A qui peut-on offrir Don Giussani ?

Le philosophe Thibaud Collin « planche » devant CL Paris sur Don Giussani.
David Victoroff

La tâche était rude ce vendredi 5 juin pour Thibaud Collin, venu témoigner de sa passion pour Don Giussani. Dans une salle paroissiale de Saint Germain L’Auxerrois, étaient venus l’écouter des inconditionnels du maître, voire des vétérans de Communion et Libération comme Dino Quartana, ancien élève du lycée milanais où Don Giussani a commencé son ministère. Sans compter bon nombre de ceux qui, sous l’autorité sourcilleuse de Silvio Guerra, se réunissent à « l’école de communauté » pour approfondir l’enseignement du mouvement créé par Don Giussani.
Mais Thibaud Collin ne manquait pas d’atouts pour relever le défi. Professeur de philosophie au lycée Stanislas dans les classes préparatoires aux grandes écoles, dont le dernier livre, « Sur la morale de Monsieur Peillon » est paru en 2013 aux éditions Carte Blanche, c’est un philosophe hors normes. Né en 1968, sa pensée ne semble guère pétrie de philosophie marxiste, de théories freudiennes, ou de relativisme libertaire. Son engagement pour la défense de la famille dans le débat sur le soi-disant mariage pour tous en témoigne. C’est donc en territoire ami qu’il est venu s’exprimer, armé de deux des ouvrages majeurs de Don Giussani, « Le sens religieux » et « Le risque éducatif ».
D’emblée, Thibaut Collin, exprime son admiration pour le prêtre italien, « une personnalité jaillissante », dont il rapproche la fécondité de l’œuvre et de l’action de celles de Jean-Paul II. Il reconnaît dans les deux ouvrages précités une source de sa pratique, voyant dans leur auteur un maître « pour un chrétien vivant dans un monde « postmoderne » et un chemin de vie pour l’homme d’aujourd’hui qui doit lui permettre de traverser la crise que nous vivons.
Car, poursuit Thibaud Collin, nous vivons une crise, qui n’est rien d’autre que la prise de conscience de la réalité qui nous exprime, un moment de décisions et d’engagement que Don Giussani a perçu de manière prophétique. L’enseignement de Don Giussani est « une pédagogie de la rencontre, admirablement proportionnée à l’être humain » qui permet d’assumer cette crise de l’église et, en assumant la profondeur de l’expérience humaine, d’écouter et d’accueillir les aspirations profondes de la personne. Et ainsi d’envisager une « restauration » non pas au sens réactionnaire du XIXème siècle, mais plutôt comme une refondation.
La crise est une crise de la raison. En proclamant l’impossibilité d’une révélation, elle tente de tout maîtriser. « C’est la tentative extrême de la raison de dicter elle-même la mesure du réel ». Cette prétention nous conduit au monde postmoderne dans lequel la raison finit par douter d’elle-même, versant dans le nihilisme et le relativisme. Les questions du cœur humain échappent à la raison dont le champ se rétrécit. Dieu est mort et l’homme est désorienté, il n’a plus ni haut ni bas. Les plus hautes valeurs se dévalorisent et l’angoisse domine. Le « à quoi bon ? » dévalorise l’usage de la liberté, le « pourquoi pas ? » permet d’envisager l’impensable… L’être humain se voit jeté dans une existence vidée de sens, dans une vie qui ne vaut que pour elle-même, déconnectée du sens religieux.
Don Giussani, par sa pédagogie de la rencontre, repart de l’expérience de la vie, prend au sérieux la vie et par un retour sur soi-même, permet de relever le défi de la postmodernité. La manière dont les hommes contemporains se voient est partielle. Don Giussani nous introduit à la réalité totale de l’homme qui nous ouvre à Dieu. En faisant retour sur elle-même, la personne découvre qu’elle est plus riche qu’elle ne le croyait, qu’elle était en fait aliénée. Par une application de la raison à la subjectivité, Don Giussani permet à son interlocuteur de découvrir qu’il a des expériences élémentaires, des exigences qui répondent à des évidences premières.
Thibaud Collin insiste sur la confiance impliquée par la démarche de Don Giussani. La confiance suppose le respect du rythme de l’autre, elle implique d’être le médiateur grâce auquel l’autre va trouver son chemin vers lui-même, identifier ce qu’il désire et répondre à ce qui est proposé. La tradition prise comme hypothèse confrontée à la critique de l’autre, l’homme pris dans toutes ces dimensions, dans un réalisme intégral, autant de parts de l’héritage de Don Giussani qui ont touché en Thibaud Collin l’homme et le professeur.
Il serait présomptueux de prétendre avoir parfaitement compris pour résumer correctement toute l’analyse de Thibaud Collin, pourtant assez clair pour un philosophe. Le mouvement se caractérise par son pragmatisme, son encrage dans la vie réelle. Pas étonnant donc que Dino Quartana ait insisté sur le rôle capital de la rencontre avec l’autre et avec une communauté pour faire le chemin de la conversion. Rien de surprenant non plus à ce que quelques échanges aient eu lieu sur le métier d’enseignant compte tenu de l’assistance et de la référence au risque éducatif: « c’est l’élève qui nous révèle. Ce qu’on est censé donner nous est donné » a ainsi témoigné Marie Michèle Poncet faisant référence à son expérience de professeur et aussi à ses rencontres avec Don Giussani. Quant à Silvio Guerra, s’il a avoué ne pas toujours préparer ses cours, il a fait l‘expérience, en demandant à ses élèves de le juger, de découvrir, en prenant le risque de la liberté de l’autre, qu’il transmettait le mieux ce qu’il aimait le mieux, la culture italienne.
Mais finalement, la question la plus pratique a été de savoir à qui offrir les livres de Don Giussani : à des étudiants en philosophie ou à des chrétiens ? Aux deux a suggéré Thibaud Collin.