L'Irak, quelle espérance ?

L'association ITER a invité Luc Balbont, journaliste correspondant du quotidien algérien Liberté et spécialiste du monde arabe et du dialogue inter-religieux, pour une conférence sur l'Irak
Thérèse Martin

Luc Balbont, ne se pose pas en expert d’un monde qu’il connaît pourtant de l’intérieur. Le ton est celui de la conversation amicale comme si, en répondant à l’invitation du président de l'association, Jean-Pierre Lemaire, il nous associait d’emblée à l’amitié qui les lie. Soucieux d’écouter nos questions, il ne parle pas très longtemps mais nous livre avec chaleur et générosité, les réflexions et les conclusions de toute une vie passée à fréquenter le monde qui le passionne.

« Je suis peut être naïf mais j’ai de l’espoir »
Le rappel des événements irakiens, cependant, est loin d’être encourageant.
En juin 2014 Mossoul - la seconde ville d’Irak - tombe. La nuit du 6 août à Karakosh, les Kurdes censés protéger les chrétiens sont invisibles quand les djihadistes de Daesh, au milieu de la nuit, somment ces derniers de se convertir ou de partir. 60000 chrétiens syriaques, en grande majorité catholiques, quittent la ville. En une demi-heure, la ville est vidée. 2000 ans d’histoire de cette terre où on parle la langue du Christ, l’araméen, sont gommés. Des chrétiens en fuite, totalement démunis, se sont réfugiés au Kurdistan. D’autres attendent l’autorisation de partir en Europe, aux Etats-Unis, en Australie. Une fois déracinés, quel goût aura leur existence ? Une des communautés les plus anciennes de Mésopotamie, les Yézidis, est massacrée. Quant aux musulmans, ils sont aussi les victimes de l’extrémisme islamique. A tout cela il faut ajouter la destruction de manuscrits, archives, lieux de culte : l’héritage d’une civilisation brillante effacé… La barbarie à l’état brut.

Les pays voisins, après une révolution qui avait vu bourgeonner tant d’espoirs sont, qui plus, qui moins, retombés aux mains de partis autoritaires et intolérants.

On pourrait croire à une fatalité. Les pays à majorité musulmane seraient inaptes à la démocratie ? Notre conférencier n’aime pas les allusions à « l’hiver » succédant au « printemps arabe ». Il nous rappelle notre histoire. La Révolution française a eu, elle aussi, sa Terreur. Notre démocratie a mis plusieurs Régimes à s’établir.

Alors quel espoir ? Il est frappant qu’il repose sur quelques noms propres. Ceux de témoins de paix qui, où qu’ils soient (Liban, Egypte, Syrie, Irak…etc) et quelle que soit leur confession, refusent de se laisser intimider par la force et dépassent leur peur.

Luc Balbont rappelle que tout a commencé en Tunisie.
Le premier nom propre est celui d’un jeune homme de 26 ans « sans histoire », paisible et souriant.
Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, un vendeur de fruits et légumes, excédé de se voir confisquer sa marchandise par un agent de police, s’immole devant la préfecture de Sidi Bouzid, une petite ville de Tunisie. Il est trop pauvre pour verser des pots de vin et obtenir ainsi le droit d’exercer son commerce. Il a besoin de cet argent pour aider sa mère et ses six frères et sœurs. Ce n’est pas la première fois que la police le rackette, c’est celle de trop. Des milliers de personnes suivent le cercueil de ce jeune homme tranquille qui voulait seulement qu’on le laisse travailler. Des manifestations éclatent dans tout le pays, mouvements pacifiques et spontanés de gens qui descendent dans la rue pour réclamer des droits universels. C’est la révolution. Moins d’un mois après la mort de Mohamed Bouazizi, Ben Ali au pouvoir depuis 23 ans doit s’enfuir.

Le « printemps » tunisien devient vite arabe. En Egypte, en Lybie, en Syrie - pour ne citer qu’elles - on réclame plus de justice, de liberté, d’égalité. Pour Luc Balbont un pas décisif est franchi ; on n’a peur ni de la police ni des dictateurs.
Suivent d’autres noms propres, ceux de personnes que notre locuteur connaît personnellement, prêts à défendre ce qu’ils ont de plus cher : les droits universels cités plus haut.
Je retiens Sœur Brigitte, à qui il a consacré un livre « l’espoir ressuscité des enfants libanais ».

Mais comment garder espoir quand Daesh sème la terreur ? C’est un épouvantable fléau mais sans avenir. La barbarie ne gagne jamais. La durée de « vie » que lui accordent les experts ne devrait pas dépasser trois ans.

Alors quelles conditions pour que ces droits revendiqués par tant d’hommes et de femmes soient enfin obtenus, protégés ?
La première : que les chrétiens qui restent dans le monde arabe soient unis entre eux, ce n’est pas toujours le cas. Ensuite, que chrétiens et musulmans réformateurs œuvrent ensemble dans un respect mutuel. Ils ont absolument besoin les uns des autres. Enfin, que les chrétiens qui sont nés sur ces terres se sentent pleinement arabes, comme le leur avait souhaité le pape Jean-Paul II. Autrement dit, qu’ils s’engagent dans la politique, la vie sociale et culturelle de leur pays.

Il finit en évoquant le Liban : pays qu’il aime tout spécialement. Il y réside une partie de l’année avec sa femme et sa fille, toutes deux libanaises. Là, une forte présence chrétienne contribue à rendre possible le « vivre ensemble » de communautés et de religions différentes.

On comprend mieux, après cette émouvante soirée, que le chemin vers la paix passe par le refus des simplifications et la connaissance exigeante de l’autre (langue, traditions, culture, réalité géographique). Ce qui nourrit aussi cet espoir c’est une vision ample de l’histoire qui relativise le poids du présent.

Les articles, contributions et livres de celui qui est également correspondant du quotidien algérien Liberté, sont nombreux. A chacun de plonger dans les pages web pour nourrir sa réflexion.