Comme un veilleur attend la paix…

En ces temps d’extrême tension à Jérusalem, peu d’observateurs sont optimistes sur les chances d’une cohabitation harmonieuse en terre sainte entre les trois religions qui l’habite. Emile Shoufani, curée de Nazareth, est de ceux-là.
David Victoroff

C’est dans le cadre solennel du Couvent des Bernardins que le père Emile Shoufani a reçu le prix de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France. Au moment où la tension est vive à Jérusalem (le lendemain de la remise du prix a eu lieu un massacre dans une synagogue), le père Shoufani, Abouna Emile pour ses amis, apporte une vraie note d’espoir dans un contexte géopolitique pourtant bien sombre.

Emile Shoufani est né en Palestine en 1947, un an avant la proclamation de l’Etat d’Israël. Lors de la guerre de 1948, son grand père et son oncle sont tués par l’armée israélienne. Malgré cette tragédie familiale, il est élevé par sa grand-mère dans la culture du pardon. « Elle a choisi de servir la vie et non la mort » dira-t-il. Très tôt, il a la vocation et va, adolescent, faire ses études au séminaire en France. Il devient curé de l’église melchite dite de la synagogue, à Nazareth, toute proche de la synagogue où Jésus commenta les écritures. Il a été aussi jusqu’en 2010, directeur du collège Saint –Joseph dont il fit l’un des meilleurs établissements d’enseignement privé d’Israël.

Arabe, chrétien, Israélien, toute sa vie semble être guidée par la volonté de rapprocher les peuples et les cultures qui coexistent tant bien que mal dans son pays, à faire le lien entre ses frères juifs et arabes. Le collège Saint-Joseph a ainsi accueilli aussi bien des musulmans que des chrétiens et organisé, une première en Israël, des échanges d’élèves avec un établissement juif de Tel-Aviv.

Le geste le plus spectaculaire de son œuvre de rapprochement entre communautés est l’organisation, en 2003, du train de la mémoire, un voyage à Auschwitz qui a emmené des jeunes et des intellectuels juifs, arabes chrétiens et musulmans, israéliens et français (en tout près de 500 participants). Il s’agissait pour lui d’amener ses compatriotes musulmans et chrétiens à communier à la souffrance des juifs, ceci sans exiger d’eux la moindre contrepartie. Ce désintéressement, cette totale gratuité, cette « asymétrie éthique » évoquée par Lévinas qui fait que l’on doit s’inquiéter pour l’autre sans que se préoccuper de savoir si l’autre s’inquiète pour vous, a beaucoup surpris et suscité bien des méfiances. Mais au bout du compte, ce fut un succès.

Le père Shoufani explique sa démarche par le mystère de la transfiguration. Il a lui-même vécu une expérience spirituelle de conversion sur le Mont Tabor, escarpement qui domine Nazareth, lieu selon la tradition de la transfiguration du Christ. Pour Emile Shoufani, la transfiguration est toujours actuelle et permet de voir en l’autre, derrière l’apparence, la lumière infinie de Dieu. « Le visage qui est en face de moi, c’est l’image de Dieu. Mon travail, c’est de faire apparaître cette lumière, cette parcelle de divinité » explique-il. D’où sa démarche d’écoute, de rencontre, de respect mutuel qui permet de dédiaboliser le visage de l’autre, de lui restituer son humanité, de replacer l’humain au centre du conflit, de communier sans peur à la souffrance de l’autre et ainsi de cheminer vers la paix.

Cette démarche, plus théologique que géopolitique, peut paraître naïve, susciter la méfiance, voire la haine. Emile Shoufani va très loin dans sa volonté de rapprochement avec le judaïsme. Il souligne une nouveauté que tout le monde n’est pas prêt à admettre : pour la première fois des juifs gouvernent des chrétiens et des arabes. Ce que qui leur confère une responsabilité nouvelle. Impossible, dit-il, de penser le judaïsme sans le prophétisme. Ce qui, dans les circonstances historiques présentes, oblige les juifs à témoigner de la sagesse de Dieu dans la construction du monde. « Allons nous continuer à vivre dans nos getthos ? Je veux et je peux vivre avec l’autre » s’exclame-t-il. Certes, cela demandera du temps, et un lavage de cerveau des uns et des autres, car nous avons une histoire non à effacer mais à digérer, explique ce veilleur de la paix.