Et Jésus est arrivé sur le plateau…

L’acteur italien Pietro Sarubbi, de passage à Paris, témoigne de sa conversion lors du tournage du film de Mel Gibson, La Passion, dans lequel il tenait le rôle de Barabbas.
David Victoroff

Ce dimanche soir 1er juin, à l’aumônerie de Jussieu, jeunes et quelque fois moins jeunes de Communion et Libération s’étaient donné rendez-vous pour entendre le témoignage de Pietro Sarubbi. La cinquantaine, le teint mat, les cheveux noirs et la barbe en bataille, l’homme a le physique pour jouer les méchants latinos dans des films de série B. A l’en croire, il en aurait aussi le caractère. « Je suis un acteur » se présente-il, « un acteur qui a fait beaucoup de bêtises ». « Né dans une famille normale, j’ai, je ne sais pourquoi, un mauvais caractère qui m’a tenu éloigné d’un parcours d’études normal ». « Je suis devenu acteur et j’ai été heureux sur la scène, mais malheureux dans la vie ». Par son mauvais caractère, il a, raconte-t-il, gâché des amitiés, brisé des amours et passé son temps à changer de ville, de pays, « ouvrir et fermer beaucoup de vies ». « Et puis j’ai eu la chance de rencontrer Maria » avoue-t-il avec émotion devant son épouse présente avec ses enfants dans la salle. Mais la rencontre avec celle qui n’était encore que sa compagne ne suffit pas à changer son caractère. « On passait notre vie à nous disputer » raconte-il. A côté de cela, Pietro continuait à enchaîner les films et à gagner beaucoup d’argent.
Vient alors un tournant dans sa carrière : en 2001, il obtient un rôle dans un film de John Maiden, « La Mandoline du Capitaine Corelli » qui le fait connaître outre-Atlantique. Le réalisateur américain Mel Gibson le remarque et fait appel à lui pour jouer dans son film « La passion », projet muri pendant douze ans. Pietro raconte avec sa truculence d’acteur la rencontre avec Mel Gibson, l’appel de ce dernier capté par la Mama alors qu’il était à la plage (« rappelez le dans une demi-heure ! »), puis les négociations sur le rôle. Pietro prétend parler latin et araméen et demande à incarner Saint Pierre. Pas tant par vénération pour son saint patron (il ne connaît pas grand chose à l’évangile) que par avidité. Saint Pierre est là du début jusqu’à la fin et donc le cachet sera en conséquence, tandis qu’une furtive apparition de Barabbas ne lui rapporterait, croit-il, pas grand chose. Qu’à cela ne tienne, Mel Gibson qui l’a repéré pour sa capacité à se mettre en colère, le veut pour Barabbas et le paiera le prix qu’il faut. Mauvais caractère, Pietro, jouera le mauvais garçon.
Ce n’est pas encore la conversion, loin de là ! Mais déjà, Pietro Sarubbi est impressionné par la personnalité de Mel Gibson, l’intensité avec laquelle celui-ci croit à son film. Cela n’empêche pas l’acteur de se livrer à ses caprices de star sur le lieu du tournage, exigeant un fauteuil à son nom, une secrétaire anglophone à sa dévotion, des attaches en caoutchouc pour adoucir le contact des chaînes que son rôle de captif l’oblige à porter…
Puis, la deuxième semaine du tournage, Jésus est arrivé sur le plateau. Mel Gibson avait interdit à Pietro de le regarder car il voulait réserver ce premier regard à la scène où Barabbas s’en va, libre, laissant le Christ aux mains de ses bourreaux. En garçon désobéissant qu’il avait toujours été, Pietro regardait l’acteur, James Caviezel, en cachette, déjà fasciné par son jeu. Ayant travaillé avec des metteurs en scènes comme Peter Brook, ou Cantor, Pietro avait ressenti le caractère sacré du théâtre, mais, dit-il, était devenu un mercenaire. Il décide soudain de retourner aux origines. Il envoie promener la secrétaire, renonce aux bourrelets en caoutchouc de ses chaînes qui le font saigner pour de bon, bref, entre vraiment dans le personnage du prisonnier Barabbas. Jusqu’à la scène de la libération.
C’est alors que se produit le « miracle ». Il se retourne et « Jésus m’a regardé comme jamais personne ne m’avait regardé ». Ce regard dure une minute, une éternité au cinéma, et personne ne songe à donner le clap de fin. Le moment de la rencontre, voulue par Mel Gibson, a bien lieu.
Pietro est bouleversé par « ces yeux qui avaient en eux une question que je n’arrivais pas à comprendre ». L’acteur, en se remémorant ce tournant dans sa vie, est manifestement très ému. « Ce soir là, je ne sortis pas en discothèque avec Judas » raconte-t-il pour détendre l’assistance.
Dès lors l’acteur n’a de cesse de comprendre ce qui lui est arrivé, ne trouvant personne capable de répondre à son interrogation, ni même de vraiment l’écouter. Il se confie alors à des journalistes et c’est à la lecture de son témoignage dans La Repubblica, un journal laïc italien, qu’un prêtre milanais prend contact avec lui. C’est alors qu’il découvre une communauté chrétienne et commence à trouver les réponses aux questions qui le hantent : qui m’a regardé ? Que dois-je faire ? Pourquoi moi ? Sa communauté lui apprend à prier. « Viens seigneur Jésus ! » est la première prière que lui enseigne le prêtre. Puis il épouse sa compagne Maria avec laquelle il avait déjà trois enfants, fait sa première communion puis sa confirmation à quarante trois ans.
« Tout l’évangile passe dans le regard de Jésus » affirme Pietro qui voit ce regard sur le visage des Chrétiens qu’il rencontre. Après, la vie a complètement changé, dit-il encore, avant de préciser, « la rencontre avec Jésus te change complètement et te laisse comme tu es, avec une espérance ».
Pietro est intarissable sur son changement de vie, la joie que lui apporte sa conversion, son insertion dans l’église, ces larmes versées par lui, le macho sicilien, lors de son mariage et de sa confirmation… Bien qu’il affirme encore avec une pointe d’orgueil,
« je serai toujours le pire », le méchant garçon semble devenu bien bon.
La soirée se termine autour d’un copieux buffet préparé par les membres de la communauté tandis que Pietro témoigne et témoigne encore.
Une telle rencontre peut enthousiasmer et renforcer notre foi, ou plonger dans la tristesse : pourquoi lui, pourquoi pas moi ? Elle peut aussi laisser perplexes les cœurs les plus endurcis. Pietro est un acteur, un artiste hypersensible. Ne s’est-il pas laissé emporter par son émotivité dans sa volonté de s’identifier à son personnage ? Mais dans le fond, qu’importe. Si un arbre se juge à ses fruits, nul doute que l’acteur a rencontré une communauté chrétienne, a changé de vie, a sacrifié en partie sa carrière en proclamant sa foi dans un milieu où il ne fait pas bon se dire chrétien avant un âge avancé. Et puis, ce regard du Christ, ce regard qui change tout, en faisant mémoire de notre expérience chrétienne, ne l’avons nous pas rencontré, ne le côtoyons nous pas quotidiennement dans nos frères en Eglise, dans nos familles ? A condition d’y être attentifs, sans doute.