés des schismes entre les communautés chrétiennes : sont nées alors les Eglises nestoriennes, melkites, maronites, coptes … qui ont toutes des lieux de cultes distincts, des traditions, des langues différentes, et des nuances christologiques comprises seulement de quelques rares spécialistes. Et au XVIIIe siècle, toutes ces Eglises se sont à nouveau divisées entre celles qui voulaient garder leur autonomie et celles qui se rattachaient à Rome, tel les Chaldéens qui sont en fait des Nestoriens, appelés aussi Assyriens ou Syriens orientaux mais reconnaissant le pape. Dans les rues d’Alep, on a du mal à s’imaginer qu’il puisse exister autre chose que des églises et des cathédrales de toutes ces communautés.
Aurélien ne nous a pas fait un cours de fac, même s’il a bien fallu passer par quelques rappels historiques bien pointus. Il nous a plutôt témoigné d’une foi toujours réelle de ces communautés fragiles, qui ne sont pas si divisée que ça, et qui ne sont pas si marginalisées face à un Islam pas si écrasant que ça. La première image qu’il nous a partagé évoquait la fête des Rameaux dans une église orientale. Il nous a parlé de la cathédrale de Homs qu’on vient de rouvrir au culte. Depuis longtemps, depuis toujours même, les chrétiens partagent avec les musulmans un patrimoine commun. C’est le mystère des interpénétrations entre les identités, les langues et l’expression d’une foi en un Dieu unique. Les cloisons ne sont pas si imperméables : des musulmans viennent pique-niquer dans les ruines de la basilique de saint Siméon stylite au nord d’Alep, parce que c’est devenu un patrimoine commun ; le statut de dhimmi n’a pas toujours été imposé à tous les Chrétiens des régions musulmanes et ils n’ont pas été relégués dans des ghettos. Les églises doivent être dissimulées, certes, et elles n’ont pas de cloches, mais les responsables politiques soutiennent régulièrement les chrétiens, tel Bachar El Assad, éduqué chez les lazaristes de Damas, qui a permis de construire beaucoup d’écoles et d’églises en Syrie. On voit dans l’occupation des maisons que le fait d’être musulman n’empêche pas le fait d’avoir un voisin chrétien. La Vierge est apparue à un musulman et ces derniers sont très sensibles à ses apparitions. Le culte marial est partagé par tout le monde indépendamment de sa foi. On parle de Saint George dans le Coran, et sa tombe, dans la citadelle d’Alep, a été tour à tour église et mosquée. Ainsi, on comprend mieux que l’identité de cette région aie été façonnée par toutes ces cultures, ces religions, ces langues, et nous qui nous sommes penchés une heure sur cette richesse ne pouvons que pleurer sur la souffrance qu’endurent beaucoup de Chrétiens aujourd’hui dans ce Proche-Orient, victime des instrumentalisations politiques.