Qui suis-je ? Où suis-je ? Où vais-je ?

Le Grand Palais propose une rétrospective de Bill Viola, à la fois pionner et maître de l’art vidéo. La contemplation de ses images en mouvement conduit le spectateur à ce que le vidéaste nomme les Mystères : Qui suis-je ? Où suis-je ? Où vais-je ?
Marie Waller

L’art vidéo est né dans les années soixante et explore, dans une démarche créatrice, toutes les possibilités techniques de ce nouveau médium en constant perfectionnement. Chez Bill Viola, la virtuosité dans la maîtrise de l’outil n’est pas une fin en soi ; elle est au service d’une intense recherche, esthétique et spirituelle.
C’est à une plongée extra-sensible, que nous invite cette importante exposition de l’œuvre de Bill Viola, qui couvre plus de trente ans de création (1977-2013). Le spectateur va son chemine par une série de salles plongées dans une demi-obscurité, ce qui lui permet de s’absorber dans la contemplation et de vivre une véritable expérience visuelle, temporelle, sonore. Avant de se former au tout nouvel art vidéo, Bill Viola avait étudié la musique ; c’est pourquoi, dans son œuvre, le travail du son est central : battements de cœur et d’ailes, murmures, souffle de la respiration, gouttes de pluie, trombes d’eau, feu qui crépite…
Dans le monde ordinaire saturé d’images en mouvement, cette exposition ouvre une autre dimension, qui n’est pas seulement celle de la distraction, du « divertissement ». Grâce à son travail sur l’échelle spatiale et sur le ralentissement du temps, l’artiste nous fait dépasser nos réductions perceptives. Chacune de ses œuvres se présente comme une invitation à la méditation. Le spectateur est comme happé, hypnotisé. Rappelons la fameuse formule de Paul Klee « l’art rend visible l’invisible ». Ici en effet, grâce à une perception pleine et unique, chaque œuvre délivre l’invisible du temps, de l’espace, du souffle, de la vie émotionnelle, de l’humain.

Bill Viola s’inscrit dans l’histoire de l’Art, tant par sa virtuosité créatrice que par ses évocations des grands maîtres de la peinture. Le spectateur reste stupéfait devant cette prodigieuse maîtrise de l’image vidéo, devant la facture de chacune de ces créations. C’est comme si la vidéo devenait matière à dessiner, à sculpter, à faire surgir. Et cela, dans des dimensions inédites et nouvelles : l’image se met en mouvement et fait son apparition. Littéralement façonnée, elle s’inscrit dans une temporalité particulière. Chez Bill Viola, l’œuvre « dure » ; si les minutes s’écoulent, elles investissent tout à la fois l’intention du créateur et l’épaisseur émotionnelle du spectateur.

L’humain est omniprésent dans les œuvres de Bill Viola. Il apparaît souvent sur la vidéo grandeur nature, ce qui crée un effet de réel, impressionnant. Par exemple, les 15 minutes et 20 secondes de The Quintet of the Astonished (2000) évoquent les regards croisés dans les portraits de groupe de Giotto, Rembrandt, Manet…

Il faut enfin souligner que, dans l’œuvre de Viola, l’humain s’inscrit profondément dans les éléments de la nature. Comme il le déclare : « le paysage est le lien entre notre moi extérieur et notre moi intérieur ».

Voici l’interprétation qu’il donne des quatre éléments :

L’air. Trois images se font écho sur les écrans de deux salles : la mère de l’artiste dont le souffle s’éteint sur son lit d’hôpital / à l’opposé, le souffle qui jaillit de son fils nouveau-né / et perpendiculairement, Bill Viola performer qui, neuf fois de suite, reste en apnée de longues minutes. (Heaven and Earth, 1992 ; Nine Attempts to achieve Immortality, 1996)

La terre. Désert, brûlant ou glacial ; les prises de vue au téléobjectif élargissent la perception, et nous nous trouvons face au mystère de la création : du ‘créant’ au créé. Espace sans limites, d’où émergent croisement, transmission, éloignement des êtres (Walking on the Edge, 2012 ; The Encounter, 2012 ; Chott El-Djerid, 1979).

Le feu. Les ‘grands formats’ en flammes évoquent la passion, la fièvre, l’affect, le désir (Woman in Fire, 2005 ; Fire Birth – un des cinq tableaux de Going Forth by Day, 2002).

L’eau surtout. L’eau est omniprésente dans cette œuvre où chaque vidéo est magnifiée par une fluidité : reflets de l’eau (Reflecting pool, 1977-1979), reflets de la chaleur à l’horizon, ondes qui se déforment et incarnent le trouble et l’angoisse (Surrender, 2001), lente danse d’une caméra accrochée à une branche d’arbre (The Veiling, 1995), surface aquatique comme incarnation du rêve (The Dreamers, 2013). Mais l’eau n’est pas seulement ce qui accompagne la représentation. L’eau est un élément central, essentiel à l’œuvre, car elle est essentielle à l’artiste. Bill Viola raconte qu’à six ans, il faillit se noyer et, à ce sujet, il parle d’un ‘traumatisme positif’ :
« Pendant cette noyade, en tombant vers le fond du lac, je n’ai ressenti aucune peur, et même au contraire, une sensation de bien-être. J’aurais pu rester là longtemps, et être très heureux. J’ai vu là le monde le plus beau de toute ma vie. » Dans son œuvre, l’eau est lieu de naissance, de transfiguration, d’ascension (Tristan’s Ascension, 2005 ; Three Women, 2008 ; Ascension, 2000). La surface aquatique ouvre au regard intérieur ; l’eau qui vient du ciel est élévation.

Une magnifique exposition d’un artiste de notre temps : à ne pas manquer !


Bill Viola
05 Mars - 21 Juillet 2014
Grand Palais, Galeries nationales