Au lendemain du massacre perpétré à Charlie Hebdo…

Comment envisager l’avenir en fonction de l’état d’esprit actuel - et regrettable - des Français ? Bertrand Vergely, philosophe et théologien orthodoxe, répond aux questions que nous nous posons tous depuis le 7 janvier
Silvio Guerra

Quelle a été votre première réaction à ce massacre digne d’un pays en guerre ?

Le choc. L’accablement. La tristesse. La compassion pour les victimes et pour leurs proches La surprise également : je m’attendais à un attentat. Pas à cette exécution. Je pensais à une bombe dans le métro. J’y pense toujours. Il va y avoir d’autres attentats. Cette exécution est le début d’une longue série. Nous allons connaître des années noires.

Le Président François Hollande appelle au deuil national, à se rassembler autour des valeurs républicaines. Plusieurs attentats ont eu lieu, notamment avant Noël, à Dijon, à Nantes. Le pouvoir politique aurait pu réagir...

Le pouvoir fait ce qu’il peut. En 1995, une centaine d’individus étaient susceptibles de commettre des attentats. Aujourd’hui, il y en a des milliers. Pour se protéger vraiment contre le terrorisme sur le sol de France, il va falloir bâtir une vraie politique, et d’abord sur le plan personnel. Il faut savoir ce que nous voulons. Voulons-nous vivre, ou pas ? Si oui, sur quelles bases ? Les terroristes sont déterminés. Nous, pas. Notre faiblesse fait leur force. Le jour où nous serons vraiment déterminés, il n’y aura plus d’attentats à répétition comme c’est le cas actuellement.

Les institutions et les citoyens donnent l’impression d’être accablés par la peur. L’école est touchée par cette peur. Toutes les ‘sorties’ des élèves, au théâtre notamment, sont supprimées. Ces réactions sont-elles les bonnes ? Comment faut-il juger la réaction de la France ?

Interdire les sorties scolaires ? Je ne vois pas le rapport avec ce qui se passe. Une fois de plus, on n’agit pas : on donne l’impression d’agir ! Quant à la réaction de la France, elle est consternante. L’islamisme - à distinguer de l’Islam - prépare une prise de pouvoir mondiale. Cela a commencé avec l’ayatollah Khomeini qui, dans les années 80, a clairement annoncé la couleur. Cela a continué avec Ben Laden, Al Qaida ; les attentats ont fait 3000 morts. Cela continue avec Daech et Boko Haram. Au lieu de se préparer à agir, face à cette menace, on parle d’ouverture à l’autre, ou bien on se divise sur le fait de savoir qui aura le droit de participer à la manifestation de dimanche en mémoire des victimes. Les terroristes ont des lance-roquettes. Nous, nous pleurnichons !

On a parlé d’attaque barbare (les barbares de l’Antiquité étaient attirés par Rome). Les terroristes se proposent aujourd’hui d’installer « l’enfer sur terre » : sont-ils des barbares ?

Les terroristes actuels ne sont pas des fous. Ce sont des individus extrêmement déterminés qui suivent une logique très précise qui est celle de la guerre sainte. Ce ne sont ni des fous ni des barbares mais des tueurs qui recrutent des jeunes perdus, ivres de revanche. Ce qui se passe est extrêmement grave et risque de très mal finir.

François Hollande appelle à l’unité nationale. Cela va-t-il suffire pour vaincre la peur ? Avez-vous peur ? Qu’est-ce qui peut vaincre la peur ?

Pendant que François Hollande, qui est socialiste, appelle à l’unité nationale, les responsables socialistes n’ont qu’un seul souci : interdire au Front National de se rendre à la manifestation de dimanche. Je ne suis pas pour le Front National et n’ai pas de sympathie particulière pour ce parti mais, si l’on veut que l’unité nationale ait un sens, il faut permettre au Front National de participer à la manifestation de dimanche. Si François Hollande ne le fait pas, s’il ne rappelle pas ses troupes à l’ordre, son appel ne sera que pure hypocrisie, et la manifestation de dimanche, une honteuse récupération politicienne de la part du PS. Quant à la peur, ce qui me fait peur, ce ne sont pas les terroristes, c’est notre faiblesse, notre lâcheté, notre médiocrité, nos basses querelles, nos calculs minables, notre inculture, notre manque de dignité et de sérieux. Nous n’avons pas envie de nous battre. Nous n’avons pas envie de vivre. Nous n’aimons pas la vie. Nous ne pensons qu’à une chose : retourner le plus vite possible à notre petit confort. Qu’est-ce qui peut vaincre la peur ? Une seule chose : la foi. La vraie. La spiritualité profonde. Et pas les niaiseries auxquelles nous avons droit.

Que donne à comprendre cet événement tragique ?

Il donne à comprendre une seule chose, ce que nous n’avons pas encore compris depuis l’attentat du 11 septembre 2001 à New York : nous sommes en guerre. La troisième guerre mondiale a commencé ; cette guerre va être terrible et durer longtemps. En outre, il n’est pas du tout sûr que nous la gagnions.

Au lendemain des fêtes, alors que les soldes commencent, qu’il est question de supprimer le dimanche en ouvrant les magasins, et que Michel Houellebecq vient de faire paraître son livre Soumission, que faut-il penser de ce qui se passe ?

Houellebecq est au-dessous de la vérité. Mais, si j’étais lui, je m’offrirais des gardes du corps ! Quant à ce qui se passe, cela révèle une chose : nous sommes et nous continuons d’être le monde de « la grande bouffe », pour reprendre le titre du film de Marco Ferreri. Nous n’avons rien compris et nous ne sommes pas près de comprendre quoi que ce soit ! ...